Dossier

ANDRÉ BELLEAU : LE TEXTE MULTIPLE[Notice]

  • DAVID BÉLANGER,
  • JEAN-FRANÇOIS CHASSAY et
  • MICHEL LACROIX

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  • DAVID BÉLANGER
    Université du Québec à Montréal

  • JEAN-FRANÇOIS CHASSAY
    Université du Québec à Montréal

  • MICHEL LACROIX
    Université du Québec à Montréal

Rigoureux, André Belleau aimait peu cependant les méthodes trop rigides et préférait le diffus, le multiple et l’interdiscursivité, qui mettaient davantage à profit une véritable « essayistique ». Le précédent volet du dossier que nous lui consacrons (« André Belleau : Relire l’essayiste ») dépliait cet aspect de son oeuvre. Une attention toute particulière était alors accordée à sa manière, à sa parole qui réfutait les idées reçues. Il fallait commencer par là afin d’affirmer le statut d’écrivain qui est le sien. L’essai appelle une écriture travaillée par les contingences de la société, et en ce sens — il s’agit de la boutade que Belleau offre en ouverture de sa « Petite essayistique » —, l’essayiste est un réécrivain au même titre que le poète ou le romancier : Belleau, à juste titre, semble assumer le caractère second de son entreprise, mais, s’il commente la littérature québécoise, l’oeuvre de Rabelais et plusieurs autres, il produit aussi du discours, avance des idées, crée une pensée en travaillant directement — comme le romancier, comme le poète — à partir de la société dans laquelle il s’inscrit. Comme tout écrivain, Belleau est placé aux premières loges de la société, tâchant d’en comprendre l’évolution, d’en saisir les idéologies, les conflits, les contradictions. Et ces mouvements sont nombreux dans les années où il oeuvre, celles allant de la décennie 1960 aux années 1980. Ce Belleau préoccupé par la société, y jouant un rôle de penseur, de passeur (à l’Office national du film, à Liberté, à l’Université du Québec à Montréal), mérite que Voix et Images lui consacre un second dossier, qui mette en évidence un engagement ne se limitant pas à la littérature, même s’il y revient toujours. André Belleau n’a jamais voulu être confiné à sa spécialité littéraire, comme en témoigne l’ironie mordante de son « Portrait du prof en jeune littératurologue » : « Enseigner la littérature à l’Université, écrivait-il, c’est désormais une activité spécifique garantie par une technicité pertinente […]. Voilà le prof comme spécialiste des textes, celui qui justement procède à leur examen spécialisé, pour tout dire : un littératurologue. » Contre cette perception strictement technique, il revendiquait pour la littérature la fonction politique qui lui revient : Ces mots, écrits pour la revue Situations en 1974, permettent de prendre la mesure de son esprit critique et de sa « conception marxiste de la littérature » nourrie par les ouvrages de Lukács, évidemment, mais aussi, « dans une moindre mesure », écrit-il, par ceux de Bakhtine et d’Auerbach. Cette conception Suivre André Belleau hors des domaines précis de l’écriture essayistique, c’est-à-dire dans ses marges, c’est peut-être retrouver l’essentiel de son oeuvre — ou du moins le lieu qui permet de la saisir. En effet, le choix que fait l’essayiste de refuser la fragmentation du savoir, au nom d’une plus grande unité, le mène à investir différents médias : revues, radios, livres, cours. Il multiplie les rôles et, par là, les prises de parole diversifiées, fuyant l’étiquette de « littératurologue » que l’institution semble vouloir lui apposer. « André Belleau : le texte multiple » s’intéresse à la multiplicité générique (essais, carnets, poèmes, nouvelles, textes pour la radio, etc.), à la multiplicité des sujets aussi bien. L’oeuvre de Belleau multiplie les points de vue sur ses objets, soit par la fragmentation, soit par le saut allant du détail au regard d’ensemble, soit enfin par le refus de se loger en un centre. En effet, ce refus de parler en spécialiste depuis ce centre est inhérent à sa pratique, et on l’observe même dans sa méthode, alors qu’il ouvre sa thèse, …

Parties annexes