Un magnifique voyage dans le temps[Notice]

  • Lucie Joubert

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  • Lucie Joubert
    Université d’Ottawa

Commençons par une absence, histoire de vider la question : dans les 750 pages bien comptées de cette anthologie  par ailleurs magnifique, aucune, AUCUNE, n’est consacrée aux textes féministes littéraires. Silence total sur la réflexion de Suzanne Lamy dans D’elles et Quand je lis, je m’invente ; silence tout aussi incompréhensible autour d’oeuvres fondatrices, toutes publiées avant 1985, comme L’Euguélionne de Louky Bersianik (la reproduction de la couverture en page 402 exceptée), Lueur de Madeleine Gagnon ou L’Amèr ou le chapitre effrité de Nicole Brossard, qui clamait pourtant « écrire : je suis une femme est plein de conséquences ». Au Québec, les littéraires ont souvent été les laissées-pour-compte des événements féministes : leurs ouvrages ne font pas le poids à côté des statistiques des sociologues, des faits des journalistes, des dates des historiennes. Les colloques, les débats internationaux, les publications sur le féminisme, les politiques éditoriales des maisons d’édition nous le rappellent régulièrement. Rarement, toutefois, aurons-nous eu une preuve aussi éclatante du peu de cas qu’on fait de l’imaginaire des femmes et du rôle qu’il a joué et qu’il joue toujours dans l’évolution de cette pensée féministe dont on l’évince : création de personnages féminins forts, qui rompent avec les traditions ; appropriation de lieux et d’espaces jadis réservés aux hommes ; narration privilégiant la perspective féminine ; recherche d’une langue autre, volonté de questionner les genres, et plus encore. On prétend, à la page 25, que cette élimination vient de la noble intention de ne pas « charcuter les écrits » : à d’autres. Il aurait été très simple de glisser, à même les différentes thématiques abordées, des extraits littéraires qui accompagnent le sujet, ou tout bonnement de créer une catégorie à part : les écrivaines n’en sont pas à une marge près. En invoquant l’impossibilité de « réduire » des textes comme Les fées ont soif de Denise Boucher « à quelques pages » (25), les auteures font mine de placer le texte littéraire dans une catégorie supérieure, intouchable : pirouette habile pour mieux se débarrasser du problème. On alléguera enfin la présence des textes de Françoise Loranger, Gloria Escomel, Laure Conan, Eva Circé-Côté et, ultime ruse, de Lucile Durand, alias Louky Bersianik : c’est oublier qu’elles figurent dans l’anthologie en tant que signataires de textes argumentatifs et non de fiction. On dit souvent que les progrès sont l’oeuvre de visionnaires ; décidément, en matière de condition féminine, le mot est à prendre ici dans son sens le plus étroit : la vision, on veut bien, dans la mesure où elle reste assujettie à la réalité. Bel oxymoron, feraient remarquer les littéraires, si on leur en donnait la chance… Ce préambule ayant permis de mettre en relief la lacune de cet ouvrage et ayant servi d’exutoire à une certaine frustration que je sais être partagée par plusieurs littéraires, force est d’admirer le travail monumental qu’ont accompli Dumont et Toupin. Divisé en trois parties principales, l’ouvrage présente d’abord « le féminisme et les droits des femmes (1900-1945) », « le féminisme comme groupe de pression (1945-1985) » et « le féminisme comme pensée radicale (1969-1985) », le chevauchement des deux dernières parties étant justifié par la coexistence de deux courants distincts, la voie égalitaire et la voie radicale. De la première partie se dégagent trois impressions principales : actualité, ouverture et fluidité rhétorique. Mis à part l’empressement des signataires à indiquer que les revendications et les gains subséquents putatifs ne les empêcheront pas de continuer à être de bonnes épouses et de bonnes catholiques (que de longs gants blancs il fallait mettre à l’époque pour …

Parties annexes