Chroniques : Roman

Le chaos dedans et dehors[Notice]

  • Michel Biron

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  • Michel Biron
    Université McGill

Quand un critique se demande ce qu’il en est de la littérature aujourd’hui, que ce soit ici ou ailleurs, c’est généralement pour regarder du côté de la colonne des pertes : absence de grands auteurs, désengagement des écrivains, triomphe de l’image sur le texte, etc. Mais n’y a-t-il pas tout de même, au travers du décentrement avéré de la littérature, quelques nouveautés ? N’y a-t-il pas quelque part une colonne des gains ? On peut penser, par exemple, à certains types de textes particulièrement émouvants qui n’auraient jamais vu le jour il y a quarante ans. Ce sont des textes extrêmement personnels, des récits de soi qui s’écrivent à la frontière entre la littérature et le témoignage intime. Plusieurs n’hésiteraient pas à les placer dans la colonne des pertes, comme s’ils étaient une preuve supplémentaire de ce que l’écriture soi-disant littéraire n’est plus aujourd’hui que l’expression tristement authentique d’un « vécu ». Neuf fois sur dix, c’est en effet le cas. Mais il arrive que ces récits de soi soient autre chose qu’une simple thérapie par l’écriture, qu’ils ouvrent une fenêtre sur notre monde. C’est ce qui se produit avec le récit de Pierre Monette, Premier automne , qui évoque les dernières semaines de la vie de sa conjointe, Diane, atteinte d’un cancer des poumons et de l’oeil. Pierre Monette a déjà publié des poèmes, un roman et quelques essais, il est aussi critique littéraire et professeur de littérature. Du moins, il l’était jusqu’à tout récemment, puisqu’il prend la peine de mentionner, dans la brève notice biographique qui accompagne son récit, qu’il a fait de l’enseignement « pendant trop longtemps ». Cet aveu, on s’en doute, n’est pas étranger au contenu de son livre, à la perte de Diane avec qui il aura vécu durant quinze ans un amour profond, qui est en fait le véritable sujet de ce récit. La mort et l’amour, ces deux grands thèmes de la littérature universelle, sont ici ramenés à leur plus simple expression. La littérature n’est plus une matière qu’on enseigne, une série d’auteurs, de courants esthétiques, de procédés d’écriture qu’il s’agit d’expliquer à des étudiants. Elle se confond avec la vie elle-même et se présente sous la forme désordonnée du journal. La beauté et l’originalité paraissent secondaires. On n’y pense guère et pourtant elles sont là, plus vraies encore de n’être pas recherchées. L’écriture oublie qu’elle est littérature et se présente comme un don, un hommage à la femme aimée en même temps qu’une méditation sur la mort : « La plupart des gens font quelque chose de leur vie ; je voudrais faire quelque chose de la mort de Diane — ne serait-ce qu’un livre. » (73) Lui, en revanche, ne sait trop comment survivre à son deuil anticipé et il cache mal sa peur. Grâce à Diane, il s’était un peu réconcilié avec le monde, mais il reste, au fond, un homme solitaire aux allures misanthropes. « La compagnie de la plupart des humains n’est pas d’un grand intérêt » (36), se plaint-il. On comprend pourquoi il cite en exergue l’écrivain américain Henry David Thoreau, qui avait trouvé refuge au fond d’un bois, près du fameux étang Walden auquel il consacra son grand livre. Mais Pierre Monette ne partage pas le transcendantalisme de Thoreau et ne croit qu’à la matérialité corporelle de l’être. Au moment où Diane meurt, il écrit : « Elle n’était rien de plus que ce corps qu’elle a toujours été ; elle était totalement ce qu’elle avait été. » (196) Il ne sait pas comment il fera pour se retrouver sans elle, pour n’être plus deux, …

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