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L’histoire malgré le roman historique[Notice]

  • DOMINIQUE GARAND

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  • DOMINIQUE GARAND
    Université du Québec à Montréal

Y a-t-il un avenir pour le roman historique ? Tout permet de croire que oui : ce genre existe, sentiment national oblige, depuis les tout débuts d’une littérature canadienne-française et il domine depuis quelques décennies les palmarès des ventes en librairie. Le nombre d’exemplaires qu’arrivent à écouler un Jean-Pierre Charland ou une Louise Tremblay-D’Essiambre aurait de quoi susciter l’envie d’écrivains autrement remarquables, si toutefois l’envie avait cours dans le monde des Lettres. Le lectorat québécois aime qu’on lui parle d’histoire, de son histoire. Pendant longtemps, il s’est agi de raconter la Nouvelle-France, la Conquête, la rébellion des Patriotes, bref, les Grands Sujets. Ces derniers suscitent encore l’intérêt, mais il faut reconnaître que depuis Les filles de Caleb (héritières il me semble des Belles histoires des pays d’en haut), la sensibilité du lectorat est plutôt tournée du côté des portraits nostalgiques de la vie d’autrefois. Une autre thématique prisée est la vie des femmes qui, dans bien des cas, incarnent la figure de l’héroïsme des vies modestes et des luttes pour la reconnaissance. Le rapide tableau que je viens de brosser concerne le roman historique de facture traditionnelle destiné au grand public. Ce courant dominant est néanmoins concurrencé par d’autres approches romanesques de l’Histoire, qui misent moins sur la représentation mimétique du passé que sur sa restitution, laquelle implique une conscience de la distance entre présent et passé, de même qu’un démarquage entre fait et fiction. Ainsi, la pensée de l’Histoire, voire sa présentification, n’est pas l’apanage du modèle de roman historique hérité du xixe siècle. Et c’est depuis cette perspective que je poserai à nouveau la question : y a-t-il un avenir pour le roman historique ? On en doute lorsqu’on prend connaissance du dernier effort de Micheline Lachance, RuedesRemparts. Ce jugement quelque peu catégorique demande des explications, car il ne concerne nullement les qualités d’écriture de l’auteure ou sa maîtrise des règles du genre. Parmi les auteurs qui s’adonnent au roman historique, Micheline Lachance figure parmi les plus respectables, tant par le sérieux de sa recherche documentaire que par l’attention qu’elle porte à la qualité de la langue et à l’approfondissement de la psychologie de ses personnages. De plus, elle poursuit un projet cohérent dont la légitimité n’est plus à démontrer, celui de mettre en valeur le rôle historique des femmes aux époques les plus cruciales de l’histoire du Québec. Après Le roman de Julie Papineau, Lady Cartier et Les filles tombées, elle quitte le xixe siècle avec RuedesRemparts, dont l’intrigue prend place au moment de la Conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques entre 1759 et 1763. Qu’est-ce donc qui clocherait ? Tout au long de ma lecture de RuedesRemparts, et même une fois le livre terminé, je me suis demandé à quel type d’intelligence du passé nous conviait l’auteure. Quels sentiments, quelles pensées a-t-elle voulu faire naître chez son lecteur ? Quelle nouvelle perspective sur la Conquête son roman nous offre-t-il ? Je ne vois que deux propositions : 1) l’aristocratie féminine, aux derniers jours de la colonie, était aussi frivole que celle des cours de France ; 2) Geneviève de Lanaudière aurait été l’amante de Montcalm, de qui elle aurait eu un enfant mort à la naissance. Cette dernière hypothèse est présentée par l’auteure elle-même, dans la notice qui clôture le roman, comme sa grande trouvaille et l’étincelle qui aurait provoqué le désir d’en faire un roman. Très bien. Or, comme l’aurait dit Paul Veyne, il s’agit là d’un fait singulier mais non pas spécifique, un fait à partir duquel aucune …

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