ChroniquesFéminismes

Déjouer l’absence pour inventer une transmission féministe[Notice]

  • MARIE PARENT

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  • MARIE PARENT
    Cégep Gérald-Godin

Dans Mines de rien, Isabelle Boisclair pose la question : « Comment fabriquer des intellectuelles ? » Pour elle, les modèles offerts aux jeunes filles sont encore trop marqués par les qualités traditionnelles de la féminité, par « l’idée qu’il faut plaire, voire servir son prochain ». Osons reformuler la question : comment fabriquer des féministes ? Il ne s’agirait pas de concevoir le programme d’un endoctrinement, mais plutôt d’imaginer une transmission de la résistance et de l’engagement. Comment donner la permission aux filles de ne pas être — de ne pas écrire — ce que l’on attend d’elles ? Quelles représentations et quels discours permettront d’ouvrir l’horizon de ce qu’elles peuvent accomplir, ressentir, penser ? Ces préoccupations traversent plusieurs textes publiés dans la dernière année, que l’on pense au travail de Martine Delvaux, qui, dans Le monde est à toi, déploie cette réflexion dans le cadre de la relation mère-fille, ou à celui de Catherine Lalonde, dont le récit dévore et digère les grands textes des « femmes fortes » de la littérature québécoise, de Josée Yvon à Hélène Monette. Comment réinvestir l’histoire des femmes et de leurs luttes ? Comment la garder vivante, la porter vers les nouvelles générations ? Les essais commentés ici soulèvent ces questions de différentes manières, en les transposant dans trois espaces différents : celui de la classe, celui de la scène et celui du texte. Le blogue Le bal des absentes, projet porté par Julie Boulanger et Amélie Paquet, deux écrivaines et professeures au collégial, est né du constat d’un échec des cours de littérature au cégep à inclure les femmes dans les corpus étudiés. Lancé en août 2015, il présente de courts textes, écrits en alternance par Boulanger et Paquet, qui témoignent d’expériences d’enseignement d’oeuvres d’écrivaines, tant classiques que contemporaines. Le livre publié deux ans plus tard reprend ces entrées, rassemblées dans un nouvel ordre qui contribue à mettre en relief le point de vue développé dans les textes originaux. Ce qui est proprement fascinant dans cette lecture, c’est de suivre presque en temps réel l’élaboration d’un questionnement sur les conditions nécessaires à la circulation des idées et au dialogue dans la classe, dialogue dont dépend directement l’émancipation des étudiants et étudiantes. Pratiquement chaque texte du Bal des absentes retrace les étapes de l’enseignement d’une oeuvre en particulier, des doutes et interrogations qui ont précédé le cours aux discussions qu’a provoquées le travail du texte en groupe. Boulanger et Paquet arrivent à reconstituer le processus de construction du sens qui se réalise — ou achoppe — collectivement. Chez elles, la salle de classe devient un haut lieu du politique ; nous sommes plongés au coeur de la Cité, là où observer la transformation — ou la perpétuation — de certains préjugés, là où débattre des valeurs que portent les discours. Leurs récits rendent visibles les différentes sensibilités dont sont tissés les échanges. Les auteures réussissent ainsi à saisir ce qui fait de l’enseignement une expérience profondément affective. Avec une grande honnêteté, elles décrivent leurs surprises, leurs déceptions, leurs malaises face aux réactions de la classe. Par exemple, en analysant une nouvelle de Chimananda Ngozi Adichie, Paquet se heurte à la résistance de son groupe à propos du personnage d’une mère qui néglige ses obligations familiales pour poursuivre son travail d’artiste : Ici, pour une rare fois, l’échange est bloqué. Dans la plupart des cas, toutefois, Boulanger et Paquet dépeignent des classes ouvertes et coopératives, exemplaires — un portrait qu’on sent parfois idéalisé. Il faut dire que le parti pris des auteures est de prendre le contre-pied d’un certain discours …

Parties annexes