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Les mondes d’après[Notice]

  • Daniel Laforest

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  • Daniel Laforest
    Université de l’Alberta

Cette chronique est la première que j’écris après le début de la pandémie de COVID-19 qui a transformé nos vies. Depuis le printemps 2020, j’ai fréquemment entendu des gens, surtout issus du monde littéraire, faire référence sous forme de boutade anxieuse au « monde d’avant », calquant ainsi l’expression des personnages de la populaire trilogie post-apocalyptique de Margaret Atwood inaugurée avec le roman Oryx and Crake en 2009. Ça m’a amusé un temps. Ça ne m’amuse plus. En effet, il me semble qu’on aime parfois un peu trop les lignes de coupures franches. À tout le moins, on est prompt à en emprunter les modèles à divers champs de savoir pour produire des effets définitifs dans nos conversations quotidiennes. Je dis « définitifs » mais, de nos jours, j’entends plutôt « apocalyptiques ». Que les insouciants prennent garde : le monde est menacé de toutes parts ; nul ne sait quand il s’effondrera, mais on peut se convaincre sans risque d’erreur qu’effondrement il y aura. Qu’on lorgne la biologie et les neurosciences, le train du post-humain paraît déjà avoir passé, et malheur à ceux qui ne s’y sont pas accrochés. Qu’on se tourne vers le monde académique, la tradition autrefois vénérable des sciences humaines n’en finit plus, selon plusieurs, de chercher la note pour son chant du cygne. Qu’on songe à l’économie néolibérale, et l’on se met aussitôt à suffoquer au point d’en souhaiter la ruine violente, là, tout de suite. Qu’on sorte enfin prendre l’air parce que tout cela est bien accablant, c’est bientôt la planète elle-même qui se rappelle à nous dans la fragilité devenue intenable de ses écosystèmes. Tout court à sa perte. Mais qu’à cela ne tienne, nous avons mis la fin du monde en bouteille pour continuer à en parler. Dans nos langages culturels, nous entrevoyons de nouvelles apocalypses toutes les deux semaines. Le mot naguère étrange de « dystopie », qu’il fallait souvent expliquer, est passé dans l’usage courant. De fait, c’est celui d’« utopie » qui ferait maintenant sourciller. Les horizons politiques sont cul par-dessus tête. L’avenir de Catherine Leroux et L’évasion d’Arthur ou la commune d’Hochelaga de Simon Leduc ont le grand mérite de les remettre à l’endroit. Tous deux ont été écrits avant la pandémie. Mais j’aime à croire qu’ils n’auraient pas beaucoup différé s’ils l’avaient été au milieu de ses jours les plus sombres. Ce sont deux romans qui refusent chacun à leur manière le poncif d’une fin brusque et annoncée de toutes choses. C’est tout à leur honneur. Catherine Leroux, journaliste de formation, désormais écrivaine et traductrice, a quatre livres et trois prix prestigieux à son actif. Le mur mitoyen l’a imposée en 2013 en recevant le prix France-Québec et en rejoignant la liste courte du prix ScotiaBank Giller dans sa traduction anglaise. MadameVictoria a ensuite reçu le prix Adrienne-Choquette (2016), et la traduction par Leroux du roman Do Not Say We Have Nothing (Nous qui n’étions rien) de Madeleine Thien a obtenu le Prix du Gouverneur général en 2019. Au moment d’écrire ces lignes, L’avenir est en lice pour le Prix des libraires 2021. C’est un parcours sans faute, exemplaire, et que l’on pressent être encore dans sa phase ascendante. Une fois n’est pas coutume, citons pour commencer un passage qui se trouve à la toute fin du livre, dans le « Mot de l’autrice » ajouté là : « J’ai commencé ce roman bien avant les bouleversements qu’a connus notre monde en 2020, et après ceux qui, décennie après décennie, ont frappé la ville de Détroit. Dans cet entre-deux, j’ai voulu imaginer une renaissance, …

Parties annexes