Dans un entretien avec Jean Marcel, Jacques Ferron déclare : On retiendra en particulier de cette citation que l’écrivain se considère non pas simplement « en marge », mais « dépendant » de cette religion. Or, une telle « dépendance » n’est pas liée bien sûr à une quelconque expérience de la foi, mais à un héritage qui se confond, en partie du moins, avec la culture catholique du Canada français. C’est en effet en tant qu’héritier que Ferron le mécréant dialogue avec un héritage qui relève autant de l’histoire que de la mémoire. Comme j’ai pu en faire état dans mes études sur Le ciel de Québec (1969) et Le Saint-Élias (1972), Ferron a, en pleine Révolution tranquille, revisité ce passé alors passablement honni sous le nom de clérico-nationalisme (ou de Grande Noirceur), afin de mettre en valeur un chapitre oublié de cet héritage culturel. Alors que le rejet du passé catholique a pu être confondu avec le rejet de la figure du pénitent — appelé à gagner son salut par la souffrance, à l’image du Christ de la Passion —, Ferron aura évoqué une autre mémoire de l’expérience chrétienne, qui se manifeste davantage par la miséricorde, la ruse, la joie, le sens commun, le légendaire du diable dupé et les divers accommodements de la religion populaire que par la soumission du croyant aux pouvoirs d’une Église ultramontaine et autocrate, prêchant le mépris de la chair, la peur du péché, de l’enfer et du châtiment. À relire les trois historiettes ici réunies — qui n’ont jamais été publiées ailleurs que dans L’Information médicale et paramédicale —, on peut certes apprécier le Ferron ethnologue à l’écoute des légendes locales et villageoises, attentif aux signes et aux façons de faire d’autrefois, soucieux de transmettre par son récit quelques fragments de la mémoire du pays incertain. Dans « Ces enfants qui agrandissaient le monde » (IMP, octobre 1979), Ferron évoque les promenades dominicales en famille dans les cimetières, lieu où l’histoire du Canada français se dévoile notamment en son métissage culturel et dans l’expression assez particulière de sa piété envers le Christ. On remarque à cet égard que sa description très personnelle de la croix de chemin — avec la petite échelle qui indique qu’on a descendu le pauvre Jésus — propose une tout autre vision que celle du Christ martyr associé au discours doloriste du pénitent. Le Christ de notre culture catholique populaire s’y révèle en effet davantage source de vie que de souffrance et de mort. On constate par ailleurs que l’écrivain mécréant n’hésite pas à parler de « l’excellent Mgr Moreau », évêque de Saint-Hyacinthe, prenant de la sorte le contre-pied d’un certain discours qui a pu condamner en bloc un clergé jugé ignorant, obscurantiste et, somme toute, néfaste au destin de la nation. Notons que dans les récits de Ferron, le clergé n’est pas une entité homogène ; il est plutôt caractérisé par une opposition entre le prêtre mélancolique et abstrait et le prêtre bon vivant, tolérant et pragmatique. Comme se plaît à le souligner l’auteur de Rosaire, le clergé n’a pas produit que des oeuvres édifiantes et pieuses puisqu’on lui doit l’invention de la « guédille », ce qui suppose un rapport de proximité avec le peuple et sa culture. Cette relecture de l’héritage catholique du Canada français est explicite également dans « Les portes du ciel » (IMP, avril 1980) et son éloquent incipit : « Nous avons été sans pitié pour les gens d’Église, injustes et mesquins, retournant contre eux leurs oeuvres de miséricorde. » Ferron rappelle ici l’importance …
Trois historiettes de Jacques Ferron, mécréant dans un pays incertain[Notice]
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Présentées par
Jacques Cardinal
Université de Montréal