ChroniquesDramaturgie

Pour la suite du monde[Notice]

  • Lucie Robert

…plus d’informations

  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

Les auteurs dramatiques nous ont habitués aux catastrophes familiales vécues comme autant de contraintes ou limites au devenir du personnage. La référence familiale n’en finit pourtant plus de s’imposer, comme le montrent encore les pièces dont il est question ici. Après tout, c’est aujourd’hui que se créent ou se vivent les événements que l’avenir transformera en traumatismes ou en Histoire. Aussi bien les reconnaître et en disposer convenablement. Demeure néanmoins cet effet de déjà-vu créé par le retour des personnages obsédants de pères et de mères et malgré le recentrement des textes dramatiques sur les enfants (ou les très jeunes adultes) qui devront regarder en aval après avoir reçu l’héritage en amont. De même, le sujet vieillissant doit apprendre à gérer le temps, y compris celui des parents qu’il est destiné à remplacer. Peut-être en est-il ainsi des publics du théâtre, qui s’épuisent ou qui s’étiolent, dit-on. Du coup, les fictions proposées ramènent d’anciennes préoccupations sous un oeil neuf, parfois hérité des textes dramatiques destinés aux jeunes publics. En ce sens, la vie apparaît comme une spirale, qui se vit en boucles, sans jamais repasser exactement au même endroit. L’on connaît la relation étroite qui unit Evelyne de la Chenelière et le Nouveau Théâtre Expérimental. Doit-on s’étonner dès lors de la voir renouer avec l’oeuvre de Marie Cardinal, dont elle a récemment adapté le roman Une vie pour deux, sous le titre La chair et autres fragments de l’amour  ? Créée à l’Espace Go le 24 avril 2012, dans une mise en scène d’Alice Ronfard, la fille de Marie Cardinal, la pièce est publiée avec un avant-propos de l’auteure qui s’interroge « sur l’abondance de l’écriture dramatique contemporaine au Québec » (8) et craint, en ajoutant au lot, de se noyer elle-même dans une mer de produits culturels. Aussi entend-elle cette fois « [n]e pas écrire une nouvelle pièce de théâtre » sortie de son imagination ; elle choisit « de fouiller, d’extraire, d’assembler et de répondre » (7). Toutefois, outre les accointances de nature personnelle, pourquoi choisir cette auteure en particulier ? Celle-ci, de l’aveu même de la Chenelière, n’est « absolument pas à la mode », ni elle comme personne, ni ses thèses sur la maternité, l’enfance, la nostalgie, la féminité, l’amour et le désamour, lesquelles s’opposent à l’action, à la violence, à la cruauté, au vide intérieur plus fréquemment travaillés sur les scènes actuelles. Sans doute faut-il voir ici un hommage autant qu’un déplacement thématique, mais sans doute aussi que l’écriture de Marie Cardinal propose des interrogations qui rejoignent l’auteure dramatique dans sa démarche artistique autant que dans sa vie privée. Car il y a une réelle parenté entre ces deux femmes, que La chair et autres fragments de l’amour permet de saisir à sa juste mesure. Et, s’il est vrai que Cardinal n’a pas écrit pour le théâtre, l’importance qu’elle accorde aux mots et au corps rejoint la matérialité de la création théâtrale. La pièce d’Evelyne de la Chenelière est divisée en dix tableaux et met en scène un couple, Jean et Simone, en vacances dans un coin isolé de l’Irlande. C’est Simone qui a proposé ces vacances familiales dans l’espoir de reconstruire un couple dont elle sent bien qu’il se dissout peu à peu. Sans querelle et sans violence, la distance entre les deux protagonistes ne se révèle qu’aux tout petits riens de la vie quotidienne. L’action serait bien mince si Jean ne découvrait un cadavre sur la grève. C’est de cette manière que commence la pièce, sur la question de Simone : « Un cadavre ? Un cadavre de quoi ? Un …

Parties annexes