ChroniquesDramaturgie

Y a-t-il un adulte dans la salle ?[Notice]

  • Lucie Robert

…plus d’informations

  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

On aura peut-être remarqué que l’écriture dramatique est généralement le fait de jeunes auteurs. Doit-on s’étonner dès lors que les textes dramatiques qui s’écrivent au présent mettent en scène des personnages qui, en termes sociologiques, reproduisent en miroir les caractéristiques génériques de leurs auteurs et qu’ils privilégient les personnages jeunes qui ont l’avenir devant eux plutôt que ceux qui sont à l’heure des bilans ? L’enjeu du héros est alors celui de « passer au rang de père ». Au risque de quelques raccourcis, on peut ainsi soutenir que le Cid et Tit-Coq sont, de ce point de vue, de la même génération. De même pour Marion De Lorme, Fanny ou Carmen, même si celles-ci doivent plutôt sortir de « la maison du père ». Les personnages féminins écrits par des femmes — pensons à ceux de Carole Fréchette (Béatrice, Violette, Élisa, Hélène, Marie) — sont plus souvent dans la position de sujet à l’identité forte, mais n’en traversent pas moins semblables étapes. Les pièces dont il est question ici mettent ainsi en présence des jeunes adultes, aux prises avec la condition qui est la leur : petits boulots, amours de surface, amitiés bon marché. Il s’agit de portraits, parfois de tranches de vie, qui jamais ne laissent voir l’emprise de leur auteur sur le réel. Les pièces antérieures de Fabien Cloutier, Scotstown par exemple, présentaient une structure proche de celle du conte : les anecdotes se succédaient, réunies autour d’un personnage ou d’un lieu pivot, suggérant fortement une instance narrative chargée de distribuer la parole. Pour réussir un poulet (pièce qui a obtenu le Prix du Gouverneur général 2014), créée le 23 septembre 2014 au théâtre La Licorne, dans une mise en scène de l’auteur, renonce à cette structure pour faire place à une action dramatique plus conventionnelle où les personnages sont laissés à eux-mêmes. L’ensemble tourne autour de Steve et de Carl, deux jeunes hommes instables, incapables de conserver un emploi plus de quelques jours et donc d’assumer les responsabilités qui sont les leurs, notamment en ce qui a trait à leurs conjointes et à leurs enfants. Devant eux, deux femmes : Mélissa, l’amoureuse de Steve qui s’échine à servir les clients du restaurant, et Judith, qui passe ses journées sur Internet à regarder des vidéos comiques et idiotes, mais qui sait ou croit saisir les occasions d’affaires qui se présentent. Entre les deux couples, Mario, l’homme d’affaires véreux, propriétaire du centre d’achats, toujours en quête d’employés pour réaliser ses combines douteuses, comme saboter les funérailles d’un client qui n’aurait pas payé ses dettes avant de mourir ou encore, et c’est l’anecdote qui fait tenir la pièce, se lancer dans la contrebande d’huîtres : « Avec vot’ secondaire trois pas fini/On s’entend-tu que/Quand y arrive des occasions/Faut en profiter. » (47) Le voyage fut évidemment trop long, le camion mal réfrigéré, les clients peu satisfaits, de sorte que Steve et Carl se retrouvent encore plus endettés après l’expérience qu’avant. Mélissa n’en peut plus : « Travailler/C’est avoir tant d’heures à faire/Entre telle heure pis telle heure […] C’est s’faire chier mais l’faire pareil. » (71) Rien à faire. Steven ne répond plus au téléphone et Mario propose à Carl de vendre ses deux filles à un souteneur. « C’est réglé, hein ? » (76) Le poulet est désormais bien cuit. Le propos de As is (tel quel) de Simon Boudreault, pièce créée au Théâtre d’Aujourd’hui le 11 mars 2014, dans une mise en scène de l’auteur, n’est pas si différent. L’action (car il y a une action) se passe dans le sous-sol de l’Armée du Rachat (!). Saturnin, …

Parties annexes