Récit assez bref que l’éditeur qualifie de roman, Un bus pour Tokyo de Jean-Sébastien Huot fait assurément preuve de beaucoup d’inventivité. Un homme laisse tout tomber, se retrouve à la gare d’autocars de Montréal, sans que l’on sache exactement pourquoi, puis achète un billet pour San Francisco, un voyage prévu de soixante-douze heures. L’objectif du narrateur est de se joindre au San Francisco Crazy Boy Karate Club. Motivé par l’idée du combat et influencé par la console de jeu Game Boy, c’est en réalité à la suite de la lecture d’un extrait d’un « livre dont vous êtes le héros », Le combattant de l’autoroute, feuilleté à la tabagie de la gare, qu’il décide de partir. Après un premier trajet vers le sud (New York), le voyageur effectue une traversée des États-Unis, d’est en ouest. Comme il ne respecte pas toujours les horaires et qu’il s’arrête plus longtemps que prévu dans certaines villes, il connaît des aventures intrigantes, bizarres. Il donne l’impression d’avoir la maturité d’un jeune homme de vingt ans, mais les événements de son passé laissent croire qu’il est plus âgé. Les dates ne sont pas précisées. Sommes-nous en 1993, en 2003, en 2013 ? Le voyage sera, somme toute, peu concluant : sans véritable surprise, on comprend que la traversée elle-même compte plus que la destination finale. Si le périple est présenté de manière chronologique, le récit procède à un va-et-vient constant entre le présent et le passé. On n’apprend jamais le nom du protagoniste, mais il révèle au lecteur son enfance et son adolescence, notamment ses voyages hebdomadaires en autocar avec sa soeur entre Québec (chez son père) et Montréal (chez sa mère). Presque tout devient un prétexte pour raconter son passé : moments marquants, événements joyeux ou traumatisants, voyages, tous bien ancrés dans le réel. Au contraire, la vraisemblance disparaît un peu plus à chaque étape du voyage, et le présent perd ainsi petit à petit ses liens avec la réalité. L’avant-dernière étape du parcours, de Salt Lake City (Utah) à Reno (Nevada), ne se déroule plus en autocar, mais bien sur un nouveau type de tapis volant, plus particulièrement un carré de trottoir en ciment sur lequel le protagoniste navigue dans les airs. La culture reste une grande absente d’Un bus pour Tokyo : presque rien sur la politique, les arts, la littérature, si ce n’est la reproduction de quelques poèmes et les liens intertextuels avec le roman jeunesse. Quant aux références à la peinture, elles ne paraissent pas très convaincantes : « Mon déjeuner éclate sur le sol, le dessin formé s’apparentant à la couleur sur une toile de Willem De Kooning. » (43) C’est un roman qui pense assez peu, mais on y trouve une certaine réflexion sociale sur les personnages marginaux que le protagoniste rencontre. Il lui arrive des aventures surprenantes et il réussit à se sortir de situations délicates de manières abracadabrantes, souvent lors de combats inusités, comme lorsqu’il échappe à son ravisseur dans un restaurant new-yorkais au moyen d’une lutte étrange avec des aliments. C’est aussi durant cette prise d’otage que l’on constate son obsession pour la nourriture, car ce qui l’a profondément dérangé, c’est d’avoir dû s’« abstenir de manger pendant près de cinq heures » (44). Son appétit gargantuesque l’incite à se gaver d’à peu près n’importe quoi. Amateur de malbouffe, le narrateur est bien servi durant son voyage et se plaît à recourir à l’énumération — incidemment à l’amplification ou à l’exagération — afin de donner la mesure de tout ce qu’il voudrait ou pourrait manger. Le récit est parsemé de commentaires intéressants sur …
Lieux, espaces et voyages[Notice]
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Pascal Riendeau
Université de Toronto