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Racisme et discrimination : les défis du roman social[Notice]

  • Dominique Garand

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  • Dominique Garand
    Université du Québec à Montréal

Juin 2020. Une vidéo amateur soulève l’indignation du monde entier : on y voit un policier américain en train d’infliger à un Noir, le genou bien appuyé sur son cou, un supplice mortel qui allait durer plus de huit minutes, de longues minutes durant lesquelles l’homme n’aura cessé, jusqu’à son décès, de répéter qu’il suffoquait. George Floyd, la victime, devient l’emblème d’une violence policière depuis longtemps dénoncée, particulièrement dirigée contre les personnes noires. Des manifestations sont organisées, non seulement à Minneapolis où s’est déroulé le drame, mais dans plusieurs villes d’Europe ainsi qu’à Montréal. La notion de « racisme systémique » est mise de l’avant et débattue jusqu’au sein des parlements québécois et canadien. Dans de nombreux articles, l’histoire est convoquée pour démontrer que le problème ne date pas d’hier et qu’il continue de sévir, ouvertement ou de manière plus larvée à travers de subtils mais non moins réels gestes de discrimination à l’endroit des personnes racisées. Devant cet examen de conscience auquel est conviée la société québécoise, il est à se demander quel rôle peut jouer la littérature, en particulier le roman. Ose-t-il même aborder ce genre de question ? Et s’il le fait, peut-il proposer une vision, une parole qui feraient voir et entendre autre chose que ce que clament les militants, les chroniqueurs et les spécialistes en tous genres ? Les deux romans abordés dans cette chronique prennent le problème à bras-le-corps. LeMammouth de Pierre Samson le fait par le biais d’une enquête historique, tandis que Viral de Mauricio Segura plonge résolument dans le Québec d’aujourd’hui (tellement actuel qu’il y est même fait mention de la mairesse de Montréal et de l’élection récente de la CAQ). Fort différents quant à leur style et leur mode narratif, les deux romans partagent une même sensibilité à l’endroit des conflits sociaux liés à la diversité culturelle. Voyons maintenant ce qu’ils donnent à penser. C’est dans le Montréal de 1933 que nous entraîne Pierre Samson. Le Mammouth est le surnom donné à Nikita Zynchuck, un immigrant ukrainien qui, semble-t-il (mais personne dans son entourage ne le sait vraiment), aurait participé dans son pays aux pogroms une quinzaine d’années plus tôt. À Montréal, devenu chômeur et circulant dans un quartier de commerces tenus par des juifs, Nikita affiche davantage un profil bas. Alors que les locataires de l’immeuble qu’il habite sont sur le point d’être évincés en raison d’un défaut de paiement, un rassemblement se forme pour protester et les policiers interviennent. Le quartier a été identifié par eux comme un repaire de communistes, ce qui renforce leur hargne à l’endroit des résidents. Nikita, qui rentre d’une visite chez une prostituée, s’amène au milieu du tumulte et tente de récupérer un bien lui appartenant. Dans sa précipitation, il bouscule un agent de police, Gianni Zutto, italien de deuxième génération, qui dégaine alors son arme et, sur ordre de son supérieur, abat dans le dos l’Ukrainien en train de se sauver avec son barda estival à moitié rongé par les mites (73). Cet événement historique donne l’occasion à Pierre Samson de brosser un portrait de Montréal extrêmement documenté, tant sur le plan sociohistorique que, plus concrètement encore, de la topographie montréalaise. Campée dans la portion qui part, d’ouest en est, du boulevard Saint-Laurent à la rue Saint-Hubert, et, du sud au nord, de Viger à Mont-Royal, l’histoire nous transporte au coeur d’une faune humaine bigarrée et pluriethnique qui se démarque des représentations du quartier Saint-Louis ou du Plateau Mont-Royal que nous offre habituellement le roman québécois francophone. Est ici mis en lumière un coin de Montréal où le citoyen canadien-français de l’époque …

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