L’univers des romans de Pierre Yergeau est presque toujours peuplé de personnages bizarres qui vivent des aventures invraisemblables. Autour d’eux se noue un crime ou un événement étonnant, voire inexpliqué. Une intrigue policière occupe l’arrière-scène, mais la résolution de l’énigme n’est jamais essentielle, car chez Yergeau, ce qui compte, c’est la mise en place de l’histoire, sa construction et l’interrogation qui lui est inhérente. L’auteur a d’ailleurs consacré un court essai fort pertinent à ce sujet, La recherche de l’histoire . Le motif apparaît également au centre de son dernier roman, Conséquences lyriques , son oeuvre la plus étoffée jusqu’à maintenant. On y découvre plusieurs récits et de multiples intrigues qui s’entrecroisent, y compris grâce au procédé de spécularité qui se trouve répété : le roman dans le roman met en abyme un autre roman. Cela se manifeste par la présence de l’Auteur, un romancier québécois qui vient de publier Conséquences lyriques, mais qui est aussi appelé à se rendre à Los Angeles pour adapter au cinéma le roman Lyrical Consequences de Kate Pratt, personnage du roman que nous lisons. On comprend rapidement qu’il devient très difficile d’attribuer au texte de Pratt ou à celui de l’Auteur les multiples histoires qui subissent de fréquentes ruptures et nous font basculer dans une autre histoire inachevée, ou qui proposent une fin dérisoire. Dans les romans de Yergeau, de l’Auteur et de Kate Pratt, on rencontre les mêmes personnages, des circonstances analogues et des bribes de dialogues qui — à l’ordinaire — embrouillent la situation plutôt qu’elles ne l’éclairent. Conséquences lyriques est-il un texte original, une traduction ou une reprise ? Yergeau semble s’amuser à transformer ces questions relatives à l’originalité de la création littéraire en thèmes récurrents dans ses fictions, sans offrir de réponses qui vont de soi. Dans les romans de Yergeau, les aspects qui se répètent — mais toujours avec des variations — incluent entre autres des réflexions essayistiques inséparables de la construction de la trame narrative. En général, elles portent sur le rôle de l’écrivain, l’écriture du roman ou les aléas du récit. Dans Conséquences lyriques, ce travail de la pensée contient aussi quelques propositions théoriques, certes modestes, mais qui procurent au roman une profondeur supplémentaire ou une plus grande pertinence. Deux autres éléments habituels chez Yergeau marquent Conséquences lyriques : l’exploration d’un monde coloré, paradoxal, excessif, comme on semble en trouver seulement aux États-Unis, et plus particulièrement en Californie, ainsi qu’une interrogation sur le fait divers. Au sein de ce groupe de personnages étranges qui habitent le Los Angeles de Yergeau, on retrouve Scott Howard, chasseur d’extraterrestres qui auraient envahi la ville et l’enfant sans prénom dont la mère pèse deux cents kilos et est repérée pour participer au tournage d’un film lors de sa première sortie hors de l’appartement depuis des lunes. Ce fait divers inusité semble s’inscrire dans la logique particulière du récit où tout peut se produire sans que la population urbaine s’en étonne : « Tout peut arriver à L. A., se dit l’enfant. Il y a toujours un type quelque part dans un studio en train d’écrire un scénario loufoque. » (175) En fait, Yergeau explore lui-même une multiplicité de scénarios ou de récits loufoques, mais sans jamais les faire basculer dans le registre du drame humain ni exploiter leur côté pathétique. Le fait divers représente un sujet essentiel chez Yergeau, presque une obsession. Il s’intègre à l’histoire, qui ne s’écrit jamais avec la majuscule : « Quelle est la différence entre un fait divers et un drame ? Selon Kate Pratt, le fait divers est à première vue un événement …
Questions d’histoires[Notice]
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Pascal Riendeau
Université de Toronto