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On retient généralement de la carrière d’Hubert Aquin les quatre romans publiés de son vivant [2] et ses essais à caractère politique. Rares étaient les études de son oeuvre médiatique avant la parution d’Hubert Aquin et la radio. Une quête d’écriture [3], ouvrage fouillé et synthétique de la spécialiste des médias québécois Renée Legris. Pourtant, les vingt-trois années passées à côtoyer la radio et la télévision de Radio-Canada n’ont pas été sans incidences sur l’oeuvre de l’auteur [4], qui a puisé dans les modèles d’écriture radiophonique et télévisuelle de la société d’État plusieurs schèmes compositionnels qui, transposés dans le roman, participent à la remise en cause des conventions du genre. Par exemple, le collage de citations et le mélange des voix narratives, appliqués par Aquin à la structuration de ses émissions radiophoniques documentaires et fictionnelles, se trouvent mis en pratique dans ses oeuvres romanesques où ils contribuent à la fois à métisser et à morceler le récit :

Il apparaît que, dans les émissions écrites par Aquin, la citation pure existe, mais que la plupart du temps, les citations de textes, les commentaires d’Aquin et l’information provenant d’autres sources interprétatives s’agglutinent pour créer un type d’écriture mixte qui, pour l’essentiel, se retrouve dans ses romans. […] Cette technique radiophonique qui éclate en fragments de discours colmatés est une voie vers la postmodernité littéraire recherchée par Aquin et elle en permet l’exploration sous diverses formes [5].

Les recherches réalisées par Legris constituent une porte d’entrée privilégiée pour observer le transfert de méthodes d’écriture radiophonique au sein de l’univers romanesque aquinien. Cependant, les manifestations du média télévisuel, en tant que mode d’appareillage et de représentation spécifique, restent à étudier. Nous établirons ici les fondements d’une telle analyse, par la mise en lumière de l’esthétique téléthéâtrale d’Hubert Aquin.

Le « super-téléthéâtre » aquinien

Aquin a écrit plus d’une vingtaine d’émissions documentaires et théâtrales pour la radio ; toutefois, son implication au sein de la Société Radio-Canada ne se résume pas au média radiophonique. Dès 1954, soit deux années seulement après que la société d’État ait commencé à transmettre sur une base régulière des émissions télévisuelles, l’écrivain adapte sous forme téléthéâtrale Moïra de Julien Green, qui sera diffusé l’année suivante. Ce téléthéâtre inaugure une longue collaboration à la télévision radio-canadienne, qui s’étend jusqu’au milieu des années 1970 quand l’auteur signe la traduction et l’adaptation de Sunrise on Sarah de George Ryga (présenté en 1974 sous le titre Une femme en bleu au fond d’un jardin de pluie). Au cours de sa carrière télévisuelle, Aquin a adapté sept oeuvres pour le petit écran [6], composé autant de téléthéâtres originaux [7], en plus d’avoir mis la main à une courte télésérie de trois épisodes intitulée On ne meurt qu’une fois [8].

L’écriture téléthéâtrale aquinienne s’est développée en synchronie avec la technologie de son média d’accueil. Du direct au film et à la bande magnétique, les possibilités techniques et narratives du téléthéâtre se sont en effet sensiblement transformées, passant d’une esthétique théâtrale à une forme plus cinématographique [9]. Généralement soumis aux lois du direct, le téléthéâtre des débuts de la télévision reproduisait des conditions de production proches de celles du théâtre sur scène, permettant un usage modéré des ressources écraniques du média télévisuel. Il fallut attendre la venue du préenregistrement, qui ne s’est imposé réellement qu’au cours des années 1960, pour qu’un plus grand recours aux extérieurs, aux insertions filmiques, aux artifices de la mise en scène, du montage et des effets spéciaux se manifeste. Offrant dès lors « plus d’importance à l’image qu’aux dialogues [10] », le téléthéâtre s’est éloigné du modèle théâtral et a adopté plus pleinement les qualités cinématographiques du petit écran [11]. Comme le démontre l’évolution de ses oeuvres dramatiques, la conception aquinienne de l’écriture télévisuelle a pris appui sur les avancées techniques de la télévision, passant d’une vision scénique à une idée davantage filmique de l’esthétique téléthéâtrale.

Avant d’aborder plus en détail les téléthéâtres d’Aquin, il convient de souligner que notre perspective d’analyse ne consistera pas à mesurer l’écart entre le scénario aquinien et le produit télévisuel, c’est-à-dire à évaluer la part du réalisateur dans la constitution du récit fini. Ce travail, déjà opéré par Christiane Lahaie dans le cadre d’une étude de Table tournante [12], ne manque certainement pas d’intérêt, mais il nous apparaît en partie inadéquat pour observer l’attirance de l’écrivain pour l’art télévisuel [13]. Nous excluons également de notre analyse les adaptations téléthéâtrales rédigées par Aquin, dont la problématique de la transposition intermédiale réclamerait un examen exhaustif et distinct [14]. Nous ne nous pencherons donc que sur les textes originaux signés de la main de l’auteur, avant toute interprétation de la part d’un réalisateur. Parmi ceux-ci, nous nous concentrerons sur les textes publiés, qui nous semblent également les mieux accomplis : Le choix des armes [15], Table tournante [16] et 24 heures de trop [17]. Enfin, nos observations seront ponctuées par de brefs survols des téléthéâtres inédits ou inachevés d’Aquin, dont Double sens et Oedipe qui s’avèrent particulièrement riches sur les plans formel et compositionnel [18].

Écrit à la fin des années 1950, en même temps que L’invention de la mort, Le choix des armes est le deuxième téléthéâtre original d’Aquin. Le récit est simple et l’esprit, proche du premier roman de l’écrivain : un jeune homme (Daniel) tombe amoureux de la femme (Colette) de son patron (Monsieur Henry). Cette histoire à saveur oedipienne, où Daniel voit en son patron une figure paternelle et en Colette, celle d’une mère, tourne mal lorsque le projet d’évasion des amants est compromis par un incident fortuit. Contrarié, Daniel assassine Monsieur Henry.

Le ton tragique du Choix des armes donne sa structure au téléthéâtre : les décors sont peu nombreux et généralement sommaires, le récit est fondé moins sur une organisation en plans et en séquences que sur un enchaînement global d’actions, les scènes sont longues, non numérotées et en nombre peu élevé (nous en dénombrons dix-sept). Les didascalies se résument en quelques lignes descriptives, très peu techniques ; conséquemment, les dialogues portent presque entièrement l’histoire. Le choix des armes se donne à lire avant tout comme un récit théâtral prenant modérément appui sur ses possibilités de médiation télévisuelle.

Lorsque Le choix des armes sollicite son média d’accueil, c’est avec réserve. À quelques reprises, le texte évoque la présence d’une caméra, d’une bande sonore :

La caméra reste sur le groupe : M. Henry – Colette – Patrice.
Colette — Patrice, ne touche plus à ce revolver.
Fade out des voix.
Musique.
Fade out de l’image.

CA, 193

Outre l’expression « fade out », le scénario du Choix des armes fait aussi intervenir quelques termes issus du langage spécialisé de la télévision ou du cinéma, comme « back screen », « contre-plongée », « mix », « cut » et « gros plan ». Cependant, ces expressions sont peu utilisées par Aquin qui, la plupart du temps, laisse ouvertes les possibilités de la réalisation en ne précisant qu’à certains endroits les formats de plans, les raccords, les effets spéciaux et les mouvements de la caméra.

Ces occurrences sont toutefois notables, car elles démontrent qu’Aquin, bien qu’il n’use des moyens techniques de la télévision qu’avec économie, n’est pas totalement indifférent à l’avenir médiatique du Choix des armes. Trois extraits retiendront notre attention. Le premier présente un effet spécial conventionnel à la télévision et au cinéma, qui vise à donner l’impression du passage du temps à l’aide d’un fondu enchaîné. Cette scène est reproduite dans Le choix des armes selon le schéma suivant : en attente d’être convoqué dans le bureau de Monsieur Henry, un personnage (Jacques) dessine des revolvers sur une feuille blanche. L’ellipse temporelle est alors créée : « Puis, mix sur la feuille de Jacques, maintenant toute couverte de revolvers. Le temps a passé. » (CA, 197)

Le deuxième passage montre une conversation téléphonique entre Daniel et Colette organisée selon la méthode du montage alterné. Le scénario présente alors chaque réplique des personnages dans le décor de son énonciation, créant par cette alternance une structure visuelle proprement écranique. Cette séquence est longue, nous n’en reproduisons qu’une partie :

Décor : La chambre de Colette […]. La sonnerie du téléphone retentit. Colette répond.
Colette — Ah, c’est toi… enfin ! J’étais terriblement inquiète. Mon chéri, je suis heureuse d’entendre ta voix.
Cut au décor de l’arrière-magasin.
Daniel — Je suis encore au magasin… Non, ce n’est pas risqué de te téléphoner d’ici. Je ne connais plus de risque, sinon celui de te perdre. Colette, viens vite me rejoindre à la ville. Ne perdons plus de temps. (un temps) Pourquoi ? Puisque tu es seule avec Patrice. Rien n’est plus facile.
Cut au décor de la chambre.
Colette, couchée en travers de son lit — Patrice est malade depuis cet après-midi […].

CA, 229-230

L’agencement des plans qui composent cette scène recrée les moyens développés par le cinéma afin de représenter la simultanéité, alors que deux actions disjointes dans l’espace se déroulent au sein d’une même temporalité.

Enfin, Aquin fait usage d’une technique abondamment exploitée par la télévision, qui consiste à passer d’un gros plan à un plan d’ensemble à l’aide d’un simple mouvement de caméra, visant par là à mettre en contexte un personnage (ou un élément du décor). Aquin emploie cette méthode à deux reprises dans Le choix des armes, faisant appel au procédé du « dolly back », c’est-à-dire un travelling arrière opéré au moyen d’une caméra montée sur un chariot :

Décor : Le magasin. La caméra commence en gros plan sur Daniel. Dolly Back. Daniel regarde sa montre.
Daniel — Cinq heures et vingt…
En reculant, la caméra fait voir le décor du magasin qui comprend les comptoirs, les vitrines où sont exposés les fusils et, au fond, le bureau du patron qu’on découvrira plus tard au cours de cette scène.

CA, 194

Le recours à cette technique est exceptionnel dans Le choix des armes. Néanmoins, il démontre bien la sensibilité d’Aquin à l’égard du média télévisuel, ainsi que les possibilités offertes par les équipements du studio d’enregistrement dans la composition de l’image.

Au moment d’écrire Le choix des armes, Aquin n’est donc pas étranger au format auquel son oeuvre est destinée ; cependant, les effets propres à l’image télévisuelle s’estompent derrière une structure et une composition dramatiques qui visent, somme toute, moins l’artifice visuel que le ton proprement tragique. Or, à la même époque, Aquin s’interroge sur sa carrière à la télévision, qu’il envisage d’abandonner afin de se consacrer exclusivement à la création littéraire. Pour l’écrivain, la forme téléthéâtrale s’avère contraignante et même aliénante ; simple moyen de reproduction de stéréotypes, elle engage une écriture mécanique dont la valeur artistique est douteuse :

Projet de téléthéâtre : ce que je découvre, de plus en plus, c’est que tous les sujets que j’invente sont modelés sur des archétypes de situation dramatique et pourraient se classer dans une catégorie donnée de l’anthropologie dramatique sans plus de difficulté qu’une carte perforée fait son chemin dans un classeur. Ce déterminisme culturel qui pèse sur moi de tous ses antécédents m’inhibe et me subjugue à la fois. Dois-je laisser la télé et continuer modestement mon métier d’écrivain, c’est-à-dire d’adaptateur de vieux thèmes ? Ou bien dois-je me révolter — et me dire que je vais sauver le déterminisme archétypal du thème par la forme artistique ? À ce moment-là, je céderais à une drôle de révolution puisque je me contenterais d’un pur académisme (tout ce qui est formaliste relève de l’académique !). Que me reste-t-il ? Dans un roman, je pourrais toujours profiter de cette polémique avec moi-même, mais au théâtre, à la TV [19] ?

La solution apportée par Aquin à cette « fatigue télévisuelle » consistera effectivement à « sauver le déterminisme archétypal du thème par la forme artistique », en créant un « super-téléthéâtre [20] » qui n’a que très peu à voir avec l’académisme appréhendé.

Au cours des années 1960, Aquin démontre une forte volonté de transformer le téléthéâtre en exploitant au maximum les potentialités expressives du média télévisuel. À cet égard, l’ébauche d’émission Faites-le vous-même (nommée aussi Smash) élaborée avec le concours de Louis-Georges Carrier en 1967 est évocatrice. Émission-surprise qui bouleverse les cadres traditionnels des dramatiques, Faites-le vous-même est un projet multiforme (il se présente d’ailleurs en différents états dans les archives d’Aquin) qui allie questionnaire, téléréalité, interaction du public et tension dramatique. L’émission se veut évolutive, non arrêtée : l’histoire qui la mène (simple fait divers ou thème autour duquel des invités brodent un récit) se construit (ou se détruit…) au fil du programme, sous l’effet des transformations et des ajustements que lui insufflent les acteurs de la dramatique [21]. L’idée maîtresse avouée par Aquin consiste dans le « renouvellement de la forme [22] » du téléthéâtre, par l’édification d’un

« spectacle total » en cela que toutes les ressources de la télévision seront mises à contribution. Ce spectacle aspire à créer, pour la télévision, un genre nouveau qui, en fin de compte, valorisera au maximum la relation dynamique qui peut exister entre la télévision et son public. Les cloisonnements entre les genres d’émissions ont été hérités, en quelque sorte, des traditions des spectacles présentés dans les salles. Notre but est de rompre avec ces traditions et de créer un genre propre à la télévision [23].

À l’image de plusieurs projets d’Aquin, Faites-le vous-même n’aboutira pas. Toutefois, l’ambition qu’a cette esquisse télévisuelle de sortir des conventions du petit écran et de déranger les attentes du public continue de hanter l’écrivain qui se servira abondamment des possibilités techniques de la télévision afin de parfaire son esthétique téléthéâtrale.

En introduction à Table tournante, Aquin souligne l’intention sous-jacente à cette oeuvre de dépoussiérer le genre du téléthéâtre :

Qu’il me soit donc permis d’évoquer la fierté que j’éprouvais, vers le 22 septembre 1968, d’avoir réussi à produire une émission dramatique vide de tout drame, une forme sans contenu ou plutôt : une forme avec un pseudo-contenu, sans déroulement logique et, à la limite, très loin de la vraisemblance. Pour moi, ce fut une expérience joyeuse, allègre, libératrice, presque vertigineuse mais combien euphorique. Depuis, le tube cathodique s’est remis à diffuser bien d’autres émissions toutes plus signifiantes les unes que les autres, toutes plus cathartiques les unes que les autres, certaines étant aristotéliciennes à mort ! D’autres un peu moins… et cela est tant mieux : je veux dire qu’il est préférable de s’éloigner un tantinet des grosses trappes de la dramaturgie !

TT, 146

Table tournante manifeste avec force cette volonté de « s’éloigner des grosses trappes de la dramaturgie » puisque ce « spectacle vide » (TT, 145) mais fondamentalement baroque repousse les limites du genre téléthéâtral en s’appuyant moins sur la constitution d’une histoire qui « fasse sens » que sur sa mise en forme éclatée. Oeuvre hallucinée, cette dramatique use pleinement des ressources filmiques de l’image télévisuelle, d’une manière qu’Aquin n’égalera réellement que dans son projet de « chantefable » moderne Oedipe ou encore dans Neige noire [24].

Déjà, dans son article « Hubert Aquin ou la quête médiatique », Christiane Lahaie avait noté les innovations esthétiques de Table tournante, relevant que

[p]ar ses suggestions de prises de vues audacieuses (reflet d’un reflet au miroir, superpositions, marche arrière image-son), [Aquin] démontre une plus grande maîtrise des ressources du petit écran. […] L’image n’est désormais plus assujettie à une action précise : elle devient le moteur même de cette action [25].

Il importe de souligner avec Lahaie que le foisonnement des techniques de manipulation de l’image dans Table tournante est supporté, justement, par le « vide » de l’intrigue qui, dans son apparente insignifiance, permet le développement d’une écriture qui exacerbe les possibilités créatrices de la télévision. Ce récit relate l’histoire d’un homme (Omer Sainte-Croix) qui attend son amante dans un restaurant. Durant les 90 minutes que dure le téléthéâtre, il observe un groupe d’amis ; aidé par le décor où pullulent les miroirs, à l’image d’un dieu leibnizien, il invente plusieurs scénarios à leur sujet : des vies manquées, des alliances extraconjugales ou des frictions amoureuses, autant de mondes possibles qui viennent meubler le temps de son attente. Réalité et fantasmes s’entremêlent au long de ce récit onirique, jusqu’à se fondre définitivement lorsque Omer et sa nouvelle flamme Laurence (rencontrée durant la soirée) s’imaginent une conclusion de type hollywoodien empreinte d’amour et ouverte vers l’avenir. C’est cette confusion du réel et de la fiction que reproduit dans sa forme l’esthétique téléthéâtrale adoptée par Aquin dans Table tournante.

Depuis Le choix des armes, Aquin a visiblement apprivoisé les langages du scénario et de la télévision. Table tournante signale avec exagération cette connaissance approfondie des codes visuels : le texte est savamment découpé en nombreuses séquences numérotées (une cinquantaine en tout) qui montrent chacune une action particulière, à l’image d’un découpage filmique. La mise en scène est sophistiquée et les décors prolifèrent ; les termes techniques, judicieusement choisis selon les circonstances, abondent : « gros plans panoramiques », « switch pan », « mix ou surimpression », « contre-champ », « blow up », etc. En conséquence de cet affermissement de l’écriture télévisuelle, les mouvements de la caméra s’avèrent plus développés, les types de raccords, diversifiés, et le montage gagne en complexité. Tantôt ce dernier tend à créer du mouvement, comme dans cette séquence où l’image est constituée de rapides fragments visuels tirés d’actions différentes :

SÉQUENCE 23
LIEU : Le restaurant.
Plans rapides en alternance :
1) Gros plan de Monique ;
2) Eva et Charles se regardant dans une ambiance vaporeuse, floue ;
3) Plan rapproché de Laurence ;
4) Eva et Charles dansent ensemble ;
5) Gros plan de Monique ;
6) Eva et Charles dans un baiser, visage seulement…

TT, 169

En d’autres occasions, le montage sert l’onirisme du récit et vise à rendre l’action invraisemblable, à l’exemple de cette scène où les mouvements de caméra se doublent de raccords aux effets surréels :

Omer se perd dans son miroir : il regarde le couvert installé devant Laurence. Switch pan au miroir no 2 : Omer, lui-même, se trouve attablé devant Laurence. Switch pan au miroir no 1 : la place en question est vide. Le même garçon italien vient enlever le couvert qui se trouve devant Laurence.

TT, 163

Ce sont toutefois les effets spéciaux qui font l’objet du plus grand investissement de la part d’Aquin et dont il exploite particulièrement les potentialités déréalisantes. Les images qui composent le téléthéâtre sont souvent figées, fractionnées, troublées ou dilatées et leur luminosité ainsi que leur vitesse varient fréquemment, créant des effets parfois proches de l’abstraction. Aquin évoque ainsi un « [p]rocédé humoristique à utiliser pour faire bégayer l’image » (TT, 173), un « accéléré-progressif » (TT, 185) montrant Laurence se déshabillant pour se mettre au lit, un ralentissement de l’image cherchant à produire une intensité dramatique (« Omer se dirige [au ralenti] vers la table de Laurence — histoire de bien marquer l’importance des dernières secondes qui le séparent de la vraie Laurence » ; TT, 190) ou encore des truquages optiques qui transforment l’aspect de certains personnages :

Soudain, Laurence occupe toute l’image. Son image se fige, puis reprend, se brouille, se déroule à divers rythmes. Puis, quand l’image redevient nette, Laurence n’a plus la même coiffure. […] À mesure qu’elle procède vers la table, Laurence se modifie, change du tout au tout, ne se ressemble plus, se multiplie ou se dilate. Produire un effet d’éblouissement comme si des rayons émanaient du corps même de Laurence.

TT, 159

Les nombreux dérèglements visuels qui traversent Table tournante contribuent à mettre en oeuvre une réalité plastique et mouvante, en accord avec les propensions fantasmatiques d’Omer Sainte-Croix. Par un tel usage des ressources expressives et des aptitudes fictionnelles de l’image télévisuelle, Aquin rompt avec une activité téléthéâtrale axée sur le dialogue et institue un emploi ludique et filmique de ce type de récit, qui agrémentera l’ensemble de ses créations ultérieures.

Bien qu’il soit supporté par une trame policière au mécanisme rationaliste, 24 heures de trop approfondit la volonté d’Aquin de remettre en cause les conventions des dramatiques télévisées en se présentant comme un « triomphe de la non-pertinence dans la représentation de la réalité » (24, 281). Comme il arrive souvent chez Aquin, le motif de l’enquête sert de prétexte à une intrigue qui échappe aux cadres de la logique policière. 24 heures de trop met en scène un avocat (Maître Henri Dupuy) qui se réveille dans un appartement inconnu avec en tête un trou de mémoire de vingt-quatre heures, qu’il cherche dès lors à combler. Or, son enquête le mène à une vérité singulière : il est amoureux de sa secrétaire, amour dont il a étrangement refoulé la révélation.

24 heures de trop se sert de son canevas policier, tourné vers un passé à désembrouiller, afin d’affirmer l’éclatement de son esthétique télévisuelle. Rythmé de nombreux flashbacks soutenus par un usage insistant de l’image fixe de type photographique, ce téléthéâtre exploite les capacités signifiantes du montage et les diverses modalités de manipulation de l’image de manière à favoriser la création d’un univers mystérieux dont le sens global se révèle lentement, mais progressivement, à l’aide des bribes de mémoire qui surgissent du vécu de Dupuy. Le récit débute par un intense fractionnement du monde, que l’image télévisuelle représente au moyen d’instantanés enchaînés, à la charnière de la photographie et du film :

L’émission commence par plusieurs images figées (ou photos) d’un homme (Me Dupuy) qui dort à demi-vêtu [sic] dans une chambre assez modeste (celle d’Édith). Cette succession d’images figées se déroule comme un ralenti heurté ; on peut donner une certaine progression dans la rapidité de succession de ces images à mesure qu’on voit l’homme (Me Dupuy) se réveiller, se frotter les yeux, regarder autour de lui, contempler, en quelque sorte, le lieu où il se trouve, ce lit, certains objets ; il a l’air assommé, comme quelqu’un qui sort d’un cauchemar…

24, 283

Tout au long du téléthéâtre, le basculement de l’univers de Dupuy dans le désordre et la confusion est exprimé à l’aide de multiples déformations de l’image qui souvent se tord, se brise ou vacille :

Me Dupuy se tient immobile, la valise en main, devant le miroir de la pièce de l’appartement de Nathalie où il se trouvait dans la séquence 21, juste à la fin, lorsque l’image s’est figée sur lui (ou transformée en photo puis après, sous une sorte de tension bipolaire, s’est déchirée, laissant à la place une sorte de photo floue de Me Dupuy et de Nathalie). Le flou en question revient au foyer (la musique cessant) dans le miroir où Me Dupuy se voit avec la valise. Il est bouleversé, ému…

24, 317

La structure de 24 heures de trop réfléchit ces distorsions de l’image par la multiplication des retours en arrière, tant sonores que visuels, qui font se déployer l’histoire dans plusieurs sens. L’effet sur le montage est certain : l’abondance des flashbacks crée un récit télévisuel tentaculaire où s’agglutinent et se chevauchent des fragments d’images (flashes, photos ou séquences filmées) et de sons (bruits, dialogues). Aquin prend ainsi toute la mesure des possibilités de la télévision en façonnant 24 heures de trop selon une perspective filmique, comme dans cette séquence où à une image au présent se superpose une conversation passée :

Me Dupuy compose le numéro, attend longtemps… Pas de réponse… Pendant qu’interminablement la sonnerie se fait entendre… Voice over…
MeDupuy — Alors ?
Nathalie — Me Girard ne veut rien entendre… Il m’attend, il tient à manger avec moi.
MeDupuy — Vous voyez ? Rien ne fonctionne pour nous… (Toujours au téléphone écoutant la sonnerie) Rien ne fonctionne pour… moi ! Rien n’a jamais fonctionné ! (Il sort de la cabine).

24, 311

Outre ce travail sur l’image, le montage et la postsynchronisation, 24 heures de trop révèle une conscience accrue, de la part d’Aquin, de la maniabilité de la caméra. Le scénario est ponctué de multiples zoom in qui contribuent à détailler certains indices de l’intrigue, par exemple les vingt-quatre heures qui composent le trou de mémoire de Dupuy :

Il sort son agenda de la poche intérieure gauche de son veston. Zoom in sur les pages de l’agenda. Page de gauche : vendredi 17 janvier. Deux notations horaires sont marquées : 9.30 : bureau, 10.15 : greffe, et c’est tout. Rien n’est inscrit dans l’après-midi du vendredi et la page du samedi est vierge.

24, 284

En plus de recourir fréquemment à la vision de type subjectif, de manière à ce que le spectateur adopte le point de vue de Dupuy sur l’enquête, le récit décrit avec quantité de détails certains déplacements de la caméra, qui deviennent dès lors essentiels à la bonne compréhension des événements :

L’auto.

(L’image reproduit un mouvement courant et continu.) D’abord, du point de vue de l’intervalle entre la banquette arrière et le siège avant (en contre-plongée), la caméra nous montre Me Dupuy qui, après avoir démarré son auto et mis sa radio en marche (musique), place sur la banquette arrière ses propres gants… Puis, il ramène sa main… La caméra (pendant ce temps) a montré le cadavre étendu là, derrière (la main morte et rigide dépasse un peu d’une couverture sombre qu’on a utilisée pour recouvrir le cadavre)… Visiblement, Me Dupuy ne s’est même pas aperçu de la présence du corps […].

24, 320-321

La mobilité de l’appareil de prises de vue, couplée à l’organisation signifiante des fragments d’images, de sons et de plans, témoigne d’une connaissance assurée des qualités visuelles du petit écran. À l’aide d’une esthétique recherchée qui mobilise l’ensemble des moyens techniques de la télévision, Aquin recrée dans 24 heures de trop un univers de la quête où les images, autant, sinon plus que les mots, mènent à la solution de l’intrigue.

Les interventions d’Aquin sur la forme téléthéâtrale témoignent d’une évolution constante dans son esthétique télévisuelle, l’auteur prenant progressivement la mesure des moyens d’expression du huitième art, adoptant une écriture filmique souvent comparable à celle pratiquée par les cinéastes de l’avant-garde ou de la Nouvelle Vague. Cette évolution se règle sur les développements techniques du petit écran qui ont graduellement fait s’éloigner le téléthéâtre du mode dramatique, créant un produit plus conscient de son matériau premier, l’image. Or, il convient de remarquer que le renouveau téléthéâtral aquinien coïncide avec l’entrée fracassante de l’écrivain en littérature. L’auteur paraît ainsi poursuivre sur le plan écranique les recherches entreprises lors de la composition littéraire : pour Aquin, créer un « super-téléthéâtre » est un projet analogue à celui de rédiger une oeuvre romanesque où il s’agit d’ébranler les formes convenues du récit. Et puisque tout échange s’avère réciproque, l’écriture du roman n’est pas restée indifférente aux expériences télévisuelles d’Aquin.

Des derniers projets à Neige noire

Les derniers projets téléthéâtraux d’Aquin montrent que pour l’écrivain, le genre avait considérablement changé sous l’impulsion de ses travaux antérieurs. Double sens, diffusé en 1972 mais non publié, poursuit sur la lancée des téléthéâtres précédents, exploitant les séquences à forte teneur onirique qui brouillent l’image télévisuelle, évoquant parfois avec force Table tournante : « Procédé technique : image fantôme de Gerson [qui] se dédouble à l’infini dans les miroirs situés partout dans le restaurant… Ralenti à peine perceptible… Image vaporeuse, troublée parfois [26] … » Le projet de téléthéâtre Oedipe [27] pousse encore plus loin le recours aux artifices visuels. Ce récit à caractère policier multiplie les effets spéciaux, les déformations, les défocalisations, les surimpressions et les emplois inopinés de la bande sonore, visant à créer un univers trouble à l’image de son héros, Oedipe, représenté dans le rôle d’un juge à son propre procès pour meurtre :

Jocaste s’éloigne vers l’armoire aux boissons ; caméra subjective (point de vue d’Oedipe) : image parfois imprécise, parfois au foyer et balayage continuel de la chambre à coucher de Jocaste et d’Oedipe… Sur cette image chaotique, surimpressionner la trame sonore des deux autos roulant sur des routes solitaires… Puis, le bruit fracassant de deux autos qui s’accrochent sur la route : ferraille broyée, coups de freins, vitres éclatées… Et aussi : quelques images FB fulgurantes d’un incident de la route impliquant les 2 autos qui ont été vues depuis le générique [28].

Aquin déploie dans Oedipe une écriture filmique recherchée qui synthétise les procédés en usage dans ses téléthéâtres antérieurs, joignant la technique du retour en arrière propre à l’intrigue policière, telle qu’appliquée dans 24 heures de trop, à la puissance d’irréalité développée dans Table tournante :

Séquence 8 (FB) : (Style onirique de cette séquence ; sa brièveté et sa discontinuité en témoignent, ainsi que la ponctuation de son déroulement par des FB-éclairs tels : gros plans d’Oedipe, réminiscences désordonnées de la scène du début quand il échappe son verre et que le monde se fractionne [29] …)

Double sens et Oedipe font montre d’une maîtrise certaine de l’esthétique du petit écran ; cependant, c’est avec Neige noire que l’écrivain donne son ultime impulsion à l’élaboration d’une écriture télévisuelle renouvelée.

La télévision a laissé des traces dans les oeuvres littéraires d’Aquin, qui sont perceptibles au point de vue de l’organisation de certains de ses récits [30] et à celui de leur contenu. Dans Neige noire, on se rappellera particulièrement le téléthéâtre Hamlet dont l’écrivain représente à la fois l’étape du tournage et celle de la diffusion [31]. Aquin révèle ainsi une large part de son savoir télévisuel, tant sur le plan de l’adaptation pour le petit écran d’un texte littéraire que sur celui de la pratique du studio d’enregistrement et du visionnement dans l’intimité du logis. En plus de ces manifestations pragmatiques, les propriétés expressives de la télévision ont également servi de modèle esthétique pour Neige noire. L’écriture de ce roman se montre solidaire de celle des derniers téléthéâtres de l’auteur, puisqu’il y déploie un même discours technique (quoique manifestement plus développé) et une même volonté de déstabiliser les normes du récit en images (télévisuelles ou filmiques [32]). Le projet de créer une écriture écranique innovatrice, amorcé dès les années 1960 lors de la composition des téléthéâtres Table tournante et 24 heures de trop, trouve son expression la plus poussée dans Neige noire où Aquin cherche à faire dire par l’image ce qu’habituellement elle se refuse à raconter :

Fortinbras… Tout doit-il signifier à ce point ? D’ailleurs qui, parmi les spectateurs, sait que Fortinbras est prince de Norvège et fils de Fortinbras, souverain de Norvège et ancien ennemi du père d’Hamlet ? Il est assurément difficile de traduire ces rivalités dynastiques en prises de vues. Rien, toutefois, n’est impossible […].

NN, 8

Un tel commentaire s’avère riche d’intérêt au sujet des relations entre le verbal et le visuel, toutefois, il convient de souligner pour l’instant la mise en parenté de la télévision et du cinéma dans Neige noire, déjà observée dans les derniers téléthéâtres aquiniens où le télévisuel se fait filmique, mais qui prend ici la forme d’un projet commun visant à remettre en question les repères usuels de la représentation.

La télévision occupe une situation particulière dans Neige noire : qualifiée de « petit écran » par rapport au « grand écran » auquel se destine le scénario, elle est dépeinte comme un meuble domestique de faible valeur que l’on écoute distraitement, la tête à l’envers couché sur le lit, en discutant ou en cherchant le sommeil ou encore en faisant l’amour. Cependant, si son statut est dévalué par rapport au cinéma, il n’en demeure pas moins que, dans Neige noire, la télévision joue un rôle analogue à celui de son grand frère filmique : petit écran, elle n’en est pas moins un écran dans l’écran, un écran spéculaire au grand écran, qui le reflète, le double et même parfois l’englobe.

La scène où est décrit le visionnement du téléthéâtre Hamlet est à cet égard éloquente (NN, 179-193). Lors de cette séquence où Nicolas et Éva regardent la dramatique tout en s’adonnant à certaines pratiques sexuelles se mélangent les images du téléthéâtre et du film d’une manière fortement complétive :

Éva s’immobilise, le regard bien braqué sur la surface renflée de la télévision. Nicolas regarde l’image retournée. Le découpage doit rendre cette alternance d’une perspective à l’autre, cette double vision du même spectacle : images de Fortinbras inversé, les yeux d’Éva légèrement embués. Nicolas la tête en bas, puis la même série en désordre. Des lèvres qui découvrent la denture impeccable d’Éva, les cheveux de Nicolas qui semblent prolonger les poils du tapis, Fortinbras marchant au plafond.

NN, 191-192

La télévision interagit avec les plans d’Éva et de Nicolas de façon parfois inusitée, comme si le spectateur virtuel des images de Neige noire observait le téléthéâtre dans la position d’un voyeur au spectacle double apercevant l’écran télévisuel au travers des actions du film : « Des cuisses ouvertes d’Éva, on aperçoit l’image versicolore de la télévision, parfois entamée par le ventre d’Éva qui se gonfle ou par la tête de Nicolas en premier plan. » (NN, 187) La télévision appuie également la mise en scène en enveloppant de lumière les éléments du décor, offrant à l’image filmique la possibilité de se donner à voir :

Les deux sont nus, baignant dans l’éclairage timide produit par la luminosité des images et qui varie en intensité et en chrominance selon le découpage. Éva et Nicolas sont plus ou moins discernables sur la courtepointe du lit, parfois vêtus de pénombre, parfois d’une nudité rubescente.

NN, 186

S’ajoutant finalement au mélange des images télévisuelles et filmiques, le montage de la bande sonore permet aux bruits et aux paroles émis par Éva et Nicolas de « répondre » aux personnages du téléthéâtre Hamlet et de compléter les actions de la dramatique par un supplément acoustique aux effets quasi irréels :

La respiration de plus en plus forte de Nicolas répond parfaitement aux silences du spectacle lugubre qui se déroule sur l’écran. Le corps du prince du Danemark est transporté solennellement aux accords sourds du Discorso, tandis que les corps enlacés d’Éva et de Nicolas, l’un planté dans l’autre et l’un enveloppant l’autre, sont devenus des statues de sel.

NN, 192

Le téléthéâtre Hamlet représenté dans Neige noire agit de pair avec le récit, se mélange aux images de celui-ci, cherchant à altérer la frontière qui sépare le télévisuel du filmique. Toutefois, c’est lors du visionnement de Il était une fois dans l’ouest par Éva que la télévision acquiert une force symbolique inégalée, puisqu’elle en arrive à comprendre Neige noire en substituant aux images du célèbre film de Sergio Leone celles de Sylvie marchant sur les bords escarpés d’un précipice du Spitzbergen :

Le téléviseur diffuse encore les prises de vues de Il était une fois dans l’ouest : un fleuve de tristesse, livré à lui-même, coule. Et les paysages suspendus aux seins de Claudia Cardinale rappellent les divinités poliades de l’antique Numidie : Gharez-Zemma, le désert vierge, El Kenissia, le désert fécondé, Bou Kourneim, le désert céleste. Qu’importent les sables de Tipasa et les dunes de Sainte-Salsa puisque toutes ces étendues, sous l’effet des filtres, ressemblent aux sables fins d’Undensacre et à la neige noire du Spitzbergen. Éva, assise par terre, regarde l’écran, elle voit Sylvie qui, telle un négatif, avance blonde dans un désert froid et frôle des précipices dont on sait désormais que l’un d’eux lui sert de fosse.

NN, 215

Brisant la hiérarchie des niveaux diégétiques (de même que celle qui situe le cinéma à un degré supérieur par rapport au petit écran), la télévision obtient un statut analogue au filmique dans Neige noire : pouvant comprendre le film dans lequel elle est mise en scène, elle devient un lieu privilégié de fiction, au même titre que le cinéma. Or, rattrapant le septième art dans ses capacités à porter l’histoire, le petit écran rejoint du même coup les préoccupations esthétiques qui déterminent le dernier roman d’Aquin. De pair avec le filmique, la télévision contribue à faire reculer les frontières du genre romanesque en participant à la création d’un important réseau de références intermédiales [33] à l’image qui tend à promouvoir celle-ci au rang d’interprétant premier du récit, incitant le destinataire à adopter des positions réceptives inédites — et parfois même extrêmes, comme celle que prend Nicolas devant son téléviseur, observateur d’un spectacle aux limites du représentable : « Nicolas au salon devant le poste de télévision toujours allumé, mais silencieux. Le petit écran ne diffuse qu’un magma informe, strié, chevronné, à chrominance déréglée. Ce qui est représenté à l’écran ne représente plus rien. » (NN, 16-17)

Si Aquin a retiré de son rapide passage à l’Office national du film « l’expérience d’une expropriation de l’auteur [34] », comme le soutient Marie-Claire Ropars-Wuilleumier à la lumière des insuccès cinématographiques de l’écrivain, force est toutefois de constater que les années passées à travailler pour le compte de la Société Radio-Canada ont eu un effet inverse, puisqu’elles lui ont permis de prendre la pleine mesure des ressources techniques et expressives de l’image animée. En ce sens, Neige noire se révèle moins un exutoire pour les aspirations filmiques d’Aquin que la dernière manifestation d’une recherche esthétique qui, tout en récusant les cloisons entre les médias, offre à l’image un rôle de premier plan.