Chroniques : Poésie

Du même au Même ou du fini à l’infini[Notice]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Le dernier recueil de Fernand Ouellette, Présence du large , est paru après le somptueux triptyque intitulé L’inoubliable , mais il a été écrit avant — du moins le premier jet . L’auteur en a retardé la publication de façon à faire coïncider la sortie de son triple recueil avec le cinquantième anniversaire de son entrée en littérature, marquée par la parution de Ces anges de sang . Je parlerai donc d’abord de Présence du large, chronologiquement premier, puis de l’étonnante floraison qui a suivi. L’auteur ayant accédé à une fécondité en regard de laquelle, heureusement, la qualité de ses écrits n’est pas en reste — qualité et quantité s’épaulent l’une l’autre —, il se pourrait que d’autres publications viennent s’ajouter sous peu à celles dont je fais état dans la présente chronique. Il n’empêche : 900 pages de poésie, et quelle ! feront une matière plus que suffisante ! Du reste, faute d’espace, je traiterai essentiellement du premier des trois tomes, qui donne une juste idée de l’ensemble. Devant une production aussi soutenue, la question se pose : l’auteur est-il doué d’une prodigieuse imagination qui l’entraînerait, comme un Victor Hugo, sur tous les sites de la sphère poétique ? Fait-il concurrence à l’univers ou, tout au moins, au dictionnaire, comme Balzac prétendait la faire à l’état civil ? Eh bien, non ! Chaque poème semble nous ouvrir les portes d’une seule et même réalité, celle d’une pensée infiniment accueillante à elle-même, à son rapport à soi et à une relation verticale à l’infini. Sans doute, comme l’écrit le poète lui-même dans une présentation récurrente (I, II et III, p. 4 de couverture), y a-t-il enracinement « dans la matière du monde », mais l’« aventure unique » qui en découle est l’affaire du moi, ou, comme il le répète souvent, de l’intime. Car l’intime c’est TOUT, grâce à l’intensité de l’engagement du poète. Voilà très certainement une poésie fort personnelle (ce qui ne veut pas dire confidentielle), à première vue peu soucieuse de l’autre, mais cette poésie travaille pour tous en ce qu’elle cherche inlassablement le secret de la vérité profonde de soi. Vérité inconcevable sans un rapport à ce que d’aucuns appellent l’être, et que d’autres appellent Dieu. Fernand Ouellette est croyant, mais il est aussi poète et, à ce titre, met de côté toute propagande religieuse. Il parle de l’être (ou encore de l’âme, sans fausse piété). Cet être, le croyant (extralittéraire) le vit en relation avec une transcendance. Le poète, lui, le rencontre plutôt dans les gestes et les tourments, les exaltations de chaque jour, l’immanence d’un vécu soumis aux aléas d’une existence promise à la mort. Le moindre sentiment le met en rapport avec la consistance du moi-monde, de ce qui fait sens. Or, voilà le maître mot. Le poème intitulé « Le tour », qui est une sorte d’art poétique, dénonce « L’éteigneur de sens/Qui nous mure » (73). Le sens, en effet, est premier, c’est lui qui donne accès au « large », à la « présence » qu’évoque le titre du recueil. L’ennemi de l’humain s’en prend à ce qui élève et libère, grâce à « sa machinerie/Prochaine, insidieuse,/Trempée on ne sait/Dans quel marécage./Et le poison/Qui atteint le fond du coeur. » (73) On touche ici à un aspect important de l’art de Ouellette, qui trouve des images à la fois simples et inattendues, très adroites dans leur apparente naïveté. L’« éteigneur » de sens qui nous « mure », qui d’un même geste coupe le feu vital et élève un cachot sans air et sans lumière, il est tout …

Parties annexes