Chroniques : Poésie

Les lèvres d’Élizabeth II[Notice]

  • André Brochu

…plus d’informations

  • André Brochu
    Université de Montréal

Les éditeurs publient beaucoup d’anthologies et de choix de textes individuels de poètes québécois depuis quelques années, sans doute avec l’espoir de se tailler une part du marché généré par les programmes d’enseignement. Voici toutefois une anthologie différente des autres, puisqu’elle est thématique et s’adresse aussi au grand public désireux de se renseigner sur une voie peu explorée de notre littérature. Dans Humour et poésie. 30 poètes québécois , Anne Peyrouse relève le défi de rassembler des textes où l’humour, qui a la réputation d’être peu présent dans notre poésie, tiendrait quelque place. Certes, il y a humour et humour, et l’on aurait souhaité que l’auteure présente la matière et propose quelques définitions. Elle s’en abstient rigoureusement. Faut-il croire que la matière parle par elle-même, ou que la difficulté de la circonscrire décourage les efforts de synthèse ? La lecture montre, en tout cas, de grandes inégalités dans la drôlerie — si tant est que celle-ci soit un synonyme, ou une composante, de l’humour. Les poètes se suivent selon l’ordre alphabétique de leur nom, de sorte qu’aucun paysage historique, thématique ou formel ne se trouve proposé. Ainsi peut-on, sans doute, mieux percevoir la singularité de chacun des petits bouquets de textes correspondant à un auteur ; mais certains auraient sans doute gagné à être mis en perspective avec d’autres appartenant au même registre. Par exemple, automatistes et surréalistes (ou surréalisants), tels Claude Gauvreau, Thérèse Renaud, Jean-Noël Pontbriand (en l’occurrence) et Paul-Marie Lapointe — où est Roland Giguère ? —, qui brassent à coups de mots la cage de la réalité pour en recomposer la représentation sur une base désirante, croisent le comique en chemin, mais le dépassent aussitôt vers autre chose qui est, en somme, fort sérieux et relève même, souvent, d’un certain dogmatisme. Les forgeries ou les vitupérations exploréennes d’untel, les jeux de mots sur « Tabarnacos » (« Ta barre n’a qu’os ») de tel autre n’ont avec l’humour que des rapports problématiques ou, alors, délibérément décevants. D’aucuns pratiquent l’humour pour mieux s’en détourner, et c’est sans doute le cas de beaucoup de poètes soucieux de garder le texte ouvert à toutes les aventures. Souvent le rire ferme, rabat sur une idée, un message. Les poèmes vraiment drôles sont rarement les plus poétiques. On rencontre ici l’exemple de Jean-Paul Daoust, qui recourt volontiers à des structures langagières simples, inspirées de la litanie, dont l’absence de complexité favorise la mise en valeur de rapprochements comiques : Le comique, ici, a quelque chose de férocement local et repose sur l’évocation critique de références connues. En plus comique encore et en plus fin, on trouve les poèmes de Michel Garneau, pleins de fantaisie et d’imagination ; et plus avant encore dans la poésie-humour, on découvre ceux d’Alexis Lefrançois, d’un ludisme magnifique. Voilà des poètes qui savent s’amuser de l’intérieur même du langage poétique, et non simplement plaquer une rhétorique de suggestion sur des idées drôles. Curieusement — mais c’est peut-être l’effet d’un choix de textes discutable —, les poèmes de Gérald Godin, dont on attend peut-être trop, déçoivent quelque peu. On s’étonne de la présence de poètes qui n’ont guère publié, ou même qui n’ont pas encore fait paraître de recueil (Sylvie Nicolas), et de textes dont la qualité laisse songeur. L’humour sportif d’un Bernard Pozier n’a certes pas la truculence des délires textuels de Yolande Villemaire. On devine que, dans le but légitime de constituer un corpus d’une bonne étendue et de couvrir tous les aspects de son sujet, l’auteure a dû faire appel à des réserves d’indulgence. Une anthologie ne se construit pas sans compromis. Il reste que le …

Parties annexes