C’est, comme la revue ne l’a fait que pour de rares écrivains, le deuxième dossier que Voix et Images consacre à André Major, près de trente ans après celui qu’elle lui dédiait en 1985 (vol. X, no 3, sous la responsabilité d’André Vanasse). Deux raisons principales justifient à nos yeux cette relecture. D’une part, l’oeuvre d’André Major, reconnue notamment par le prix Athanase-David en 1992, saluée par la critique comme le montre la mise à jour bibliographique que nous proposons, analysée dans des mémoires et des thèses, n’a pourtant pas, à ce jour, retenu toute l’attention critique qu’elle mérite dans les études de littérature québécoise. Longtemps cantonnée à une lecture d’abord politique, elle a sans doute pâti d’une association trop systématique à cet enjeu. D’autre part, cette oeuvre s’est en bonne partie redéfinie et repositionnée aux marges de la littérature par la pratique, revendiquée comme quasi exclusive, du carnet (Le sourire d’Anton ou l’adieu au roman [2001], L’esprit vagabond [2007] et Prendre le large [2012], les trois livres couvrant la période de 1975 à 2000). Que cet « adieu au roman », à la fiction et à la littérature canonique n’ait pas été absolu, ce dont témoigne la publication de deux romans, La vie provisoire et À quoi ça rime ?, illustre à quel point ce débat sur les genres et l’interrogation sur la fonction de la littérature dynamisent l’écriture d’André Major, qui s’en explique d’ailleurs dans l’entretien que nous publions dans ce dossier. Cas à peu près unique dans la littérature québécoise, Major, qui a contribué à la définir et à la promouvoir, entend n’y participer qu’à partir d’un écart, d’une certaine « retraite » maintes fois figurée et thématisée dans ses écrits, et bien avant la rédaction des carnets, comme le montre le dossier. L’originalité et le paradoxe de cette position — et des textes qui l’aménagent et la défendent — nous semblent en justifier l’examen, à la fois dans les publications les plus récentes et dans l’ensemble de l’oeuvre, qui gagne à être ainsi rétrospectivement réévaluée. Lue depuis les derniers tomes des Carnets, l’oeuvre d’André Major impose en effet une forte cohérence, aussi bien thématique que formelle et peut-être plus encore éthique, cohérence que soulignent les nombreux échos qu’on trouvera entre les articles de ce dossier et l’entretien que l’écrivain nous a accordé. Dans cet entretien, réalisé au cours de l’été 2014, Major insiste à plusieurs reprises sur les tensions qui structurent son univers et qu’il perçoit, dès « ses premières tentatives d’écriture », entre la fiction et « la prose émiettée des carnets » ; entre la note prise au hasard d’une promenade et le travail de récriture et d’épure qui autorise à la donner à lire ; entre la ville et les « bois montueux » du frère Marie-Victorin ; entre la tentation du silence et le désir de communiquer avec le lecteur. Loin de chercher à les résoudre, André Major situe dans ces tensions aussi bien ses lectures que son travail d’écrivain, qui en est indissociable. Tenant à distance les mondanités et les prétentions de la littérature au profit d’une saisie de l’élémentaire, il positionne sa pratique dans une recherche où l’authenticité commande à l’esthétique et non l’inverse. Il revendique fermement « la concision du vocabulaire, la netteté du trait et le rythme de la phrase », à l’écart des modes, sans jamais renier le réalisme. Outre cette fidélité à un souci de la forme qui vaut pour l’ensemble de l’oeuvre ressort aussi fortement des propos d’André Major la place singulière qu’occupe la dimension autobiographique dans son écriture. En …
André Major : l’interrogation des formes[Notice]
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Robert Dion
Université du Québec à MontréalÉlisabeth Nardout-Lafarge
Université de Montréal