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  • Martine-Emmanuelle Lapointe

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  • Martine-Emmanuelle Lapointe
    Université de Montréal

La parution de La fiancée américaine  d’Éric Dupont à l’automne 2012 n’est pas passée inaperçue. Les critiques de nombreux quotidiens québécois ont le plus souvent salué l’admirable talent de conteur de l’auteur et le caractère riche, complexe et foisonnant des multiples histoires qu’il a su réunir dans son ample roman. La fiancée américaine est sans contredit une oeuvre ambitieuse qui se présente à la fois sous la forme d’une saga familiale, d’une fresque historique, d’un récit de filiation, et qui ose également conjuguer des genres et des tons différents. Le conte folklorique, l’absurde, le réalisme magique, le journal intime, l’échange épistolaire s’entrelacent et donnent lieu à un texte composite, sorte de collection de petits romans reliés les uns aux autres par l’histoire de quatre générations issues d’une même lignée. Cette remarquable liberté d’écriture, qui est au fondement même de l’art romanesque, notons-le, n’est pas sans rappeler le style de certains romans fleuves parus au Québec dans les années 1980-1990. Les Chroniques du Plateau-Mont-Royal  de Michel Tremblay ou encore Maryse et Myriam première  de Francine Noël, best-sellers reçus favorablement par la critique, entretiennent eux aussi un rapport « décomplexé » à l’écriture et à l’Histoire, s’approprient librement les codes de la fiction, se jouent des catégories et des étiquettes. Sans en être absents, le travail sur l’écriture et l’exploration formelle s’y accompagnent d’un constant souci de lisibilité, d’un goût marqué pour le récit, l’anecdote, l’humour. C’est dans cette filiation-là, me semble-t-il, que s’inscrit La fiancée américaine. À Rivière-du-Loup, en 1917, Madeleine-la-Mére, matriarche et mémoire vivante de la famille Lamontagne, tente de trouver une fiancée prénommée Madeleine à son fils Louis-Benjamin. Après des recherches infructueuses et des fiançailles rompues , elle devra se tourner vers son frère exilé aux États-Unis qui aurait adopté « une petite Madeleine, orpheline de Canadiens français » (17). Quelques mois plus tard débarque à Rivière-du-Loup la fameuse fiancée américaine du titre, rousse aux yeux sarcelle, unilingue anglophone, cuisinière accomplie, qui séduit en un regard le beau Louis-Benjamin : « C’est donc un coup de foudre, ou son équivalent nordique, l’aurore boréale, qui marqua la première rencontre entre le costaud Lamontagne et Madeleine l’Américaine. » (19) Leur idylle ne durera pas un an : Madeleine l’Américaine meurt en couches après avoir donné naissance à Louis, surnommé plus tard le Cheval Lamontagne en raison de sa force et de sa taille surhumaines. C’est autour de ce héros singulier que s’organisera plus du tiers du roman. Homme fort se donnant en spectacle sur les routes des États-Unis, enrôlé dans l’armée américaine pendant la Deuxième Guerre mondiale, le bellâtre fort en gueule multiplie les aventures et les conquêtes avant de fonder une famille et de devenir le croque-mort vedette de Rivière-du-Loup. La suite du roman s’attache aux descendants de Louis Lamontagne, soit sa fille Madeleine et ses petits-fils Gabriel et Michel. À leurs voix s’ajoute celle de Magdalena Berg, la voisine berlinoise de Gabriel. Ce double lointain de Madeleine Lamontagne relate dans ses trois cahiers sa jeunesse vécue pendant la Deuxième Guerre mondiale. Sans être dépourvues d’intérêt, les dernières parties du roman ne revêtent pas la même truculence stylistique et narrative que les chapitres consacrés aux exploits et aux récits hyperboliques du Cheval Lamontagne. L’adjectif « hyperbolique » convient d’ailleurs parfaitement au personnage du Cheval Lamontagne, qui est plus grand que nature, un peu à la manière des héros traditionnels, dont les vices comme les vertus ont un caractère excessif. Une scène du roman témoigne de manière particulièrement éloquente de l’aura de légende qui accompagne ce personnage à la réputation sulfureuse. À son retour d’Europe, il est le héros du …

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