Comment habiter notre monde autrement ? Il s’agit sans doute de l’une des questions les plus importantes, les plus urgentes auxquelles nous faisons face actuellement. La planète se transforme indéniablement, les sols s’en trouvent modifiés, l’air et l’eau sont de plus en plus pollués… Le réchauffement climatique et les déplacements de populations qu’il entraîne invitent à repenser l’idée d’appartenance au sol, à réfléchir à ce que cela veut dire d’être chez soi, sur sa parcelle de terre. Dans un ouvrage paru en 2017, l’anthropologue et philosophe Bruno Latour affirme en ce sens que « [l]a nouvelle universalité, c’est de sentir que le sol est en train de céder ». Les publications sur la question de l’appartenance abondent et témoignent unanimement de l’urgence de changer notre rapport au territoire, aux animaux et aux plantes. Il y a trente ans, Pierre Morency nous invitait déjà à explorer l’univers du lièvre, du grillon et de l’épinette (L’oeil américain, 1989). En France, plus récemment, Jean Birnbaum demandait Qui sont les animaux ? (2010), Jean-Christophe Bailly faisait paraître Le parti pris des animaux (2013) et Emanuele Coccia, La vie des plantes (2016). Les Éditions Dehors publient en traduction des textes de grands environnementalistes américains tels que Holmes Rolston III et William Cronon, de même que le travail de Brian Massumi. Tous dressent le même constat : il faut vivre différemment, penser une philosophie du vivre, comme le fait François Jullien (2011), voire revivre ainsi que le suggère Frédéric Worms (2012). La question du territoire, de la vie sur terre et de l’appartenance est également au coeur d’ouvrages parus récemment au Québec. Si nous interrogeons presque tous — avec plus ou moins de temps ou d’application — nos actions, notre rôle, notre responsabilité, notre place dans le monde, pour certains, ce questionnement, voire cette longue introspection, oriente une « conduite de la vie », comme l’écrit Jean-Pierre Issenhuth dans Le jardin parle. Dans La pomme et l’étoile, c’est une réflexion sur Ozias Leduc et Paul-Émile Borduas qui permet à Étienne Beaulieu de remettre en question son propre rapport au monde. Se penchant sur la vie et l’oeuvre des deux peintres, sur leur relation, ainsi que sur la place qu’ils occupent dans l’imaginaire québécois, Beaulieu cherche à « comprendre l’esprit du temps en se sondant soi-même » (7). C’est aussi, bien que d’une tout autre manière, un « imaginaire de l’appartenance », c’est-à-dire un « espace que l’art contribue à forger et qui donne ancrage à la conscience de soi » (22), qu’Emmanuelle Tremblay étudie dans son ouvrage critique intitulé L’invention de l’appartenance. La littérature québécoise en mal d’autochtonie. Romancière et professeure à l’Université de Moncton, Emmanuelle Tremblay propose des analyses croisées d’oeuvres très différentes, parmi lesquelles on retrouve celles de Réjean Ducharme, de Monique Proulx, de Victor-Lévy Beaulieu, de Mona Latif-Ghattas, d’Herménégilde Chiasson et de Patrick Chamoiseau. Dès le titre, une question se fait jour : dans ce contexte, qu’est-ce que l’auteure entend par « autochtonie » ? Quelle définition retient-elle de ce terme employé dans divers champs du savoir ? Ainsi, Emmanuelle Tremblay rappelle-t-elle au lecteur différentes acceptions du mot. Dans une perspective écologiste et universelle, « [n]ous serions tous des autochtones dont le lien avec la Nature est à reconstruire pour assurer notre survie » (9). Du point de vue de l’historiographie, « l’autochtonie des premiers peuples est d’abord “une identité politique historiquement construite” (Gohier 2014 : 41) » (9), une « volonté d’ancrage dans le monde contemporain » (10) élaborée autour d’une même « résistance à la domination des pouvoirs économiques en place [et qui] correspond à …
Des cabanes[Notice]
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Frédéric Rondeau
Université du Maine