Chroniques : Poésie

Deux rétrospectives. Madeleine Gagnon, Alexis Lefrançois[Notice]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Après les rétrospectives de Pierre Nepveu et d’Hélène Dorion , voici celles de Madeleine Gagnon  et d’Alexis Lefrançois , qui présentent toutes deux la caractéristique d’être la reprise, totale ou partielle, de rétrospectives antérieures parues au début des années 1980. Depuis Autographie I , l’oeuvre de Madeleine Gagnon s’est considérablement enrichie, de sorte qu’on peut considérer que l’essentiel est venu après coup ; alors que L’oeuf à la noix n’ajoute pas de textes nouveaux aux poèmes de Comme tournant la page , l’auteur s’étant surtout illustré depuis, sous la signature d’Ivan Steenhout, qui est son nom véritable, dans la traduction littéraire . « [T]u as trouvé l’énigme/tu cherchais le poème » (725), lit-on au terme de la volumineuse édition de l’oeuvre poétique de Madeleine Gagnon. Et c’est vrai : le poème n’est jamais le poème. Il doit être autre chose — cri, méditation, effraction de rêve, parfois procès-verbal d’une réalité porteuse de sens… Chez Madeleine Gagnon, il est surtout énigme, c’est-à-dire quelque chose de très simple et d’impénétrable, de quotidien et d’infiniment lointain. Claudel l’avait dit déjà : « Les mots que j’emploie,/Ce sont les mots de tous les jours, et ce ne sont point les mêmes  ! » Et Gagnon, qui est une femme de gauche, est d’accord avec le gros homme catholique (voir p. 676), ce qui montre que chez elle, la poétique sait l’emporter sur la politique. Plus de quarante ans d’écriture, magnifiquement continue et fidèle à la tonalité choisie dès l’origine. Ou presque. Car les deux premiers recueils parus, Pour les femmes et tous les autres  et Poélitique , malmenaient quelque peu l’énigme, au profit des idéologies marxiste et féministe — les deux ensemble, ce qui n’est pas si conforme aux orthodoxies… Madeleine Gagnon les met de côté et choisit pour point de départ Antre, paru en l978, mais dont l’écriture est, en partie du moins, chronologiquement antérieure. Il s’agit là, écrit-elle dans sa présentation, de son premier vrai recueil, « le nucléus de tout l’oeuvre à venir » (12). La métaphore scientifique, « nucléus », qui témoigne chez l’auteure d’une curiosité maintes fois manifestée pour les sciences, en particulier celles de la Terre, suggère un principe inerte et pourtant actif, grain de sable ou fragment, capable d’opérer la cristallisation de minéraux, comme dans la perle. Le lisse, le doux, le translucide sont obtenus à partir d’une rude élaboration. L’« eau » de la perle est la conversion de la pierre, cette pierre qui est un motif fécond de l’oeuvre de Gagnon et qui figure dans le titre d’un important recueil (Rêve de pierre ). On a fréquemment l’impression que la lumière propre au poème est la résultante d’une sourde transmutation, d’un adoucissement énigmatique qui substitue, à la logique âpre des mots de la raison, une tendresse espérante, un orient. Ce texte vibrant contient plusieurs traits caractéristiques de la poésie de Gagnon, à commencer par l’imprécision volontaire concernant les « acteurs » : « tu », destinataire du discours, mais aussi sujet d’une action qui met le moi en position de témoin, s’agirait-il de l’homme aimé ? ; et « ils », ceux qui dressent de la mère un portrait catastrophique et qui pourraient être les tenants de la tradition phallocentrique. Ceux-ci voient leur mère depuis le fond incestueux de leur désir, ils la voient comme être phallique et comme ogresse… On mesure tout de suite ce qui se dissimule, ou plutôt s’affiche à moitié, de savoir dans la méditation poétique de l’auteure. Passionnée, dès le début de sa vie intellectuelle, par les études de symbolique et ce qui les alimente, notamment la …

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