Dossier

ENTRETIEN AVEC PIERRE NEPVEU[Notice]

  • Stéphane Inkel et
  • Julien Lefort-Favreau

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  • Stéphane Inkel
    Université Queen’s

  • Julien Lefort-Favreau
    Université Queen’s

Dès les années 1980, alors que les clivages dans la sphère intellectuelle (et par extension dans le champ des études littéraires) sont encore articulés autour de la question nationale, Pierre Nepveu déplace déjà légèrement la perspective en prenant le parti de s’inscrire en faux contre la crispation conservatrice autour de la question de la postmodernité, et de proposer une option, sinon optimiste, à tout le moins ouverte. Afin de comprendre comment le politique trouve des formes d’action diverses dans la littérature contemporaine, formes qui se détournent clairement de la question nationale, sans pour autant être des formes pacifiées, sachant qu’elles tracent souvent des lignes de partage nettes, voire brutales, nous avons eu envie de demander à Pierre Nepveu de revenir sur des hypothèses qu’il a pu formuler dans le passé. Depuis son point de vue singulier d’écrivain, il nous aide dans cet entretien à tracer ces partages, à prêter une attention spécifique aux valeurs et aux idées politiques qui circulent dans la littérature et qui sont transmutées par elle. Nous voulions vous demander de commenter cette réflexion qui, certes, commence à dater, mais concerne précisément le thème de notre dossier et qui est pleinement d’actualité : comment la situation linguistique et comment l’identité « nationale » d’un écrivain constituent-elles le point de départ d’une discussion autour des lieux hégémoniques du pouvoir, de la répartition de la parole ? Les lignes de partage dans la littérature actuelle, tant dans les textes que dans la vie littéraire, nous semblent régulièrement évoquer la délégation de la parole et la légitimité de la prise de parole (comme le retour d’une vieille question des années 1968 : « D’où tu parles ? »). Il semble que les débats sur l’appropriation culturelle touchent aussi à cette conscience de sa propre minorisation en regard des souffrances des autres. Où se situe, en 2019, sur cette question, votre pensée à titre de critique et de poète ? Comment conceptualiser la position du poète, sur un plan éthique et politique ? Il est évident que la notion d’américanité suppose une ouverture de l’identité québécoise à de telles dimensions. En même temps, à travers mon étude des « petites villes » dont la Macklin fictive d’André Langevin me paraissait emblématique, j’ai surtout cherché à rendre compte d’une américanité de la proximité : voici en effet des lieux concrets, très matériels, souvent industriels (on pense aussi à Rouyn-Noranda, à Sudbury), qui résistent au grand récit national et à toute magnification romantique. Contre les appels souvent fumeux à l’identité, il y a là un principe de réalité. Des critiques ont remarqué que Les murailles, le roman d’Erika Soucy qui se déroule sur le chantier de La Romaine, venait déconstruire l’idéalisme romantique de « la Manic », qui a enchanté les années 1960-1970. Cette matérialité brute atteint évidemment un comble dans Querelle de Roberval de Kevin Lambert, où la petite ville du lac Saint-Jean s’étale comme « une flaque sale de bungalows ». Il y a de nombreux exemples, pas toujours aussi réussis, d’un réalisme de la dysphorie, de la dégradation, de l’existence graveleuse et calamiteuse au quotidien, dans la poésie comme dans le roman québécois contemporain — pour ne pas parler du cinéma. Ce n’est pas forcément bon signe : Lambert parodie le manifeste du FLQ dans la lettre que signe un chef syndical qui va se suicider. La nord-américanité des petites villes et des régions nous ramène souvent à une petite vie canadienne-française sans envergure, ivre de motoneiges et de films américains. Ce réalisme coûte cher… Cela dit, votre question est fondamentale. Je crois que la poésie peut capter et …

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