Dans Voyage au Maghreb en l’an mil quatre cent de l’Hégire , Louis Gauthier renoue le fil de ses précédents récits de voyage, publiés sous les titres Voyage en Irlande avec un parapluie, Le pont de Londres et Voyage au Portugal avec un Allemand . Comme dans les premiers volumes de la tétralogie, Voyage au Maghreb met en scène un voyageur qui relate les expériences, les rencontres et les menus bonheurs et désagréments qui traversent sa vie d’errance. L’histoire peut sembler banale : quelques mois avant le référendum de 1980, un homme quitte le Québec pour soigner un chagrin d’amour. Au fil de ses déplacements, il adresse des lettres — imaginées dans le vif de ses aventures — à Angèle, la femme qui l’a quitté. Si l’intrigue est minimale, attachée presque entièrement au discours d’une conscience, elle n’en est pas pour autant narcissique. Le narrateur se regarde avec une certaine distance, refuse la complaisance, ose mettre en doute ses moindres certitudes en les confrontant aux opinions des autres. Sa quête et sa destination ultimes — l’Inde — ne sont que prétextes à une lente redécouverte de soi. Celui qui cherchait à être ébloui, attendant un miracle, en vient à mieux comprendre ce qui l’anime et renonce par là même à conférer un sens à son voyage. Dans une lettre à Angèle, il écrit : « ce matin je me suis réveillé avec, pendant un bref moment, la sensation que je n’étais qu’un événement du monde, et cela m’a apaisé. Je n’avais pas à tout comprendre ni à tout contrôler, je n’étais qu’une petite partie sans importance qui participait au tout » (112). Ce passage n’est pas sans faire écho aux paroles de la mystique sainte Thérèse, « [s]oyez ce que vous êtes et le monde s’enflammera » (158), citées par un jeune hippie autrichien croisé à Kairouan. Loin de célébrer le pittoresque du Maghreb, le récit de voyage est plutôt l’occasion d’une réflexion sur l’amitié, sur le choc provoqué par toute rencontre, fût-elle uniquement avec soi. S’il croise de nombreux compagnons de route, le narrateur n’en demeure pas moins solitaire, le plus souvent incapable d’être « dans le même voyage que les autres » (54), se demandant même : « et si on n’a pas envie de rencontrer les autres ? » (47) Le fait de ne pas rencontrer les autres ne constitue pas tant un projet qu’une exigence intérieure. Taciturne, le narrateur se juge inintéressant, a du mal à jouer un rôle, à se prendre pour un écrivain et un voyageur, d’où sans doute l’impression de modestie que laisse au lecteur le récit de Gauthier. Même s’il ne cesse de faire retour sur son passé et sur ses insuffisances, le narrateur ne cède jamais à la prétention. Dès la parution du Voyage en Irlande avec un parapluie en 1984, la critique a évoqué le caractère sobre, sans ostentation, du style de Louis Gauthier. En lisant les récits de l’auteur, on pourrait croire que rien ne s’y passe. Il s’agit bien sûr d’une fausse impression que démentent plusieurs scènes et descriptions. Le récit progresse lentement — ce qui n’est nullement un tort — et s’attache par moments à des images fulgurantes, scorpions forniquant dans le désert, doubles de Marie et de Joseph croisés dans le train, vision apocalyptique d’une plateforme pétrolière. La prose dépourvue d’artifices de Louis Gauthier exige ainsi la participation de ses lecteurs. Un peu à l’image du narrateur, elle n’est pas plaisante ni séduisante, mais austère et dépouillée, qualités plutôt rares dans la littérature contemporaine. Le dépaysement ressenti par le lecteur ne naît donc pas de …
Rencontres et solitude[Notice]
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Martine-Emmanuelle Lapointe
Université de Montréal