ChroniquesRoman

Enfance, famille, deuil[Notice]

  • Pascal Riendeau

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  • Pascal Riendeau
    Université de Toronto

Lauréat du prix Robert-Cliche en 2007 pour son premier roman, Balade en train assis sur les genoux du dictateur , Stéphane Achille en signe un second, Corbeau et Novembre , dans lequel l’enfance joue un rôle primordial. Dès le départ, on constate un léger déplacement : les noms du titre ne sont pas ceux des protagonistes, mais plutôt ceux de personnages secondaires. La place marginale de ces derniers dans le récit va de pair avec la marginalité de leur mode de vie simple, eux qui vivent dans un chalet construit de manière artisanale, sans électricité, situé en dehors du village, sur un terrain qui ne leur appartient pas. Ces personnages qui, dans les années 1980, continuent de mener une vie communautaire demeurent une source de distraction pour les résidents du village où habitait le narrateur du roman, Charles-Alexandre Dulong. La structure de ce roman de facture classique est divisée en deux parties présentées en alternance. Dans la première, en 2009, le narrateur apprend la mort de sa mère et ne sait pas trop comment vivre son deuil autrement qu’en se rendant au travail, comme si de rien n’était : « Je n’avais pas pensé en me pointant ici ce matin que ce n’était pas si simple, être en deuil. Il faut marcher au pas et bien faire l’endeuillé. Ça peut vite devenir compliqué. » (13) Dans la seconde, il raconte comment, un quart de siècle plus tôt, des événements multiples ont irrémédiablement changé sa vie, alors qu’il n’avait que dix ans, dans ce village dont on ne connaîtra jamais le nom. Le chalet que Corbeau et Novembre ont construit et occupé jusqu’à l’été 1984 représente pour le protagoniste le symbole de son passé trouble, de son malheur. Le récit d’enfance nous fait comprendre, en quelque sorte, comment Dulong est devenu ce personnage obsédé et maniaque. Avocat de formation, il supervise la rédaction de guides d’utilisation d’une entreprise d’électronique. Ses préoccupations pour les détails frôlent souvent le ridicule, ce qui permet à l’ironie de s’infiltrer dans le roman au moment opportun. Les jours presque identiques de l’été 1984 ont d’abord pris une tournure différente par l’arrivée inattendue de Kevin, un garçon qui a presque le même âge que Charles-Alexandre. Après avoir quitté une secte dirigée par un mystérieux patriarche, ne pouvant pas trouver d’endroit où se loger à leur arrivée au village, Kevin et Jocelyne, la femme qui l’accompagne — est-ce sa mère ou non ? —, s’installent chez les Dulong. Ni Kevin ni Charles-Alexandre ne connaissent leur père respectif. Suzanne, la mère autoritaire de celui-ci, directrice de l’école du village, a toujours refusé de lui révéler son identité. Ces secrets constituent des éléments importants du suspense et ils contribuent à entretenir l’étrange relation entre le fils et sa mère, qui durera jusqu’à ce que celle-ci meure. Malgré la lourdeur qui parcourt le roman, on assiste à quelques moments humoristiques grâce à Kevin. Jusqu’à son arrivée au village, le garçon a vécu à l’écart du monde, sans fréquenter l’école. Il ne sait pas ce qu’est le Canada, à quoi sert une banque, pourquoi les enfants vont à l’école, et il ignore comment interpréter ce qu’il voit à la télévision. Cela crée un déséquilibre dans le nouvel univers qui l’entoure : au milieu de l’été, « Kevin fai[t] encore mal la différence entre les films à Ciné-Quiz et la réalité » (141). On assiste ensuite à la dispersion du petit groupe d’amis de Charles-Alexandre au sein duquel la moquerie et la mesquinerie dominent, mais c’est la disparition de l’un d’entre eux, Jean-François, surnommé Botte-d’eau, qui transforme cet été en véritable drame. …

Parties annexes