Dossier

InéditLe lac Marie-Le Franc [Notice]

  • Marie Le Franc

Je vis, depuis quelques jours, le nez sur une carte. Ce n’est pas une carte ordinaire. Rien que sa provenance : Département des Terres et Forêts, indique un continent qui ne peut être ni français, ni européen, où le pullulement humain n’a encore détruit ni la bête, ni l’arbre, ni l’eau ni la montagne, et où l’homme a de la place à se retourner entre les quatre points cardinaux. Ce continent résume dans les trois notes blanches de son nom la plus grandiose symphonie panthéiste du monde : le Canada. Cette carte n’en représente qu’une toute petite partie : une région forestière et lacustre au nord de cette province de Québec qui depuis les fêtes du quatrième centenaire [de la venue de] Jacques Cartier est autre chose qu’un nom géographique pour le groupe de Français privilégiés qui allèrent là-bas représenter la France. Mais ceux-ci ont consulté des cartes toutes différentes, pour trouver l’itinéraire jalonné de villes, de ports, de monuments historiques préparé à leur intention. Ici, rien de tout cela : une surface grande comme plusieurs de nos provinces réunies n’est marquée que par les taches bleues des lacs, le cours des rivières, et quelques lignes pointillées indiquant des « chemins de terre ». Il y a une raison tout à fait spéciale qui me fait me pencher dessus avec des yeux pleins de rêve. C’est qu’au centre de cette région, je lis : Lac Marie-Le Franc, entouré d’un cercle au crayon rouge tracé par le service géographique pour attirer mon attention. Et voilà la surprise que, la veille de Noël, m’apportait le facteur de mon petit bourg breton, accompagnée d’une lettre parcheminée de ministre qui, au nom de la province de Québec, offrait à l’auteur d’Hélier, fils des bois le parrainage d’un beau grand lac sauvage. Me voilà pour l’avenir entourée du lac du Chevreuil, du Serpent, du Corbeau, de l’Aigle ; de ceux de la Mouette et de l’Épervier ; du lac Doré et de la Crique d’Argent, du lac à l’Eau Claire et de Blue-Sea ou lac de la Mer Bleue ; et de tant d’autres portant des noms de chez nous, les plus poétiques et les plus chantants, dont les baptisèrent les premiers pionniers qui mêlèrent ainsi à ces eaux farouches un peu du lyrisme de leur race… Et il faut supplier le gouvernement canadien de garder cet héritage intact. Au nord se trouve le lac Désert, dont le nom me sollicita jadis de si insistante façon ; au sud, la rivière Perdue, à la recherche de laquelle j’ai erré vainement une longue journée de septembre, et qui a l’air de me défier encore. Enfin, le plus grandiose de tous, le lac de la Montagne Tremblante, d’où sortit Hélier, qui n’est distant, à vol d’aigle, que d’une vingtaine de milles. Celui dont je deviens la marraine s’appelait, et continuera peut-être à s’appeler, pour les trappeurs qui poursuivent sur ses bords le castor, la martre et le rat musqué, le lac Vert. Qu’il consente, lorsque nous serons face à face, à se rider d’un sourire pour reconnaître notre lien de parenté, suffit. Dès mon retour au grand pays, je me mettrai à sa recherche. Une fois de plus, je prendrai possession du train des Laurentides, avec son odeur de glèbe laissée par les colons, qui grimpera en soufflant vers des hauteurs de plus en plus sévères, de plus en plus simples dans leur grandeur, où, de chaque côté de la voie, les masses des sapins sont puissantes comme des flancs de montagnes, où le bondissement des rivières répond à celui de votre joie. J’aurai pris …

Parties annexes