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Lectures idiosyncrasiques[Notice]

  • Krzysztof Jarosz

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  • Krzysztof Jarosz
    Université de Silésie

J’ai la vergogne d’avouer que certains textes critiques me donnent, bien à leur insu et parfois sans aucun lien apparent avec le sujet dont ils traitent, une envie de broder sur eux et à côté d’eux des réflexions qui concernent mes préoccupations du moment ou celles dont le souvenir, plus fortement enraciné qu’on aurait cru, émerge en marge du texte lu. Il me semble que c’est là un service inattendu, mais somme toute assez fréquent, que nous rendent les textes de nos éminents collègues. Le compte rendu de deux textes à l’origine de cette chronique a ainsi pris un tour inattendu, celui de mes idiosyncrasies. À la réflexion je me dis, tout en battant ma coulpe, que cette attitude est inscrite en germe dans l’esthétique même de la chronique. Moi-même traducteur à mes heures, je n’ai pas su résister au charme fou de ce livre qu’est l’essai — une suite d’essais, en fait — de Normand Chaurette, dramaturge qui se présente cette fois-ci comme le traducteur de Shakespeare . Traduire est une chose et en parler en est une autre. En tant que praticien, j’adore entendre parler de la traduction, ou plutôt j’adorerais cela si les propos métatraductologiques ne relevaient pas, dans la plupart des cas, du moule générique de trois archidiscours : linguistico-technique, pseudo-intello-impressionniste et grandiloquent-philosophique. La première et la troisième de ces manières de traiter de la traduction ont leurs mérites : constituant un no man’s land dont on aimerait s’emparer, le territoire de la traduction est ainsi, selon la formation première de celui qui l’aborde, définissable en termes tantôt linguistiques, tantôt littéraires. Chacune de ces deux manières a aussi ses défauts qui lui viennent surtout de son unidimensionnalité. Le deuxième discours, eh bien ! que celui ou celle qui n’y a jamais eu recours pour parler d’une traduction ose jeter la première pierre ! C’est par ces « j’aime, je n’aime pas » péremptoires, agrémentés parfois de quelques remarques aussi vagues que catégoriques et expéditives, que s’accomplit une critique d’humeur qui est une critique d’autorité (la nôtre, bien sûr) auto-octroyée et facilement partagée par notre honorable auditoire. Qu’il est rassurant, pour un critique improvisé et pour son ou ses interlocuteurs du moment, de retrouver une entente amicale basée sur une opinion dûment partagée, et sincère par-dessus le marché, parce qu’on croit dur comme fer qu’elle est bien fondée, étant le résultat de notre lecture de la traduction (aussi inattentive et capricieuse qu’elle ait été). Personne, évidemment, ne se donne la peine de lire (ou de relire) l’original dont on garde (si on l’a lu) un souvenir bien vague, forcément sélectif et inévitablement contaminé par des interférences avec d’innombrables autres lectures qu’on a effectuées depuis. Si je me permets de commencer ma chronique par ce mélange d’aveux personnels et de généralisations elles-mêmes peut-être tout aussi péremptoires que celles que je reproche aux autres, c’est que ce sujet touche une fibre vitale de ma longue expérience de traducteur pour qui la traduction est, à chacune de ses étapes, une suite d’innombrables décisions, de tergiversations, de petites satisfactions auxquelles se mêlent inextricablement des déceptions passagères — dont on se remet avec un léger dégoût, tout en courant déjà vers d’autres épreuves qui nous attendent juste au sortir de la phrase que nous venons de traduire. Si j’ai toujours refusé les invitations à parler de mon travail devant des auditoires savants et moins savants, c’est que la vérité de ces longs moments pendant lesquels le traducteur est en même temps soi-même et, dans une certaine mesure, l’auteur traduit qu’il poursuit dans les détours les plus intimes de sa pensée et de …

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