Le dernier livre de Véronique Cyr, Installation du feu , m’a rappelé l’univers de Shary Boyle, à qui la Galerie de l’UQAM consacrait récemment une exposition . Il y a, dans le travail aussi diversifié que maîtrisé de l’artiste visuelle (elle pratique tour à tour le dessin, la peinture, la sculpture, l’installation et la performance audiovisuelle), une volonté d’actualiser l’imagerie mythique en exploitant la violence qu’elle recèle. Le résultat produit l’étonnement, ébranle le spectateur et l’oblige à revenir sur les fondements de l’imaginaire occidental. Les figurines en céramique, notamment, profitent de la perception habituelle qu’on a du matériau (associé au luxe, à la vie bourgeoise, au kitsch) pour travestir certaines figures issues des contes et de la culture populaire. Je pense par exemple à ce couple de paysans assis autour d’un feu où brûlent les têtes de leurs cinq enfants, superposées à la manière d’un totem, ou encore à ces trois personnages couchés sous une couverture, un homme, une femme et un troisième dont on ne voit que les jambes, et qui pourrait bien être l’enfant du couple, qu’on aurait décapité. Il s’en dégage une étrange poésie, une atmosphère trouble et troublante, que l’on retrouve également dans les poèmes d’Installation du feu. Si la démarche de Véronique Cyr présente une grande cohérence, l’auteure a trouvé, dans ce troisième livre, matière à libérer la charge d’affects qu’elle cherchait à exprimer depuis ses débuts. Le conte, qui alimente et structure le livre , lui a permis d’adopter cette posture énonciative à la frontière de la fiction, du rêve et du souvenir, et de la tenir jusqu’à ce que la mémoire accède à sa pleine libération. Il y a beaucoup d’eau dans la poésie de Véronique Cyr , une eau attirante mais traîtresse. Associée à l’enfance, elle est cet espace rassurant où l’on s’immerge pour fuir le réel qui sabre les rêves et l’innocence ; mais elle est en même temps la déferlante, celle qui embrouille tout et pointe vers la mort. L’auteure poursuivant sa réflexion sur les blessures du passé, le feu devait peut-être advenir pour conjurer la menace de noyade et faire un sort à toute cette eau. Avec un juste sens du rythme et de l’enjambement, et d’une voix haletante, elle s’abandonne à l’urgence qui la brûle, celle de dire « violemment/le corps lancé/dans les filiations ratées » (12). Le conte agit en médiateur ; ramenant sur les lieux de l’enfance, il permet d’en revenir. Il la raconte autrement, la réinvente, assure cette nécessaire distance avec la violence dont elle est porteuse. Le personnage de l’anarchiste (figure amoureuse et complice), qui à la fois s’oppose et se superpose à celui du chasseur (figure paternelle menaçante, rappelant l’homme de la maison blanche du premier recueil), ouvre et ferme le livre, signe que s’y joue un début d’apaisement. Mais il importe d’abord de se concilier la violence, dont on ne peut de sitôt se départir. C’est précisément ce que fait le conte : rendre la violence conviviale en l’associant au jeu, et ainsi la pourvoir d’un sens : « je te demande de venir/lentement promener/nos clés contre la/carrosserie brillante/des Mercedes » (13). Se succédant, les contes figurent une sorte de Mille et une nuits à structure gigogne, dont le coeur recèle l’enfant blessée, l’oiseau perdu. On reconnaît là la filiation avec Anne Hébert et Saint-Denys Garneau que l’auteure affichait dès son premier livre . Tandis qu’elle raconte, la narratrice garde la tête hors de l’eau, attise le feu, échappe aux assauts du chasseur, qui fait penser au Roi des Aulnes de Goethe : Des strophes en italique surgit une voix …
Toucher ce qui brûle[Notice]
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Denise Brassard
Université du Québec à Montréal