Les recherches sur l’histoire littéraire des femmes se font plus nombreuses depuis quelques années. Après Les femmes dans la critique et l’histoire littéraire , en France, paraissent au Québec quatre ouvrages qui s’inscrivent dans une relecture de la présence des femmes en écriture : deux collectifs dirigés par Chantal Savoie, Histoire littéraire des femmes : cas et enjeux , ainsi que Sans livres mais pas sans lettres : renouveler l’histoire et l’étude des pratiques d’écriture des femmes, celui-ci en collaboration avec Marie-José des Rivières ; Je voudrais bien être un homme. Correspondance littéraire entre Simone Routier et Harry Bernard, dans une édition préparée par Guy Gaudreau et Micheline Tremblay ; et, sur un plan légèrement différent, Les mots de désordre. Édition commentée des éditoriaux de La Vie en rose [1980-1987] , de Marie-Andrée Bergeron. Lorsqu’on lit, de front, les deux ouvrages dirigés par Savoie et Savoie et des Rivières, on constate que les deux contenus se complètent, sans jamais se répéter, donnant à soupçonner l’étendue de ce qu’il nous reste à découvrir sur les femmes et confirmant la multiplicité des angles de recherche possibles. Je m’attarderai ici plus spécifiquement, vu la vocation de Voix et Images, aux textes qui portent sur l’histoire littéraire québécoise même si certaines avancées concernant la littérature française peuvent expliquer des phénomènes plus généraux : je pense, notamment, au texte de Marie-Ève Thérenty sur la chronique (HL, 23-56) dont les hypothèses guident abondamment les recherches effectuées au Québec sur les femmes journalistes. Savoie avance, en introduction, que « la tendance à dater les “premières” et à survaloriser l’innovation confine le passé littéraire féminin à de petits apartés de l’histoire littéraire générale » (HL, 10-11). Je ne suis pas convaincue que les ouvrages recensés ici évitent totalement ce piège, dans la mesure où — il faut bien commencer quelque part — la plupart des collaboratrices et des collaborateurs se sont penchés sur des situations ou des personnes exemplaires faisant figure, justement, de cas à part, dans un ensemble plus vaste qui les dépasse et en étouffe quelquefois l’importance ; il reste que soulever ainsi des pans d’une histoire littéraire jusqu’ici évacuée réserve de bien belles surprises. Éva Circé-Côté fait l’objet de trois textes, confirmant son statut de référence : elle a été, dit Savoie, « plus souvent étudiée pour ses idées avant-gardistes que pour ses qualités littéraires » (HL, 13). Geneviève Dufour (HL, 77-102) tente de combler cette lacune en se penchant sur Bleu-blanc-rouge, ouvrage composé de chroniques et de poèmes et en posant comme a priori que l’ouvrage porte les marques d’un certain romantisme. Sara-Juliette Hins (HL, 57-75) s’attarde aux variations de l’écriture de Circé-Côté selon les pseudonymes qu’elle emploie pour signer ses chroniques, Fantasio affichant une langue plus soutenue et Maheu faisant dans le populaire. L’analyse intéressante de cette gymnastique rhétorique pourrait ouvrir sur une approche intersectionnelle en ce qu’elle serait à même de révéler comment Circé-Côté projette dans ses chroniques signées Fantasio ou Maheu sa vision des genres et des classes sociales. Les cinq lettres, enfin, échangées entre la journaliste et Marcel Dugas, et analysées par Andrée Lévesque (SL, 45-59), permettent de situer Circé-Côté dans un contexte privé et d’illustrer à quel point cette femme s’inscrivait dans la marge : l’écrivaine, « vient “de trois générations d’incroyants” », souligne l’auteure de l’article (SL, 53). Michel Lacroix présente aussi une femme exceptionnelle, mais d’un tout autre point de vue : il rappelle à notre mémoire Michelle Le Normand (HL, 167-189), une auteure mais surtout une …
« Femmes exceptionnelles : des exceptions à quelle règle ? » Nouveaux regards sur l’histoire littéraire des femmes[Notice]
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Lucie Joubert
Université d’Ottawa