Chroniques : Essai/Études

D’ordre et d’aventures[Notice]

  • François Paré

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  • François Paré
    Université de Waterloo

On aura repéré assez facilement, j’imagine, dans le titre de cette chronique, une allusion à l’ouvrage bien connu de Jacques Blais sur la poésie québécoise des années trente . Dans cette étude importante, novatrice sur bien des plans, Blais associait sa lecture de la première modernité littéraire au Québec à une esthétique de la fragmentation. Par ses disjonctions et ses temps d’arrêt, le recueil poétique lui apparaissait comme un lieu de tensions signifiantes où se jouaient des luttes idéologiques et formelles et des stratégies d’ouverture au changement. Face aux « instances d’anéantissement » (33) qui constituaient son horizon, et celui de toute une société en transformation, le recueil, fragmenté et parcellaire, à la confluence de l’ordre et du désordre, instaurait, selon le critique, une dynamique de la multiplicité qui garantissait la liberté des formes et des idées. Ainsi, « cette irremplaçable démarche arbitraire » (6) qui est de tout temps celle des écrivains se déployait dans un espace où étaient mis à vif les jeux d’opposition et les vides interstitiels, propres à une collectivité capable de penser au second degré son avènement dans la modernité. Si l’ouvrage de Blais étonne encore le lecteur actuel, c’est qu’il annonçait de façon remarquable des débats sur la fragmentation et le dialogisme, repris depuis lors par de nombreux commentateurs de l’objet littéraire au Québec. Les trois ouvrages recensés dans cette chronique s’inscrivent, du reste, dans les paramètres de la modernité proposés par Blais. Issues du colloque international « Pratiques et théorie du recueil », tenu à Rennes en mai 2002, les études rassemblées par Irène Langlet dans un récent collectif sur les pratiques du recueil dépassent largement le contexte québécois . En effet, le Centre d’Études des Littératures Anciennes et Modernes de l’Université de Rennes (CELAM), responsable du colloque, s’intéresse autant aux oeuvres littéraires françaises de l’Ancien Régime qu’aux textes plus récents, publiés en France et dans le monde francophone. Les actes du colloque reflètent donc des intérêts très divers, allant des Amours de Ronsard, que Cécile Alduy voit comme le prototype du recueil moderne, à L’homme rapaillé de Gaston Miron, dont les « structures mobiles et incertaines » participent d’un Québec à l’autre extrémité du temps et de l’espace francophones. Comme le faisait déjà remarquer François Dumont dans un numéro de la revue Études littéraires en 1998, les « poétiques du recueil » s’accommodent de toutes les « frontières génériques » et du même souffle remettent en cause leur « unité sectorielle  ». Cette esthétique particulière de la « parole rassemblée », pour reprendre les termes de Marie-Andrée Beaudet dans son étude des dernières « suites poétiques » de Miron, semble ressortir de formes hybrides qui nourrissent une bonne part de la littérature actuelle. Dans son texte de présentation, Irène Langlet souligne l’intérêt théorique des diverses pratiques du fragment : anthologies, nouvelles, poèmes, journaux intimes, chroniques, biographies, ouvrages collectifs et miscellanées. En effet, « l’étude du recueil éclaire comment l’unité manquante, qui peut se lire comme un manque de l’écriture, peut se trouver rédimée par la forme colligée : en imposant aux textes (et au lecteur), par la macrostructure, la nécessité d’élaborer une construction logique, le recueil accomplit ce qui n’arrivait pas à s’écrire » (14). Ce manque de la forme unitaire engendre paradoxalement une grande richesse sémiotique que les textes du présent collectif viennent à chaque fois confirmer. Des vingt-cinq études rassemblées par Irène Langlet, une bonne moitié traite de la littérature québécoise. Il ne faut pas s’en étonner, car les pratiques du recueil suscitent depuis longtemps beaucoup d’intérêt au Québec, le travail de François Dumont, de Richard Saint-Gelais et de René …

Parties annexes