Les deux romans commentés dans cette chronique ont peu de points en commun. Le premier est campé dans une forêt située à des kilomètres de Montréal, met en scène des vieillards isolés du reste du monde et revisite la petite histoire du nord de l’Ontario. Le second est résolument urbain, attaché à des personnages sombres et marginaux. Aussi différents soient-ils, les deux romans explorent des « ailleurs improbables », offrent de singulières poétiques des lieux, dépassent le concret pour embrasser l’univers de la fable, parviennent à inventer des espaces neufs, insoupçonnés. Le roman se place d’emblée du côté de la puissance des sentiments, de la loyauté à toute épreuve et de l’amour, comme s’il s’agissait de redonner leurs lettres de noblesse à des thèmes universels négligés ou explorés sur un mode dysphorique dans la littérature contemporaine. Les personnages mis en scène par Jocelyne Saucier sont en effet plus grands que nature, sorte de héros épiques, figures issues d’un imaginaire ancien, transplantés dans une forêt du nord de l’Ontario. C’est sans doute ce qui explique, en partie du moins, le succès du roman. Sans se détacher complètement des courants dominants de la littérature québécoise contemporaine, Il pleuvait des oiseaux renoue avec une sorte de confiance en la nature humaine. Cette confiance ramène à la beauté, voire à la vérité, d’amitiés nouées en dehors de toute contrainte sociale. Comme le précise le prologue, c’est dans un ailleurs improbable qu’évoluent les personnages de Jocelyne Saucier. Réfugiés dans leur forêt impénétrable, à des kilomètres de toute civilisation, trois hommes vieillissants, presque centenaires, ont choisi de vivre leurs dernières années selon leurs seuls désirs. Charlie, le trappeur de fin de semaine, Tom, jadis passeur d’or, et Ted, l’un des derniers survivants des Grands Feux qui ont dévasté le nord de l’Ontario au début du xxe siècle, forment une communauté quasi insulaire. Loin des maisons de retraite qui imposent un morne quotidien, ils ont renoncé à leurs anciennes identités, à leurs statuts, à leurs vies de famille pour se préparer à une mort digne. Ils ont même signé un pacte de mort, « simplement la parole donnée de l’un à l’autre que rien ne serait fait pour empêcher ce qui devait être fait si l’un devenait malade au point de ne pouvoir marcher, s’il devenait un poids pour lui-même et les autres » (35). Ils sont protégés par Bruno et Steve, singuliers locataires d’un hôtel très peu fréquenté. Peu de temps après la mort de Ted, « mort de sa mort » (35), la petite communauté se reforme autour de deux autres personnages, soit une photographe fascinée par les témoignages concernant les Grands Feux et, surtout, Marie Desneiges, la tante en fuite de Bruno. Après avoir passé soixante-dix années dans un hôpital psychiatrique, cette dernière connaîtra enfin le bonheur. Elle sera accueillie par la petite communauté, nouera même une touchante histoire d’amour avec Charlie : En accordant de nouvelles vies à ses personnages, Jocelyne Saucier s’attache à détourner plusieurs lieux communs sur la vieillesse. Ses vieillards n’ont rien à envier aux jeunes qui les entourent : libres, insoucieux des convenances, ils se sont construit un univers à leur mesure où les contraintes ont été effacées. Mieux, ils arrivent enfin à vivre hors du temps social. Leurs jours ne sont plus ponctués de rituels artificiels, mais respectent le rythme des saisons et la lenteur de la nature. Au présent des vieillards se superpose l’histoire des Grands Feux. Par l’entremise de retours en arrière, l’auteure exhume les principaux événements qui ont jalonné ce moment traumatique de l’histoire ontarienne. Le destin de Ted, ou Ed Boychuck, « figure …
« Ailleurs improbables »[Notice]
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Martine-Emmanuelle Lapointe
Université de Montréal