Chroniques : Essais/Études

La mise hors de soi[Notice]

  • François Paré

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  • François Paré
    Université de Waterloo

Dans une remarquable entrevue qu’il accordait à Jean-Marie Thomasseau en 2002, Valère Novarina insistait sur la nécessité vitale du théâtre comme remède pour notre époque. Se mesurant aujourd’hui aux artifices des sociétés médiatiques et convaincu que le souffle de l’acteur peut s’opposer radicalement à l’essoufflement de la pensée contemporaine, le dramaturge propose en retour une corporéité miraculeusement préservée par le jeu scénique. L’acte théâtral pourrait donc mener à l’évidement de l’histoire et à son repeuplement dans l’extériorité de la voix : « L’homme demande à être représenté dehors, mis hors de lui, représenté en danse et en autopsie. Encore une fois mis hors de lui, […] il faut le représenter à l’envers, ouvert, portant le langage, offrant devant lui son corps de langage . » Ce défi, que l’auteur lance avant de disparaître dans la curieuse altérité qui l’habite et qui est la nôtre au moment où nous parlons, permet de refonder l’histoire à partir de son origine dans le dialogue et le jeu corporel des acteurs. Contrairement à ce que chacun peut croire au soir de la représentation, le théâtre illumine le temps. Il tient la durée à bout de bras comme si elle était une pure différence. Cette mise hors de soi par la lumière traverse une bonne part de la littérature contemporaine. Les trois ouvrages qui seront discutés dans cette chronique témoignent de la « force opératoire » (162) que Novarina attribue à la rencontre tripartite entre le livre, le corps et l’immanence de l’altérité théâtrale. Depuis sa Leçon d’anatomie en 1992 jusqu’à ses oeuvres les plus récentes, Larry Tremblay n’a cessé d’explorer sur scène et dans certains textes théoriques importants la pertinence absolue du théâtre en regard des multiples formes de représentation qui influent sur la vie quotidienne. Comment le théâtre pourrait-il être aujourd’hui une pratique désuète du spectacle, comme s’il était incapable de mobiliser un présent désormais voué à la fluidité des espaces virtuels, alors que tout dans le jeu des acteurs interroge notre inscription dans le réel ? Ainsi, Tremblay réaffirme la nécessité de la représentation théâtrale, non pas comme un pauvre avatar du récit, mais comme une sorte de flamboiement de la représentation. C’est sur le seul comédien que repose le miracle de l’incarnation du langage, le théâtre marquant de cette façon les limites de la pensée abstraite et des savoirs qui lui sont rattachés. Dans ce contexte, Le corps déjoué. Figures du théâtre de Larry Tremblay, sous la direction de Gilbert David, me paraît être un livre particulièrement important, non seulement parce qu’il met en lumière une oeuvre théâtrale assez peu commentée sur le plan critique, mais aussi parce qu’il souligne avec force un ensemble de « dramaturgies de la transfiguration » qui interpellent directement notre époque . Issus d’un atelier sur le théâtre de Larry Tremblay, organisé à l’Espace GO de Montréal en mars 2007, les textes réunis dans cet ouvrage ne traitent que de deux oeuvres récentes de cet auteur : Le ventriloque (2001) et La hache (2006). Cette approche assez limitée d’un corpus considérable s’étendant sur plus de vingt ans de production aurait pu affaiblir la portée de l’ouvrage, mais tel n’est pas le cas, dans la mesure où les textes de Tremblay amènent inévitablement chacun des auteurs à envisager le personnage et son jeu comme des formes vitales et profondément incarnées. À la manière de Novarina, Tremblay voit le théâtre comme un renouvellement radical du dualisme corps-esprit et, au-delà de chacune des figurations particulières, comme une réappropriation de la matière expérimentale. Dans une postface qui fait suite aux diverses études de son oeuvre, Tremblay, citant assez souvent …

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