ChroniquesPoésie

L’autre nom de l’enfance[Notice]

  • Denise Brassard

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  • Denise Brassard
    Université du Québec à Montréal

Un peu comme des ex-fumeurs ou des buveurs en sevrage, qui doivent réapprendre les gestes du quotidien, depuis le début de la pandémie que nous vivons, chaque fois qu’on refait une rencontre, une activité, c’est un peu comme si on la faisait pour la première fois. On hésite, on y va lentement, on s’arrête en chemin pour en éprouver l’effet, l’importance, la complexité. Rien ne va plus de soi. La vie d’abord, puis nos institutions, tout se révèle fragile, vulnérable, volatile. Du vent, voilà ce que nous sommes. Et pourtant. La poésie, où justement rien ne va de soi, est peut-être le langage dont nous avons le plus besoin en ce moment précis où nous devons réapprendre à vivre en communauté, du moins si nous voulons saisir l’occasion qui se présente à nous de changer nos comportements — en évitant cette fuite en avant qu’on nous propose sous prétexte de relancer l’activité frénétique et irréfléchie (voire pathologique) qui nous a menés là où nous en sommes aujourd’hui. Y parviendrons-nous ? Si je suis peu optimiste, je ne suis pas prête non plus à jeter l’éponge. Vigilance et espérance, méditation et action sont-elles compatibles ? Peut-on imaginer un monde où l’esprit critique et le sens de l’émerveillement aillent de pair ? Il semble que oui, si l’on en croit Normand de Bellefeuille et France Mongeau, dont les derniers livres abordent, chacun à sa façon, quelques-unes des questions fondamentales qui se posent actuellement à nous, à commencer par celle de notre rapport au langage. Or, parce que nous en avions besoin plus que jamais, privés que nous étions de la proximité et du langage corporel, mais aussi en raison de la nécessité d’inventer de nouveaux termes pour rendre compte d’une réalité inédite, la langue est probablement l’une des premières choses que le confinement a remises en question. L’autoréflexivité est une constante de la poésie de Normand de Bellefeuille, qui s’est exacerbée dans ses plus récents livres, et Histoire du vent n’y fait pas exception. On a d’emblée l’impression que ce qui retient l’attention du poète, c’est le mot poème, plus encore que la chose. S’il se penche sur le poème comme on bute sur un mot, c’est précisément parce que le langage est à réinventer. Le mot ne suffisant plus à dire ce qu’il dit, l’écriture doit se frotter, plus que jamais, à ce qui lui résiste, à ce qui lui est étranger, alors que les textes sont pour la plupart très simples, tout à fait lisibles, apparemment dépourvus d’opacité. C’est dire que ce qui résiste est du côté du réel. Et cependant, pour ce poète insatiable et prolifique, les mots demeurent ce qui abreuve et calme, juste avant l’aube, à « l’heure des alcooliques » (12 ; il cite Stephen King), « pour quelques heures encore, avant l’irrésistible tentation… » (13) Ainsi s’attache-t-il à circonscrire son aire de jeu et de pensée, autant qu’à l’habiter, en multipliant les hypothèses qui pourraient répondre à cette question : qu’est-ce que le poème ? S’il n’arrive bien sûr à fixer aucune définition, il multiplie les tentatives. En voici une : L’ambiguïté induite par les deux derniers vers de cette citation en dit long sur l’état de la poétique de l’auteur, qui oscille entre voir le poème dans un arbre (plutôt un arbre qu’une constellation) et ne voir dans le poème qu’une constellation de mots (au sens de seulement et en guise de conclusion). C’est sur cette oscillation entre langage et réel que s’articule tout le recueil. Dans son « Prologue », Normand de Bellefeuille raconte qu’un jour, il y a de cela …

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