Chroniques : Recherche

Ce que deviennent les « classiques »[Notice]

  • Robert Dion

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  • Robert Dion
    Université du Québec à Montréal

Malgré ce qui peut les différencier de prime abord, mes lectures du mois dernier — un ouvrage sur la traduction littéraire tiré d’une thèse de doctorat et un collectif publié dans une collection entièrement vouée à l’une de nos auteures cardinales — m’ont fait songer au processus d’institutionnalisation accélérée de la littérature québécoise depuis les deux ou trois dernières décennies. Non que ce mouvement n’ait pas été perceptible auparavant, mais il semble, ces derniers temps, s’être précipité, et la recherche — c’est ce qui m’est apparu avec plus de force que jamais — n’est pas en reste en fait d’accréditations et de consécrations. Même quand elle paraît se limiter au simple constat du phénomène d’institutionnalisation, elle ne manque pas, en effet, par le choix de ses objets et plus encore par ses conclusions, de participer à la tendance générale. On n’est pas forcé d’être agacé, mais il y a des moments où, oui, l’on souhaiterait un peu plus de distance… Je n’ai encore jamais parlé des Cahiers Anne Hébert, qui en sont pourtant à leur septième livraison avec ce dossier ayant pour titre Filiations. Anne Hébert et Hector de Saint-Denys Garneau . On ne fait que commencer, au Québec, à publier des Cahiers dédiés à nos icônes nationales, et l’on peut raisonnablement penser que bientôt il y aura pléthore de « Sociétés des amis… » de tel ou tel de nos écrivains fétiches. C’est sans doute une bonne nouvelle pour les aficionados, pour le loisir littéraire en général et peut-être pour l’industrie touristique ; pour la recherche, ça reste à voir. Avouerai-je que ce dossier ne m’a qu’à moitié convaincu ? Il y a certes du savoir dans ces pages, mais aussi beaucoup de dévotion, et quelque chose d’un ronron critique qui ne sert pas nécessairement l’oeuvre d’Anne Hébert. Je ne suis pas un spécialiste, je veux bien l’admettre, ni même un admirateur inconditionnel de l’écrivaine : j’ai toujours trouvé à ses romans quelque chose de vieillot sous les procédés modernes (trop) éprouvés. Je ne suis donc pas le mieux placé pour juger de la critique hébertienne telle qu’elle se déploie ici ; mais il m’apparaît tout de même que, plus d’un lustre après la mort de l’auteure, il serait temps de soumettre son oeuvre à des interrogations plus osées, ou simplement de la lire un peu moins dans le sens du poil. À mon sens, certaines études hors dossier, tout particulièrement celles qui portent sur les avatars de la maternité (Stéphanie Viau) et sur les spécificités de la prose poétique hébertienne (Adela Gligor), ne constituent pas des avancées très notables par rapport à ce qu’on disait déjà d’Anne Hébert à l’époque de mes études universitaires, dans les lointaines années 1980. Quant à la troisième contribution hors dossier, d’Annabelle M. Rea à propos de la fonction du vêtement dans Un habit de lumière, elle traite certes d’un sujet moins convenu et d’un roman qui n’a pas, jusqu’à présent, obtenu toute l’attention critique qu’il méritait, mais elle reste à la surface, justement, et ne lève pas vraiment le voile, si je puis me permettre de filer la métaphore, sur les dessous du texte… Les articles du dossier , pour leur part, abordent de plus ou moins près ces filiations qu’annonce l’intitulé des Cahiers. À côté des très anecdotiques contributions de Benoît Lacroix (un témoignage assez ténu sur la vie au manoir des Garneau), de Frédéric Brochu (sur la généalogie des Hébert et des Taché) et de Marie-Andrée Lamontagne (un aperçu de la biographie d’Anne Hébert qu’elle est à écrire), le lecteur aura deux morceaux plus substantiels à se …

Parties annexes