Comment parler de l’Amérique aujourd’hui sans emprunter les mots des autres, sans recourir à des évidences et à des lieux communs si éculés qu’ils ne disent plus que leur propre vacuité ? Des grands espaces indomptés aux forêts sauvages, des routes secondaires aux motels isolés, des drive-in aux banlieues-dortoirs, l’Amérique semble se résumer à quelques images publicitaires issues d’un proche passé. Si l’Amérique n’existe pas, c’est parce qu’elle existe trop, c’est parce qu’on s’est acharné à la figer en des poses impossibles, grimaçantes, où se conjuguent trop souvent fantasmes de refondation et surenchère consumériste. Dans Intérieurs du Nouveau Monde, paru il y a près de quinze ans déjà, Pierre Nepveu s’en prenait à la notion d’américanité qui « a trop souvent signifié (et signifie de moins en moins, heureusement) une immense ignorance de l’Amérique et sa réduction à des valeurs stéréotypées ». Il s’attachait plutôt aux « autres manières d’être dans le Nouveau Monde », plus intérieures et subjectives qu’héroïques. Les deux ouvrages que je commenterai dans cette chronique présentent des manières autres d’être, et de ne pas être, dans le Nouveau Monde. L’on pourrait même aller jusqu’à dire que, pour Samuel Archibald et Catherine Mavrikakis, l’Amérique n’existe peut-être pas. Je me suis d’emblée interrogée sur le choix de l’appellation générique imprimée sur la couverture d’Arvida de Samuel Archibald. « Histoires » au pluriel… Ce mot annonçait-il que les textes réunis en recueil entretiendraient un quelconque rapport avec le référent, la vérité historique ; en un mot, le réel ? Ou traduisait-il au contraire le caractère fabriqué, invraisemblable, desdits textes ? La réponse, nous apprend « Madeleines », la dernière histoire du recueil, se situe dans l’entre-deux, entre fidélité au référent et invention de fictions, entre brefs récits de filiation, souvenirs remémorés, historiettes au sens bien ferronien du terme, et contes cruels inspirés en partie par le lieu de naissance de l’auteur. Le livre rassemble, selon le narrateur du dernier fragment, Des histoires, donc, non pas seulement venues du cru, mais campées ailleurs, aux confins de l’Amérique, dans une ville surréelle du Japon, à Paris et, bien sûr, à Arvida. On a beaucoup insisté sur la régionalité du livre de Samuel Archibald. N’y aurait-il pas lieu de s’interroger sur le retour de l’arrière-pays et d’un certain folklore dans la littérature québécoise ? Les contes de Fred Pellerin, les oeuvres de Nicolas Dickner, de Louis Hamelin, de Lise Tremblay, de Jean-François Beauchemin et de Samuel Archibald seront cités pêle-mêle, comme si le seul fait d’écrire sur un autre lieu que Montréal constituait une innovation thématique ou une signature stylistique . Si le renvoi de productions culturelles aussi différentes à la même vulgate a de quoi étonner, l’idée d’associer Arvida à une sorte de folk littérature me semble tout aussi discutable. Arvida, la ville historique, la vraie, n’a rien de folklorique. Bien au contraire, elle est absolument moderne. Imaginée par Arthur Vining Davis dans les années 1920, tout récemment donc, elle est chez Archibald le berceau et le tombeau des rêves d’une certaine Amérique : « cette ville modèle était la petite utopie d’un milliardaire philanthrope, montée de toutes pièces au beau milieu de nulle part » (208). Mais de quelle Amérique est-il question dans Arvida ? Non pas du Nouveau Monde fantasmé en paysages infinis, à la nature abondante et généreuse, mais de l’Amérique des May West, du hockey, des Ski-Doo, des gros chars états-uniens — Ford Galaxie, Thunderbird — et des forêts trouées par des bûcherons besogneux. L’Amérique « est une mauvaise idée qui a fait du chemin. […] [L]’Amérique est une mauvaise idée qui a fait …
Et si l’Amérique n’existait pas[Notice]
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Martine-Emmanuelle Lapointe
Université de Montréal