Résumés
Résumé
Les paysages de Grand-Louis l’innocent jouent des possibilités allégoriques fournies par la structure d’horizon qu’ils mettent en place. Cet article propose conséquemment que ces paysages dépassent le principe de la naïveté bucolique et de l’inscription régionaliste pour se présenter comme les allégorèses matérialistes des personnages. Ils permettent ainsi de lire le roman selon une économie morale d’ordre romantique fondée sur un refus de la transcendance qui a pour effet de replacer l’Homme et son pouvoir au centre du monde. L’imaginaire paysager du roman lefrancien soulève un enjeu d’ordre éthique en ce qu’il offre une critique politique du capitalisme.
Abstract
The landscapes of Grand-Louis l’innocent play with the allegorical possibilities created by the way they structure the horizon. As a consequence, this article suggests that the landscapes go beyond the principle of bucolic naïveté and regionalist inscription, presenting themselves as materialist allegoreses of the characters. Thus they provide a way of reading the novel according to a romantic moral economy based on a refusal of transcendence—a refusal that repositions Man and his power at the centre of the world. Through its political criticism of capitalism, the imaginary landscape of Le Franc’s novel questions us on an ethical level.
Resumen
Los paisajes de Grand-Louis l’innocent (Grand-Louis el Inocente) juegan con posibilidades alegóricas facilitadas por la estructura de horizonte que implantan. Por consiguiente, este artículo propone que estos paisajes superan el principio de la ingenuidad bucólica y la inscripción regionalista para presentarse como las alegoresis materialistas de los personajes. Así pues, permiten leer la novela según una economía moral de orden romántico fundado en un rechazo de la trascendencia cuyo efecto es volver a situar al Hombre y su poder en el centro del mundo. Lo imaginario paisajístico de la novela de Le Franc plantea un reto de orden ético por ofrecer una crítica política del capitalismo.
Corps de l’article
Une bonne part de la critique a lu dans les paysages de Grand-Louis l’innocent [1] le fantasme d’un imaginaire canadien constitué d’images dont le modèle premier serait peut-être le roman de Louis Hémon, d’autant que, à l’instar de Maria Chapdelaine en qui luttent trois voix, la protagoniste du roman de Marie Le Franc devra choisir entre deux hommes. Cet intertexte a du reste permis d’en lire un autre, de type rousseauiste [2], qui s’accorderait aux impératifs du roman régionaliste tel qu’il se dessine alors dans le champ littéraire canadien-français. S’appuyant sur le fait que Marie Le Franc est née en Bretagne, d’autres critiques ont plutôt soulevé le caractère « breton » et « celtique » de ses paysages en soulignant l’atmosphère surnaturelle, voire la « poésie », qui en émane [3].
Canada ou Bretagne : peu importe puisque, chaque fois, c’est le caractère bucolique des descriptions paysagères que la critique relève, tout s’y passant comme si les romans lefranciens étaient autant d’odes à la nature et à la primitivité. Paulette Collet va jusqu’à écrire que tous les critiques, tant français que canadiens, même ceux qui ont été le moins tendres envers Marie Le Franc, reconnaissent que peu d’écrivains ont su mieux évoquer la nature. D’ailleurs, dans certaines de ses oeuvres les plus réussies, telles Grand-Louis l’innocent et Hélier, fils des bois, l’intrigue joue un rôle secondaire. Elle ne semble être qu’une excuse pour décrire le cadre dans lequel les personnages se fondent [4].
Si la chose n’est pas fausse, elle m’apparaît incomplète justement parce qu’en tant qu’il est une sorte de « personnage principal » des romans, le paysage ne forme pas qu’un cadre enchanteur. Il participe activement à l’élaboration de la signification des romans, jouant en cela de possibilités allégoriques fournies par la structure d’horizon qu’il met en place. Je souhaite conséquemment proposer ici une lecture d’ordre plus politique, en montrant que les paysages romantiques de Grand-Louis l’innocent ne se réduisent pas à un principe naïf ou même bucolique. Le romantisme de ce roman en est un d’ordre éthique et politique, qui met finalement en scène une critique sérieuse du capitalisme. En s’offrant comme les allégorèses matérialistes des personnages, les paysages de Grand-Louis l’innocent permettent de lire le roman selon une économie morale d’ordre romantique, parce que fondée sur un refus de la transcendance qui a pour effet de replacer l’Homme et son pouvoir au centre du monde.
Horizons romantiques du paysage
Les paysages de Grand-Louis l’innocent agissent comme autant de décors actifs d’un déroulement diégétique où l’horizon qu’ils donnent à voir constitue dans un premier temps le lieu d’un prolongement motivé des sentiments du personnel du roman. Une telle économie narrative découle, on le sait, d’un procédé esthétique inventé par le romantisme alors même que l’intellection du sujet individué conduira à la possibilité d’une série d’affirmations inédites sur le statut et la valeur des individualités [5]. C’est ainsi que « l’invention de l’adjectif romantic est […] fortement liée à l’émergence d’une nouvelle sensibilité paysagère, elle-même inséparable d’une mutation sociale, éthique et esthétique [6] » : dans l’épistémè moderne, le paysage apparaît désormais comme le lieu d’ancrage à partir duquel le sujet pense son rapport au temps et au monde.
Ce lien entre le sujet et le monde n’est cependant jamais passif, car si le paysage constitue un des lieux privilégiés de l’inscription du sujet individué, celui-ci produit son paysage plus qu’il ne le décrit : « on comprend dès lors que le paysage puisse être présent dans une oeuvre sans y être représenté au sens habituel du terme. En s’affranchissant des contraintes et des illusions d’une mimésis prétendument objective [7]. » Dans un effet de circularité qui a pour résultat de replacer le sujet au centre de la création, l’horizon paysager romantique structure le rapport au monde entretenu par le sujet poétique qui, en retour, exprime simultanément un point de vue particulier sur le monde qu’il cherche à habiter.
Le paysage lefrancien n’échappe pas à ce fonctionnement alors que ses personnages interagissent d’une manière directe et immédiate avec l’horizon qui les entoure. Je n’en veux pour preuve que cette citation tirée du deuxième chapitre du roman [8], que je divise sciemment en trois parties par le biais de l’italique afin d’en souligner les articulations :
Quelqu’un était là derrière les volets. […] Cela se passait tout près d’elle, à travers le mur. Il y avait là un géant d’ombre et de malfaisance. […] Ève porta la main à sa gorge. Inutile d’appeler. Le lointain village dormait. Elle souffla la lampe. Son coeur battait avec violence contre la table. Le feu faisait une tache rouge dans la cheminée. Le bruit se rapprocha. […] Qu’avait-elle à craindre ? C’était la lande qui se personnifiait ainsi dans le rôdeur invisible. C’était la peur accumulée au fond de ses veines, depuis tant de soirs, qui maintenant prenait cette forme. Elle se sentit paralysée de tous les membres, dans le tombeau de pierre de la maison, et cette peur seule vivait en elle. […] Ève ralluma la lampe. La bête de la peur gisait à ses pieds. […] À pas un peu rigides, elle alla à la porte, tourna d’un seul mouvement la clef. La lumière tomba sur une haute silhouette. L’homme n’eut pas un geste de recul.
GLI, 18
Dans cette scène, c’est Ève elle-même qui choisit d’éteindre et de rallumer la lampe ; l’accomplissement du geste effectué par le personnage laisse graduellement croître la peur qui l’envahit. En même temps qu’elle se trouve possédée, elle a tout loisir d’allumer la lampe quand elle le souhaite afin d’exorciser cette peur, ce qu’elle fait finalement vers la fin de l’extrait cité. Ève n’est pas une victime passive ; elle participe activement à l’installation progressive du climat d’inquiétude produit par l’arrivée inopinée de la lande et du rôdeur.
On remarquera ensuite dans ce passage que la personnification, explicitement nommée, joue d’un rapport métonymique qui met en relation les sens figurés des deux termes en présence : une lande et un rôdeur n’ont pas de relation causale directe dans le monde objectif alors que, dans le monde subjectif de la scène romanesque, le rôdeur emprunte bel et bien à la lande certaines de ses propriétés, mais pas toutes. Ni le rôdeur ni la lande ne sont la métaphore de l’autre dans la mesure où leur rapport de contiguïté sémantique reste partiel : le rapprochement opéré entre les deux objets participe d’un travail textuel qui consiste à insister sur la dimension épouvantable, mais résolument subjective parce que choisie, d’une scène dont le sujet principal reste encore et toujours Ève.
Enfin, c’est le caractère subjectif — et donc contingent — de la personnification qui rend possible son intégration par le personnage d’Ève. Par l’effet de comparaison qu’elle suggère, la répétition du « c’était » amplifie l’association qui se construit entre le paysage et la peur du personnage de manière à les unir irrémédiablement. Et le rôdeur devient un accessoire formel de cette scène où le paysage se trouve proprement intériorisé par Ève, au « fond de ses veines », autrement dit : au plus proche de son coeur. La personnification offre ainsi la possibilité d’une correspondance directe entre l’intériorité malheureuse du personnage d’Ève et les apparences sensibles d’un monde qui propose une représentation allégorique de son trouble amoureux.
À la manière de la structure d’horizon romantique, la scène donne donc à lire un paysage choisi et construit depuis le regard d’un personnage qui refuse ainsi au lecteur l’accès à tout ce que ce regard ne peut — ou ne veut — pas englober. Du coup, la lande se trouve dotée d’un pouvoir actantiel qui lui permet de produire une allégorie où le lecteur voit résolument l’expérience intérieure vécue par le sujet. En ouvrant ce que Michel Collot appelle « la perspective d’un voir qui donne à dire [9] », le roman lefrancien ramène le lecteur vers l’intériorité du personnage, car « s’il est vrai que ses intrigues romanesques ne sont guère étoffées, ni la psychologie de ses personnages guère approfondie, [Le Franc] connaît par ailleurs à fond l’art d’évoquer des états d’âme, des sensations, des déchaînements de passions, de haines ou de générosités. Elle va droit à l’essentiel : au paysage intérieur [10] ».
L’horizon paysager de Grand-Louis l’innocent participe activement à la constitution allégorique de la signification plus large du lien qui unit le personnage à la lande, agissant du même coup comme un révélateur (presque au sens photographique du terme) de l’intériorité des sujets individuels. Gérard Tougas avait ainsi jadis noté que « Grand Louis, âme simple, s’explique par les tristes et poétiques étendues de la côte bretonne [11] ». Dès le début du roman, le lecteur est donc à même de constater que ces paysages fonctionnent bel et bien comme « une véritable structure, régissant à la fois le rapport au monde, la constitution du sujet, et le fonctionnement du langage [12] ». La toute fin du roman ne dément pas ce fonctionnement particulier alors que Grand-Louis a « fini par incruster, dans le cadre fermé de sa vie intérieure, Ève et la lande » (GLI, 129).
Allégories matérialistes du paysage
L’intérêt de l’horizon paysager lefrancien vient de ce que, tout emblématique qu’il soit de l’intériorité des personnages, il contribue à la structuration syntaxique plus vaste du roman en donnant à lire une allégorèse qui délivre le texte « de toute hypothèque imitative ou même “expressive” [13] » pour projeter les intériorités de ses personnages sur une scène plus vaste : celle d’une économie matérielle du monde où se trouve jouée la « redéfinition moderne [et romantique] des rapports entre la conscience et le monde, envisagés non plus comme deux substances séparées, telles que la res extensa et la res cogitans, mais comme les termes d’une relation [14] ».
Dès l’incipit du roman, l’horizon perçu par Ève est aussi violent que morbide. Les « ombres superposées », les « bruits étouffés de pas », les « affreux silences » et le « gémissement de l’Océan » découvrent un « paysage vêtu de noir » (GLI, 15). Ce paysage est celui d’une lande qui ne se laisse pas facilement mater : sa force est telle qu’un « furieux besoin d’action faisait craquer les charpentes » (GLI, 17) de la maison qu’Ève avait « délibérément choisie, un jour, grâce à la complicité du soleil » (GLI, 16). À ce paysage difficile mais bien réel du temps présent où vit Ève, le roman oppose rapidement, dès la seconde page, un paysage réconfortant qui provient du passé du personnage. Effrayée par la menace que semble constituer la lande, Ève « essaya d’oublier la tempête noire, évoqua les tempêtes blanches dont elle avait l’habitude, dans un passé tout proche encore. Le grand pays du Nord se dressa devant elle, étincelant, formidable et magique. » (GLI, 16)
Deux hommes sont associés à ces paysages : l’homme du Nord est l’homme du paysage dont il tire directement son nom ; Grand-Louis est quant à lui l’homme de la lande. On aura compris qu’Ève est déchirée entre les deux : elle rencontre le second alors qu’elle vient de quitter le premier, et tout le roman pourrait sembler consister en la découverte et l’acceptation éventuelle de l’amour qu’elle se découvre pour Grand-Louis [15]. À première vue, le schéma narratif de l’amour qui structure le roman reprendrait donc plus ou moins librement le canevas occidental connu d’une dénonciation de l’Éros au profit de l’Agapè chrétien [16]. Il est certain qu’en choisissant Grand-Louis plutôt que l’homme du Nord, Ève refuse la démesure du dieu de l’Amour au profit d’un acte de fidélité aux valeurs désincarnées, et désintéressées, du christianisme. Après tout, la première phrase du roman n’est-elle pas : « Il ne restait rien dans cette lande perdue, qu’une femme » (GLI, 15) ? Et cette femme, ne s’appelle-t-elle pas justement Ève ? Du coup, Grand-Louis apparaît comme l’agneau d’un sacrifice nécessaire à la restauration de la Lumière au sein d’un paysage génésiaque dont les modulations reflètent l’évolution programmatique d’un schéma narratif élémentaire où « Ève et Grand-Louis sont seuls dans la lande, couple primordial et pur, innocent, sur une terre primordiale [17] ». Tout en structurant l’horizon des personnages, le paysage organiserait le principe dichotomique d’un roman angélique.
Comprendre le roman de cette manière équivaut toutefois à le situer gentiment au sein d’un régionalisme qui se serait dévoué à la défense des idéaux catholiques. Car enfin, Grand-Louis l’innocent ne reprend pas plus les thèses régionalistes [18] que celles, chrétiennes, de l’amour désincarné. La conception profane mais néanmoins totale du monde exprimée dans Grand-Louis l’innocent banalise en effet la dimension cosmique des promesses génésiaques en les ramenant à la dimension naturelle et profane d’un horizon humain.
Contrairement au principe de la Création, c’est en effet ici l’homme qui naît de la femme : « La romancière nous parle de “l’homme-enfant”, non seulement parce que Grand-Louis est pur, mais parce que, tel un enfant, il s’éveille au monde et, comme une pâte malléable, sera moulé par la femme [19]. » Ève est à la fois la mère et la femme de Grand-Louis : sa bienveillance (maternelle) et ses soins (amoureux) permettront que Grand-Louis surmonte son amnésie pour revenir progressivement à la vie consciente, cela jusqu’à la scène finale, qui reste sans équivoque quant à la consommation charnelle de leur relation. Grand-Louis ne naît donc pas d’un principe idéel divin ; il existe et devient un homme grâce au don du corps de la femme, démontrant en cela encore le principe matérialiste qui sous-tend tout le roman. Il n’est guère étonnant que la critique ait vu là un roman infâme ou immoral : « Tout sauf ça [20] », s’exclame par exemple une journaliste de La Fronde. Une telle vision du monde, qui fait reposer le poids de sa liberté sur les épaules mêmes du protagoniste, remplace la figure de la transcendance par une figure individuelle dont la réussite dépend très justement de sa capacité à refaire un monde auquel elle se substitue métaphoriquement : « Il [Grand-Louis] était comme l’essence même du paysage, le granit sous les frivolités de la brume et du soleil. » (GLI, 124) Plutôt que d’offrir une fable religieuse où la possibilité du recommencement est accordée par le pouvoir divin, le texte insiste bel et bien sur le pouvoir humain.
On ne saurait donc trop voir le caractère sacrilège de ce texte où la transcendance divine se trouve évacuée au profit du kairòs, qu’Antonio Negri considère être le lieu de « l’instant de vérification du nom [21] ». Pour le dire autrement, c’est dans l’immédiateté du surgissement de l’expérience paysagère que la résolution du conflit amoureux de Grand-Louis l’innocent survient. Désormais tributaire de la volonté des personnages, le paysage donne très justement à lire la possibilité pour l’Homme de refaire le monde à sa propre mesure :
Et comme, en effet, ils formaient un bloc puissant à eux quatre, le socle de la lande supportant le groupe humain, l’homme, la femme, appuyé à la maisonnette trapue, un tout concret qui tombait sous les sens, il conclut dans sa logique simple qu’elle avait raison, qu’elle ne pouvait pas se dégager de ce bloc, s’en aller pour toujours [22].
GLI, 126
Dans ce passage, une économie matérielle porte le rapport de totalité qui unit les personnages à leur horizon : c’est en effet dans l’immanence de leur union que le paysage réalise la promesse de leur bonheur. Contrairement au modèle génésiaque, le paysage n’est pas donné par Dieu afin que l’Homme le remplisse ensuite. Le paysage du monde est désormais celui de l’Homme ; l’horizon d’Ève prend une dimension humaine dans laquelle elle peut désormais se fondre : « Une âme féminine, hantée par l’idée de la mort, trouvait refuge en lui. » (GLI, 125)
Vivant presque littéralement l’un dans l’autre, Grand-Louis et Ève en sont aussi venus à intérioriser ce qui aurait dû leur rester extérieur, soit le paysage et son horizon. L’alliance subjective des deux sujets et du monde qui les entoure crée un procès d’échange circulaire où l’horizon exposé peut procurer au lecteur une conscience paysagère de l’intériorité d’Ève et de Grand-Louis, justement parce qu’il les projette sur la scène (externe) du monde. La pensée des personnages est ainsi transformée en « une forme de “lieu pensant” [23] » qui permet en définitive d’évacuer le principe divin par l’intrication labile qu’elle opère entre l’intériorité subjective des personnages et l’extériorité objective du monde. En tant que structure d’horizon des personnages, le paysage révèle en effet une intrication immédiate du rapport établi, car « le nom appelle la chose à l’existence [24] » dans un ordre matériel où le paysage est littéralement façonné par les personnages qui se l’approprient afin de le rendre conforme à leurs visées éthiques.
Économies éthiques du paysage
Dans un épisode central du roman, Ève fuit vers Paris, jugeant que « l’atmosphère de la lande commen[ce] à exercer trop d’emprise sur elle » (GLI, 86). Ce voyage sera l’occasion de faire le point sur sa relation avec Grand-Louis et de découvrir que « sa place [est] là-bas, sur le promontoire de la lande […]. Ce retour ser[a], non une solution, mais un acte naturel, tout à fait dans l’harmonie des choses » (GLI, 90). Or, si le retour vers Port-Navarro et la lande apparaît naturel, c’est que l’opposition initiale entre les deux paysages s’est inversée en cours de roman. Paris est devenu un lieu inquiétant et sournois :
Ah ! la marche vigoureuse dans le froid dont le corps brisait le mince écran de cristal, le visage offert aux flocons de neige, le bouillonnement du rêve intérieur qui s’apaise soudain, à l’arrivée devant le haut bâtiment trépidant de la rotation des presses, et qui se présentait si inopinément devant les yeux qu’on avait l’impression que c’était lui qui se jetait sur vous, comme une automobile, par exemple, qu’on n’avait pas vue venir.
GLI, 89-90
Le paysage civilisé, qui est celui de l’homme du Nord, laisse peu de place à la satisfaction d’un monde intérieur, qu’il refuse de laisser éclore, voire qu’il cherche à détruire. Dans un premier temps envisagé par Ève sur le mode nostalgique de la bienveillance, l’horizon paysager offert par la civilisation semble désormais menaçant.
Et en même temps qu’elle découvre la menace de la civilisation, Ève apprivoise, à mesure qu’elle se rapproche de Grand-Louis, cette lande qu’elle avait pourtant d’abord perçue comme inquiétante, voire sinistre. L’homme de la lande apporte avec lui la grâce et la douceur de son nom : quand il paraît, « la lande [est] amicale. […] La mer [a] un souffle régulier et humain […]. Tout est douceur et confiance » (GLI, 27) ; quand il disparaît, « la lande dev[ient] fermée, hostile, énervante par sa stabilité même. Elle form[e] un bloc dur au bord de la côte » (GLI, 30). Pas plus que le sens du paysage de l’homme du Nord n’est immuable, la lande ne forme un bloc monolithique au sens éternel.
La transmutation des horizons paysagers indique que le roman nous invite à refuser le leurre des apparences premières au profit d’une connaissance matérielle des réalités. La blancheur lumineuse et éblouissante du pays de l’homme du Nord cache un univers querelleur sur lequel Ève ne peut avoir prise, alors que la lande, qui se présentait au début comme hostile, devient, par le contact quotidien des hommes qui l’habitent, un univers paisible et réconfortant qu’Ève réussira proprement à mater : « ils s’assirent côte à côte, dominant les écumes » (GLI, 132). La force des subjectivités du paysage conjuguées permet de le façonner d’une manière telle qu’il s’en dégage finalement un ravissement que la scène initiale du roman ne pouvait pas laisser prévoir : « la neige tombait avec tant de molle tendresse qu’on croyait voir des tourterelles se serrer, plume à plume, au bord des toits. De longues baguettes de lumière entraient par les minces fenêtres, transformant l’intérieur [de la maison] en chapelle votive. » (GLI, 138) Dans Grand-Louis l’innocent, l’ombre et la lumière ne sont des données ni essentielles ni permanentes du paysage : l’activité des personnages a pour effet de les montrer là où on ne les attendait pas. Il n’y a rien ici d’une philosophie passive, de type rousseauiste, où l’Homme est le produit déterminé du monde et du paysage qui le voient évoluer. Il s’agit d’une réelle démonstration du pouvoir de la contingence humaine qui refuse de se laisser imposer un monde préfabriqué pour plutôt le façonner à son image. Ce renversement de l’ordre initial du monde permet ultimement qu’Ève et Grand-Louis emplissent véritablement l’espace de l’horizon qui s’ouvre devant eux, laissant peu — voire pas — d’espace pour une transcendance éventuelle, capables qu’ils sont de « touch[er] du front le ciel bas » (GLI, 63). Il serait certes excessif de dire qu’ils mettent à mort le principe divin, mais force est de constater qu’ils réussissent toutefois à se substituer à lui dans l’horizon du monde. « Les deux paysages de prédilection de la romancière, la mer et la forêt, sont vus sous le même angle, celui du charnel et de l’élan vital [25]. »
En proposant une telle vision immanente du monde, l’allégorisme matériel du paysage de Grand-Louis l’innocent en restaure l’ordre éthique puisque la contingence matérielle permet de mettre en scène l’immanence de la multitude, que Negri définit comme « un ensemble de singularités », c’est-à-dire comme « la trame d’une définition ontologique de la réalité qui reste, une fois le concept de peuple libéré de la transcendance [26] ». Il s’agit en somme de redire la possibilité de l’Homme désormais défait des chaînes logocentriques du catholicisme : « en se libérant du caractère transcendantal de la souveraineté, […] la décision et l’insurrection, une fois posées sur fond d’intellectualité de masse et de coopération, devront être absorbées et travaillées par les singularités qui constituent la multitude [27] ». Sous les apparences simplistes de la recherche innocente d’un bonheur renouvelé, le roman de Marie Le Franc « dépeint la vie quotidienne des humbles habitants du golfe » et montre « leur solidarité et leur tolérance [28] », restituant du coup aux exclus le pouvoir d’action dans la constitution de leur monde. C’est ainsi que, « les jours où la pêche donn[e] en abondance » (GLI, 57), Grand-Louis distribue ses surplus de poissons aux habitants du village qui, en retour, viennent le visiter afin de l’aider à recouvrer la mémoire, en « récit[ant] les noms de jeunes hommes morts à la guerre » (GLI, 58) qu’il aurait peut-être connus. L’échange entre les parties relève ici d’une coopération sociale et là se situe, me semble-t-il, la conception politique particulière de ce roman qui toujours insiste sur le travail de la multitude, de ce lieu politique où « la notion d’exploitation sera définie comme exploitation de la coopération : coopération non des individus mais des singularités, exploitation de l’ensemble des singularités des réseaux qui composent l’ensemble et de l’ensemble qui comprend les réseaux, etc. [29] ».
Au pouvoir transcendant des puissants, la multitude oppose la possibilité réelle d’une société où la production se comprend dans la coopération des Hommes, laquelle « détermine une transmutation ; à présent, le travail de la coopération, dans ses nouvelles déterminations ontologiques, doit montrer les modalités de sa nouvelle et très singulière productivité [30] ». Or, chez Marie Le Franc, cette coopération souligne d’abord le principe immanent du refus d’un monde créé par une éventuelle transcendance divine. Plus encore, elle participe aussi à l’élaboration d’une allégorèse d’ordre économique. Car enfin, le refus des illusions procurées par le monde de l’homme du Nord et l’adhésion aux valeurs amoureuses développées dans la relation avec Grand-Louis laissent poindre un principe éthique fondé sur la responsabilité populaire et consensuelle : celui que l’historien E. P. Thompson a appelé l’« économie morale [31] ».
Économies morales du paysage
L’économie morale accuse le caractère patriarcal et hiérarchique (voire logocentrique) des modèles économiques occidentaux dominants. Pour le dire autrement, elle « récuse la sphère financière au nom de l’emploi et de l’économie réelle [32] », subordonnant de ce fait l’activité économique aux moeurs d’une société donnée : plutôt que de chercher le profit à tout prix, les acteurs du champ économique se trouvent contraints à une responsabilité collective qui assure en retour la répartition plus équitable de la richesse créée par les ressources, comme Grand-Louis partageant ses surplus de poissons avec les habitants du village.
À cet égard, la division paysagère de Grand-Louis l’innocent laisse bel et bien lire une critique implicite de l’ordre capitaliste et de son économie marchande qui révèle la moralité de son organisation économique. Alors qu’elle séjourne à Paris, Ève constate que le monde de l’homme du Nord relève d’une superficialité entièrement construite sur la frivolité d’une vie mondaine qui, sous les apparences de la liberté, cause finalement « la sécheresse d’âme » :
Aujourd’hui encore, ce mot d’affaires la faisait tristement sourire. C’est celui dont ils couvraient leurs mouvements, leurs défections, leurs fugues. La grande échappatoire : les affaires. Ils pouvaient être libres et riches, avec une existence partagée entre le club, le terrain de golf et les courses, les réunions mondaines.
GLI, 69
Patrick Imbert parle à cet égard de « faux », qui « s’incarne essentiellement à travers la superficialité de la vie sociale et “civilisée” [33] ». Cette facticité expose une coupure entre le monde social et le monde intérieur du personnage que le mouvement des « affaires » métaphorise dans les termes d’une économie désormais dissociée des individus qu’elle devrait pourtant servir. Car tout en prétendant au profit du bien commun, le libéralisme marchand fonctionne hors des normes morales de la communauté : parce qu’il vise l’augmentation mécanique et régulière des profits et des dividendes financiers, la multitude n’a aucun pouvoir sur lui. Or, dans Grand-Louis l’innocent, la supposée liberté permise par l’aisance financière du monde de l’homme du Nord est bel et bien décrite dans les termes d’une sujétion de l’individu. Il n’est donc guère étonnant de constater que les paysages qui lui sont associés ne permettent pas l’épanouissement de ses personnages tant ils sont froids et stériles : « la neige, identifi[ée] à l’homme du Nord, est généralement sans tendresse, comme l’être qu’elle évoque. […] L’auteur accumule les termes qui suggèrent la dureté, la glace plus encore que la neige, pour rendre tangibles le cadre et l’homme qui en est inséparable [34]. »
En attribuant toutefois comme il le fait des qualités positives à la lande, le roman privilégie en définitive, à l’instar du principe de l’économie morale, une conception du monde où le travail se trouve justement et immédiatement rétribué : « Il [Grand-Louis] ne voyait aucun rapport entre l’argent et ce qui composait un repas. » (GLI, 37) Par contre, il allait régulièrement « jeter ses filets dans la mer. Et il revenait déposer [aux pieds d’Ève] la pêche miraculeuse » (GLI, 39). C’est par une nécessité éthique interne qui replace l’Homme au centre du monde que les fruits du labeur de Grand-Louis sont appelés à bénéficier de manière directe et immédiate aux deux personnages. Ève et Grand-Louis mangeront du poisson parce que le but même de la pêche était de les en faire profiter tous deux : « Grand-Louis n’était plus un hôte à charge. Il apportait sa contribution au ménage. » (GLI, 57)
L’opposition radicale des univers paysagers de l’homme du Nord et de Grand-Louis ne repose donc pas strictement sur la traditionnelle opposition ville-campagne ; tout le roman est construit de manière à valoriser la simplicité du geste accompli dans la nécessité économique. C’est ainsi que, dans l’ordre du monde de l’homme du Nord, dont l’économie se trouve fondée sur le principe capitaliste d’une autorégulation des profits et des apparences, Ève apparaît comme une parure féminine interchangeable (« ce soir, quelqu’un d’autre parlait, agissait à sa place » [GLI, 70]), alors que, dans l’ordre du monde de Grand-Louis, elle devient une nécessité pour l’accomplissement du travail. À la fausseté vulgaire des vanités capitalistes dont « l’air vibrait désagréablement sur les nerfs tendus » (GLI, 70 [35]), Ève préfère aussi sans équivoque la solidité lumineuse du manoeuvre : « Pendant qu’il [Grand-Louis] mangeait, elle regardait la nuque puissante inclinée, le cou dégagé dans la vareuse, brûlé de soleil et d’eau de mer. Les pauvres vêtements étaient d’une propreté surprenante. » (GLI, 23) Il s’agit au fond de renverser ce que E. P. Thompson appelle le « paternalisme » de l’ordre économique [36] en redonnant le pouvoir aux dépossédés, ici le pêcheur. Comme l’écrit Nicole Bourbonnais, Marie Le Franc est « sensible à la détresse et à la misère d’autrui [37] ». Cette sensibilité déteint sur le roman par le fonctionnement moral de l’économie alors que le paysage de la lande, qui est celui de Grand-Louis, se présente comme le lieu d’une intrication authentique entre les personnages et le monde, dans la satisfaction immédiate de leurs besoins réels.
Cette préférence pour un ordre économique éthique qui instaure une relation équilibrée entre les forces du marché et les forces ouvrières trouve son pendant dans le processus esthétique du paysage lefrancien, qui offre du coup les apparences bucoliques et enchanteresses d’un monde débarrassé de la fiction citadine. Comme l’écrit Da Zheng, « the moral economy is a utopian economic system devoid of chaos and disturbance. It is a bucolic country setting away from turmoil and fever of speculation, a unique literary enterprise where labor and capital become happily reconciled [38] ». Ce faisant, ce paysage découvre aussi un monde affranchi, réalisant de la sorte la production de ce que Negri appelle la « monade de kairòs [39] » ou, pour le dire autrement, l’enchevêtrement du temps et de l’individu dans la matérialité de leur monde. Tout autant qu’elle offre une réponse au clinquant stérile du monde capitaliste, l’économie morale responsabilise les acteurs impliqués dans le processus d’échange économique qui est le leur en « fai[sant] intervenir non seulement une préférence pour les temps longs, mais aussi pour les espaces immédiats et familiers [40] ».
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Si tant est que l’économie morale constitue une forme de critique sociale, Grand-Louis l’innocent apparaît bel et bien comme un roman engagé dans la mesure où « l’engagement n’est pas toujours là où on l’attend mais qu’il surgit souvent lorsqu’il n’est ni exhibé, ni revendiqué, ni programmé et qu’on ne s’en targue pas [41] ». Sous les airs tranquilles d’un roman bucolique, Grand-Louis l’innocent a même valeur de sédition justement parce que le matérialisme de ses paysages propose une redéfinition de la notion de liberté qui correspond à cet idéal romantique de la possibilité d’une praxis éthique et démocratique où « le nom et la chose nommée se présentent comme une seule et même réalité [42] », celle de l’immanence du pouvoir de l’Homme. Son logocentrisme repose désormais sur la possibilité pour les singularités de se réaliser dans la communauté de la multitude dont elles sont toujours partie prenante sur les plans éthique, esthétique et économique. C’est de cette manière que le paysage lefrancien procède d’une économie morale, au sens économique forgé par E. P. Thompson bien entendu, mais au sens éthique aussi, soit celui d’un fonctionnement moral, ici esthétisé en vue de la défense des exclus et des « faibles », c’est-à-dire ceux que le système néolibéral de la fiction citadine refuse de laisser figurer sur la scène du monde.
Parties annexes
Note biographique
LUC BONENFANT est professeur au Département d’études littéraires de l’UQAM depuis juin 2006. Ses recherches portent sur les enjeux éthiques et poétiques du poème en prose dans la littérature française du xixe siècle et la littérature québécoise. Il dirige actuellement un projet sur « Le poème à rebours : formes et esthétiques du poème en prose français ». Il est membre des groupes de recherche La vie littéraire au Québec et Édition critique de l’oeuvre d’Anne Hébert.
Notes
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[1]
Marie Le Franc, Grand-Louis l’innocent, Sherbrooke, Naaman, coll. « Création », 1978 [1925]. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle GLI suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
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[2]
Rousseauiste sans le savoir, elle [Marie Le Franc] avait un faible pour les primitifs. Ceux-ci sont invariablement supérieurs aux civilisés dans une oeuvre où abondent les héros silencieux, beaux et forts, vivant en harmonie avec la nature à laquelle, par une sorte de mimétisme, ils finissent par ressembler.
Paulette Collet, « Préface » (GLI, 12) -
[3]
Sur cette question, voir Daniel Chartier, « La nationalisation littéraire de l’oeuvre de Marie Le Franc. La littérature nationale », Neohelicon, vol. XXII, no 1, mars 1995, plus particulièrement p. 226-227.
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[4]
Paulette Collet, Marie Le Franc. Deux patries, deux exils, Sherbrooke, Naaman, coll. « Études », 1976, p. 58.
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[5]
Sur cette question, voir l’ouvrage éclairant de Michel Condé, La genèse sociale de l’individualisme romantique. Esquisse historique de l’évolution du roman en France du dix-huitième au dix-neuvième siècle, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1989, 151 p.
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[6]
Michel Collot, Paysage et poésie du romantisme à nos jours, Paris, José Corti, coll. « Les essais », 2005, p. 23.
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[7]
Ibid., p. 84. Certes, Collot s’intéresse plus précisément à l’horizon du sujet poétique. Il n’en reste pas moins que l’horizon découvert par les paysages romanesques romantiques procède du même fonctionnement. Les chutes du Niagara de Chateaubriand ou encore, plus tard dans le siècle, le paysage souterrain dessiné par l’égout parisien de Hugo agissent comme autant de redoublements métaphoriques d’un sujet en mouvement qui ne cesse de vouloir donner un sens aux événements qui se déploient devant lui. Dans ces romans, « le paysage est perçu à partir d’un point de vue unique, découvrant au regard une certaine étendue qui ne correspond qu’à une partie du pays où se trouve l’observateur mais qui forme un ensemble immédiatement saisissable ». Michel Collot, « L’horizon du paysage », Charles Avocat (dir.), Lire le paysage, lire les paysages, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. « Travaux/Centre interdisciplinaire d’étude et de recherche sur l’expression contemporaine », 1984, p. 121.
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[8]
Le chapitre en question ne fait que deux pages dans l’édition de 1978. La scène citée n’en est donc pas un extrait incident ; elle en constitue le coeur même.
-
[9]
Michel Collot, Paysage et poésie du romantisme à nos jours, p. 66.
-
[10]
Nicole Bourbonnais, « Marie Le Franc ou “la tendresse timide d’un coeur forcené” », Lettres québécoises, vol. I, no 4, novembre 1976, p. 32.
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[11]
Gérard Tougas, La littérature canadienne-française, Paris, Presses universitaires de France, 1974, p. 141.
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[12]
Michel Collot, Paysage et poésie du romantisme à nos jours, p. 7.
-
[13]
Laurent Jenny, La fin de l’intériorité. Théorie de l’expression et invention esthétique dans les avant-gardes françaises (1885-1935), Paris, Presses universitaires de France, coll. « Perspectives littéraires », 2002, p. 104.
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[14]
Michel Collot, Paysage et poésie du romantisme à nos jours, p. 44.
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[15]
Le livre dépeint en somme la lutte dans le coeur d’Ève entre l’homme du Nord et celui de la lande et de la mer
écrit d’ailleurs Paulette Collet (Marie Le Franc. Deux patries, deux exils, p. 119 -
[16]
Sur cette question, voir Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident, Paris, Plon, coll. « Présences », 1982 [1939], 444 p.
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[17]
Paulette Collet, « Grand-Louis l’innocent, roman de Marie Le Franc », Maurice Lemire (dir.), Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, t. II : 1900-1939, Montréal, Fides, 1987, p. 541.
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[18]
Dans « La nationalisation littéraire de l’oeuvre de Marie Le Franc », Daniel Chartier conclut que « ne partageant plus la vision “des visages du Montréal canadien-français, religieux et moral”, son oeuvre, même éditée à Montréal, s’intègre difficilement à la littérature nationale » (p. 229). La citation incluse est tirée de E. B., « Bibliographie. Marie Le Franc, Visages de Montréal », Revue de l’Université d’Ottawa, avril-juin 1937, p. 252-253.
-
[19]
Paulette Collet, « Préface » (GLI, 12).
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[20]
Séverine, « Note d’une frondeuse. Tout sauf ça », La Fronde, 31 décembre 1927 — 2 janvier 1928 ; cité dans Paulette Collet, « Préface » (GLI, 8).
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[21]
Antonio Negri, Kairòs, Alma Venus, multitude, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Petite Bibliothèque des idées », 2001, p. 21. Paulette Collet écrit quant à elle : « la quête de Dieu ne paraît pas avoir été une des préoccupations majeures de la romancière. […] Dieu est absent des ouvrages de Marie Le Franc. » Marie Le Franc. Deux patries, deux exils, p. 49. Lecteur de Marx, Negri cherche à concilier les questions du déterminisme et de la liberté depuis la perspective éthique qu’il emprunte à Spinoza, à qui il a consacré deux ouvrages : L’anomalie sauvage : puissance et pouvoir chez Spinoza (Paris, Presses universitaires de France, coll. « Pratiques théoriques », 1982, 348 p.) et Spinoza et nous (Paris, Galilée, coll. « La Philosophie en effet », 2010, 152 p.). Ses travaux s’inscrivent dans la veine du marxisme autonomiste, qui disqualifie notamment la notion traditionnelle de classe ouvrière. C’est ainsi que Negri forge la notion de multitude pour réfléchir au commun dans les termes éthiques de ce qu’on pourrait nommer une immanence de la transcendance, c’est-à-dire d’une transcendance qui apparaît comme un fait de nature surgissant de la possibilité de la coopération entre les Hommes.
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[22]
Considérer cette totalité comme une fermeture de l’horizon relèverait d’un contresens que le roman ne permet pas. Le bloc formé par la lande et les personnages est certes solide, mais il n’est ni statique ni immuable, comme le montre la résolution finale de la diégèse : « Ève s’allongea sur le sol tiède. Au-dessus d’elle, il n’y eut plus que l’espace où la lumière bleue ondoyait comme un champ de lin en fleur, bordé par des rocs géants qui dressés d’un jet sur leur base étroite ressemblent à des bergers dans leur houppelande. […] L’énorme panorama se réduisait à ces deux éléments : la mer, la terre, car le ciel n’était que la gaze légère qui en atténuait le saisissant relief. Grand-Louis et elle étaient deux pèlerins en marche, sur une terre de solitude et de grandeur. » (GLI, 122-123) Il y a ici la possibilité réelle d’une ouverture lumineuse, laquelle reste encore et toujours celle du « bloc puissant » formé par la compagnie amoureuse que procure la marche des deux pèlerins.
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[23]
Laurent Jenny, La fin de l’intériorité, p. 2.
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[24]
Antonio Negri, Kairòs, Alma Venus, multitude, p. 11.
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[25]
Nicole Bourbonnais, « Marie Le Franc ou “la tendresse timide d’un coeur forcené” », p. 33.
-
[26]
Antonio Negri, « Pour une définition ontologique de la multitude », Multitudes, no 9, mai-juin 2002, p. 36. Negri souligne.
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[27]
Antonio Negri, Kairòs, Alma Venus, multitude, p. 149.
-
[28]
Marie-Renée Martin-Rouxel, « Plaidoyer pour les humbles », Aurélien Boivin et Gwénaëlle Lucas (dir.), Marie Le Franc. La rencontre de la Bretagne et du Québec, Québec, Nota bene, coll. « Les Cahiers du CRELIQ », 2002, p. 26.
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[29]
Antonio Negri, « Pour une définition ontologique de la multitude », p. 37. Negri souligne.
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[30]
Antonio Negri, Kairòs, Alma Venus, multitude, p. 164.
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[31]
« We have been examining a pattern of social protest which derives from a consensus as to the moral economy of the commonweal in times of dearth. » [« Nous avons examiné un modèle de révolte sociale qui dérive du consensus autour de l’économie morale du bien commun en temps de disette. » Je traduis.] E. P. Thompson, « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past & Present, vol. L, no 1, février 1971, p. 126.
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[32]
Henri Bourguinat, L’économie morale. Le marché contre les acquis ?, Paris, Arléa, 1998, p. 74. Bourguinat souligne.
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[33]
Patrick Imbert, « Grand-Louis l’innocent ou le rejet du “faux” », Lettres québécoises, vol. I, no 4, novembre 1976, p. 30.
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[34]
Paulette Collet, Marie Le Franc. Deux patries, deux exils, p. 91.
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[35]
Le portrait donné de l’homme du Nord indique que, autant que le régime économique auquel il contribue, Ève le méprise : « Un pardessus de fourrure qu’elle ne lui connaissait pas, acheté sans doute en vue du voyage, lui parut trop neuf, trop ample, brutal et vulgaire. Elle eut un instant un sentiment de répulsion contre cet homme qui pouvait être aussi cruel et n’avoir pas l’air de s’en douter. » (GLI, 70)
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[36]
« For in one respect the moral economy of the crowd broke decisively with that of the paternalists : for the popular ethic sanctioned direct action by the crowd, whereas the values of order underpinning the paternalist model emphatically did not. » [« À certains égards, l’économie morale du peuple rompait de manière décisive avec celle des paternalistes : l’éthique populaire sanctionnait l’action directe par le peuple, alors que les valeurs inhérentes au modèle paternaliste la refusaient catégoriquement. » Je traduis.] E. P. Thompson, « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », p. 98.
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[37]
Nicole Bourbonnais, « Marie Le Franc ou “la tendresse timide d’un coeur forcené” », p. 33.
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[38]
L’économie morale est un système économique utopique dépourvu de chaos et de perturbations. C’est un pays bucolique fondé loin de l’agitation et de la fièvre de la spéculation, une entreprise littéraire unique où travail et capital sont favorablement réconciliés.
Je traduis. Da Zheng, Moral Economy and American Realistic Novels, New York, Peter Lang, 1996, p. 11 -
[39]
Antonio Negri, Kairòs, Alma Venus, multitude, p. 49.
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[40]
Henri Bourguinat, L’économie morale. Le marché contre les acquis ?, p. 83. Bourguinat souligne.
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[41]
Pierre Mertens, À propos de l’engagement littéraire, Montréal, Lux, coll. « Lettres libres », 2002, p. 49.
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[42]
Antonio Negri, Kairòs, Alma Venus, multitude, p. 34.