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Réalismes d’aujourd’hui[Notice]

  • Michel Biron

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  • Michel Biron
    Université McGill

On l’a dit usé à la corde, plat, ennuyeux, idéologiquement suspect, bourgeois, facile, anachronique, nul, etc. On l’a déclaré mort plusieurs fois. Et pourtant le réalisme n’a jamais été aussi florissant, tout comme le roman dont il est l’expression canonique. Le réalisme fait partie de ces courants esthétiques si peu définis qu’ils peuvent prendre mille sens, mille couleurs, mille formes. Il apparaît aujourd’hui débarrassé de ses anciennes doctrines et porté par une évidence nouvelle. À une époque qui aime à se penser sous le signe de l’immatériel et du simulacre, le réalisme est là pour rappeler que le réel n’est pas n’importe quoi et qu’il vous saute au visage si vous vous obstinez à faire comme s’il n’existait pas. Et cela donne, comme dans les trois exemples qui suivent, des textes qui ne sont ni usés ni faciles, bien au contraire. Le premier exemple appartient à une catégorie de romans que l’on ne rencontre pas souvent dans cette chronique de Voix et Images : celle du best-seller international. Il s’agit, on l’aura peut-être deviné, du troisième roman de Yann Martel, Life of Pi, prix Booker 2001, qui vient d’être traduit par les parents de l’auteur et publié à Montréal sous le titre L’histoire de Pi . Acclamé en Angleterre, aux États-Unis et au Canada, traduit en plus de trente langues, ce roman a séduit à peu près tout le monde, et à juste titre. Le genre auquel on associe spontanément L’histoire de Pi n’est pourtant pas neuf, loin de là. C’est une robinsonnade comme il s’en est écrit des centaines sans doute depuis celle de Daniel Defoe au début du dix-huitième siècle. Chaque fois, c’est un peu le même scénario : un homme seul perdu au milieu de l’océan lutte pour sa survie et parvient tant bien que mal à dominer la nature. Le voici comme à l’origine du monde : il retrouve des instincts que des siècles de civilisation lui avaient fait perdre. Mais le voici tout autant comme à la fin du monde, après un désastre qui le laisse seul face à son destin. Dans les plus connues de ces robinsonnades, comme dans Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier par exemple , le côté un peu boy-scout et prévisible de l’aventure est compensé par la beauté somptueuse du style ou par la profondeur philosophique de l’observation. L’intérêt de L’histoire de Pi est ailleurs toutefois que dans le style ou les grandes idées philosophiques : c’est la fable elle-même qui est brillante, drôle, captivante. Yann Martel élève l’art de raconter à une hauteur que peu de romanciers atteignent. On connaît l’histoire : un jeune garçon d’origine indienne, rescapé du naufrage d’un cargo qui le transportait vers le Canada, avec à bord une partie des animaux du zoo paternel, dérive durant 227 jours dans un canot de sauvetage où se trouve également un tigre royal de Bengale. L’idée géniale du roman de Yann Martel, c’est ce tigre. Il en fait un véritable personnage romanesque, comme la baleine Moby Dick de Melville, mais un personnage exilé de son territoire naturel. Le tigre s’appelle curieusement Richard Parker et le roman ne manque pas de tirer profit, dans les premiers moments du naufrage, de la confusion que permet ce nom humain. Le héros, lui, s’appelle tout simplement Pi, diminutif d’un nom difficile à porter et attribué en l’honneur d’une piscine parisienne — Piscine Molitar Patel — comme s’il était prédestiné à vivre sur l’eau. Ce nom a son histoire, tout comme celui de Richard Parker qui commence ainsi : « Richard Parker devait son nom à une erreur bureaucratique …

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