Il est des auteurs auxquels on revient pour des raisons différentes, parfois mal élucidées, mais qui semblent toucher en nous une corde personnelle dont l’existence ne se révèle que par la lecture de leurs oeuvres. C’est le cas d’Yvon Rivard, essayiste que je propose d’aborder dans cette chronique. Si je suis entré dans l’oeuvre de Rivard par Les silences du corbeau, ayant appris l’existence de l’écrivain lui-même par une amie commune, c’est qu’à l’époque je devais être sensible à l’expérience d’un Occidental dans un ashram indien. Les romans de Rivard me semblaient alors plus accessibles que ses essais pour la bonne raison que je connaissais mal les sujets de ces derniers, souvent spécifiquement québécois. J’ignore si j’ai fait des progrès dans l’appréhension de la culture littéraire québécoise. Comme je m’en suis rendu compte dernièrement, on regarde ces mondes que sont les autres cultures avec les lunettes de sa propre idéologie. Quoi qu’il en soit, les derniers essais de Rivard, Aimer, enseigner, dont j’ai déjà parlé dans une chronique, et Exercices d’amitié, me paraissent non seulement lisibles, mais aussi importants. Ce dernier ouvrage constitue en quelque sorte la somme de la vision rivardienne par ses amis interposés. Dans son essai La leçon de Jérusalem, Monique LaRue avouait qu’elle n’avait pas connu l’expérience de côtoyer un cercle d’amis qui l’aurait inspirée sur le plan intellectuel, de sommités à la hauteur de ses lectures ambitieuses. Rivard, lui, a eu cette chance, qu’il partage avec ses lecteurs, d’abord parce qu’il a vécu et vit toujours entouré par des amis écrivains et penseurs, mais aussi parce qu’il considère que son cercle spirituel d’amis s’étend bien au-delà de la proximité physique de contacts quotidiens ou intermittents et qu’il inclut parmi ses connaissances, parfois intimes, des textes de ceux qu’il considère comme des âmes soeurs. Évidemment, LaRue pensait à l’amitié d’une manière plus restrictive. Cependant, même si l’on tient compte de cette définition des amis comme des âmes soeurs qu’on peut rencontrer à deux coins de rue de chez soi, Rivard semble avoir plus de chance que l’auteure de La leçon de Jérusalem. L’intention d’Exercices d’amitié est d’abord de rendre hommage à ceux qui « partent un peu » (7), selon la formule extraite de la lettre qu’Aquin avait adressée à Rivard peu avant son suicide : « Mourir, c’est partir un peu », citée en exergue de l’ouvrage. Il y en a pourtant d’autres, d’à peu près la même génération que l’auteur, dont la présence et les oeuvres suffisent pour donner une saveur sublime à la vie d’un intellectuel montréalais, sans compter les jeunes — la relève qui pointe déjà à l’horizon — qui ont été formés dans la pépinière du professeur Rivard et qui ne sont pas nécessairement ses suiveurs ; bien au contraire, à la manière du Ménalque gidien, leur (ancien) maître les aime et les respecte justement parce qu’ils sont différents de lui. Évidemment, on pourrait dire qu’on ne lit que ce qu’on aime bien, qu’on ne côtoie que ceux dont on partage les opinions, et finalement peut-être d’ailleurs aimons-nous dans nos élèves le fait non seulement qu’ils sont des esprits assez forts pour se libérer de l’empreinte de notre enseignement, mais qu’à force d’innombrables fréquentations et discussions, ils nous sont devenus plus proches que les autres. Mais parlons de ceux qui furent les maîtres et amis. Comme le dit Rivard en décrivant la pensée de son ami Pierre Vadeboncoeur, dont le nom, les citations et les souvenirs de conversations ponctuent l’essai : Pour être libre, l’être humain ne peut pas s’enfermer dans une forme d’existence, il …
Maîtres et amis[Notice]
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KRZYSZTOF JAROSZ
Université de Silésie (Pologne)