Chroniques : Poésie

Extraits du catalogue[Notice]

  • Gabriel Landry

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  • Gabriel Landry
    Collège de Maisonneuve

L’objectivité du lecteur de poèmes n’est pas possible. Seule est réalisable la mise à distance volontaire de ses goûts, de ses idées, quand il rend compte de sa lecture. Mais cet évitement est-il souhaitable ? Il n’est jamais qu’un refoulement, ici un peu lâche ou… diplomatique, disons, là parfaitement inutile, et a tôt fait de virer à l’oecuménisme si l’on considère que notre époque donne à lire, sous l’appellation de poésie, un catalogue de textes extrêmement divers, dont beaucoup s’excluent mutuellement quant aux vues et aux critériums qu’ils sous-entendent sur le poème, la poésie et le poétique. Quiconque ouvre au hasard quelques-unes des récentes publications, dans une librairie où il s’en trouve assez, est à même d’avoir un aperçu, en une vingtaine de minutes, de cette variété extravagante qui est le signe de la modernité et de sa suite — à moins qu’on ne répète une modernité qui a vécu, il s’agit surtout, aujourd’hui, de sa suite. Une chronique ne peut pas être autre chose qu’un rapport des coupes pratiquées dans le tissu de la poésie, de ce que l’on continue d’appeler la poésie. Les 144 poèmes rassemblés par Robert Melançon dans Le paradis des apparences  sont réglés au quart de tour. Le livre est lui-même un monument bien carré : douze fois douze poèmes de douze vers, chaque poème composé de quatre tercets. Chaque poème est un « sonnet allégé » (36). Aussi bien, on pourrait dire que chaque poème est une épigramme, en toute conformité à la loi tacite de brièveté qui régit l’écriture poétique contemporaine (depuis les… cent cinquante dernières années ?). Cette brièveté du format est peut-être le seul point de rapprochement évident entre les poèmes de Melançon et ceux de ses contemporains, car son oeuvre, de Peinture aveugle au Dessinateur, s’édifie au mépris des valeurs poétiques qu’on tient pour représentatives de la modernité, valeurs qu’on pourrait tenir aussi, à tort ou à raison, pour les plus usées : hermétisme et codage, éclatement du verbe et de l’imaginaire, surenchère métaphorique, lyrisme du moi, écriture du corps et du désir. « Les poètes d’aujourd’hui accumulent sans doute les pièces d’une nouvelle Anthologie dont un Planude de l’avenir fera la compilation. Leurs oeuvres tiennent peu ou prou de l’épigramme, dans l’acception originelle du terme : ce sont des inscriptions, parfois de simples graffitis . » Si les poèmes du Paradis, médités, calculés, ordonnancés dans le recueil, ont peu à voir avec la spontanéité ou l’impulsion du graffiti, ils sont en revanche de véritables inscriptions : épigraphes, figurations, notations (sur l’épiphanie des choses, sur ce qui apparaît, se montre, se laisse voir-contempler-décrire, « événements minuscules » [5] ou non) ; épitaphes, méditations (sur la dissipation, éclipse, fuite et fragilité de toutes choses, de l’écureuil équilibriste [1,6] au livre lui-même, voué à l’oubli [144]), ces poèmes sont autant de comptes tenus au registre du temps qui passe, saison après saison. En effet, l’ordre des poèmes s’accorde au déroulé progressif des saisons, et la temporalité qui est à l’oeuvre dans la plupart d’entre eux s’inscrit dans les limites d’une journée. Pour bien marquer la mesure d’un métronome infatigable, celui du jour et de la nuit, de même que l’alternance du couple apparition-disparition, de ce qui s’offre ou se dérobe « à tout instant » (39). Dans une plaquette d’une vingtaine de morceaux, cette mobilité serait inappréciable, mais sur une échelle de 144 poèmes, cela crée un effet certain. La révolution de l’an a lieu au moins quatre fois (on songe à Joachim du Bellay, à « l’an qui fait le tour  »), et le livre s’ouvre puis …

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