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Espaces — Février (extrait)
Refrains — Mars (extrait)
le peu que je sais
le peu que j’ai appris
le peu que je dirais
c’est qu’il y a peu de frontières qui résistent
puisque le monde gravite à volonté
tous les soirs le soleil s’enfonce dans la mer
des jours entiers passent sans qu’on les voie
le temps ne faisant que revenir sur ses pas
le ciel a toujours ce bleu si éprouvant
le peu de choses que je sais
ne me permet pas d’en dire plus
il est temps pour nous d’apprendre autre chose
d’oublier ces souvenirs embrumés
présence ombrageuse et fugace
cette mémoire sacrifiée au goulot
tous ces yeux qui m’ont mémorisé
et bercé dans leurs larmes
si j’avais su ce que je sais
le peu que je sais
qui doit me rester pour les éternités à venir
l’expression de mon indigence
sous le secret du monde qui m’échappe
comme à nous tous également
je sais que le temps n’attend pas
marchant dans mes pas de reculant
j’irais au prix d’une confiance aveugle
sur des routes ignorantes
me demandant où sont passés tous les mots
qui devaient protéger de l’erreur
le peu que je sais
le peu que je ne saurai jamais
ne me permet pas de m’attarder
de prendre note de la vie sur terre
de parler à la hauteur du monde
de composer avec le temps
sachant fort bien ce qui en est
il est trop tard pour désapprendre
le peu que je sais
Nostalgies — Juin (extrait)
Saint-Simon
Il y avait un chemin de terre et cet enfant qui dansait
dans la poussière devant une maison aux fenêtres éventrées un
samedi soir dans la chaleur lourde et épuisante de l’été. La radio
déversait sur le paysage une musique western déchirante qui s’étendait
dans le coucher de soleil se fondant au crépuscule puis
dans la brunante pour aller se prendre dans les branches squelettiques
des épinettes qui ondulaient dans le vent au bout des
champs abandonnés. Marcel Martel chante : Un coin du ciel/On
vivra tous deux ma chérie/Un coin du ciel/On s’aimera toute la vie.
Et pourtant la tension qui charge le ciel en ce samedi soir ne se
prête guère à de telles déclarations d’amour inconditionnel.
Il y avait cet homme qui sortait en colère de la maison
s’imaginant que l’enfant dansait pour le braver, pour rire de lui,
de sa misère accumulée de toute une semaine de travail qu’on
déteste, pour affirmer haut et fort sa conviction que cette musique
est à lui et à lui seul. L’enfant effrayé qui s’enfuit pour disparaître
dans la nuit tombante, apeuré à l’idée que sa danse puisse être
aussi troublante. L’homme qui rentre dans sa tanière grognant et
désabusé, refermant la porte avec fracas et hurlant des injures à
l’humanité rassemblée. Roger Miron chante : À qui le petit coeur
après neuf heures/Est-ce à moi, rien qu’à moi/Quand je suis parti loin
de toi chéri/À qui le petit coeur après neuf heures. Demain ce sera
dimanche et la musique prendra une tout autre tournure nous
faisant définitivement changer d’ambiance et d’époque.
Il y avait la nuit qui finissait par s’abattre sur cette maison
de bois qu’on apercevait de la courbe du chemin sortant de la
forêt. L’herbe qui poussait tout autour pour se transformer en
foin à la fin de l’été. Un silence de mort envahissait le bleu profond
des rêves où perçait la lumière lointaine des étoiles. L’été et
le cauchemar rauque des orages augurant la colère du Dieu
vengeur envers son peuple insoumis. Paul Brunelle chante : Au
pied du quai, je vois la mer qui danse/Au loin là-bas je vois le grand
bateau/Le vent qui souffle avec un air immense/Au loin là-bas je vois
le grand bateau. Mon père qui revient de la pêche, mon père qui
va partir dans les chantiers, mon père qui ne dit rien.
Il y avait aussi cette église si grande et si propre où l’on
se rassemblait de semaine en semaine pour connaître les
dernières nouvelles du paradis, les progrès du communisme et
recommencer ces cérémonies épuisantes où d’année en année
Jésus venait vivre et mourir parmi nous. Noëlla Therrien chante :
Rappelle-toi de nos baisers de nos caresses. La vie s’arrête. Tout le village
est là, rassemblé au milieu des voitures aux courbes provocantes
et qui font contrepoids aux prières en latin. Le repas du
midi, le seul que nous prenons tous ensemble au milieu d’une vie
sans protection qui ralentit enfin dans la chaleur et les odeurs de
l’été, de la forêt toute proche où nous passons nos journées
ensoleillées, insouciants du prix et du poids des choses, de cette
planète dont chacun est le centre et qui se perd à l’horizon de
cette mer dont il ne reste que le bleu infini.
Il y avait cette colère latente et l’impossibilité de faire
autrement et j’entends cette musique de danse, ces chansons
nasillardes, ces paroles qui me restent même si j’en mesure désormais
la naïveté et la distance. Oscar Thiffault chante : Après qu’il
a eu mangé a wing hein hein/A wing hein hein/La bonne femme lui
a demandé ce qu’il voulait/Ce qu’il souhaitait/Ah ! je voudrais
madame, je voudrais bien me coucher. Cet enfant qui dansait que
j’aimais comme un frère et qui s’est tué en voiture un soir d’alcool
sur un pylône d’acier d’un pont qu’il n’a jamais traversé et dont
la danse me reste comme une incitation à ne faire que ça. Danser
entre les pierres obtuses et braver la rage du monde pour ce geste
inoffensif et libérateur.
Il y avait d’abord et toujours ce désir obstiné d’une
lumière improbable, cette route qui menait nulle part, mille fois
parcourue vers les mêmes lieux, ce village en rond tournant sur
lui-même et ces rumeurs dont nous étions à la veille de devenir
les témoins obligés et consentants. Elvis Presley chante : You ain’t
nothin’but a hound dog/Cryin’all the time/You ain’t nothin’but a
hound dog/Cryin’all the time. Ce bouleversement nébuleux et ce
grincement lointain à peine audible dans les errances ondulatoires
d’une station spatiale intermittente. L’attraction d’un autre
champ gravitationnel, le désir inconscient mais si séduisant de
devenir un corps étranger.