Chroniques : Dramaturgie

Parcours emblématiques : Languirand et Ronfard[Notice]

  • Lucie Robert

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  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

Quand sonne l’heure des bilans, rares sont ceux qui ont le courage d’affronter leur parcours et de le soumettre une seconde fois au jugement des générations plus jeunes. Sans doute faut-il voir là la volonté de laisser un héritage ou du moins un témoignage de ces longues carrières. Cette heure a vraisemblablement sonné pour Jacques Languirand et Jean-Pierre Ronfard qui, ayant passé le cap des soixante-dix ans l’un et l’autre, publient non pas des oeuvres complètes, mais quelque chose qui se rapproche de ce qu’on appelle, dans l’industrie du disque, des « compilations ». Ainsi, après avoir renoncé au théâtre au profit de la carrière radiophonique que l’on sait, Jacques Languirand réédite son théâtre, en intégrale, sous le titre Presque tout Languirand  (il manque à l’oeuvre complète son roman, Tout compte fait, son Dictionnaire insolite et ses divers essais). Publiée en 2001, cette réédition du théâtre précédait de peu l’annonce d’une production en français de Man Inc., près de vingt ans après sa création en anglais dans une traduction de Mavor Moore. Ce fut chose faite au printemps 2003. Quant à Jean-Pierre Ronfard, il publie aussi, en deux volumes, ses Écritures dramatiques , dans lesquelles il faut aussi voir la mémoire de Robert Gravel, son proche collaborateur. Peut-être d’ailleurs les publie-t-il plus en hommage à celui-ci qu’en mémoire de son oeuvre à lui. Toutefois, loin d’en rester au devoir de mémoire, Languirand et Ronfard ajoutent à ces sortes d’anthologies des oeuvres plus récentes, publiées à part, comme autant de marques de leur activité présente. Il ne saurait s’agir d’une simple coïncidence puisque l’un et l’autre ont, au cours de leur carrière, été plutôt chiches en matière d’édition. Languirand, qui n’a jamais été aussi jeune, en remet avec une toute nouvelle pièce, Faust et les radicaux libres , alors que Jean-Pierre Ronfard édite les deux pièces qu’il a écrites avec Alexis Martin, Transit section no 20 et Hitler . J’ai toujours été séduite par la fraîcheur qui se dégage des premiers textes dramatiques de Jacques Languirand. Ils ont, bien sûr, un peu vieilli dans leur style et leur objet, qui empruntaient peut-être un peu trop facilement aux grands classiques de la dramaturgie d’avant-garde : l’influence marquée de Ionesco, Beckett ou Adamov se lit aisément à travers Les insolites, Le roi ivre, Les grands départs, Les violons de l’automne ou Le gibet. Le dérèglement d’une action dramatique remarquablement simple, portée par des personnages fragiles, perdus dans un monde qui les déroute, conserve toutefois l’attrait de ces oeuvres qui, produites dans la grisaille des années cinquante, posent les questions les plus fondamentales de la condition humaine. Oeuvre de jeunesse, l’oeuvre dramatique de Languirand l’est certainement, et c’est en premier lieu ce qui lui confère à la fois sa fraîcheur et son immense naïveté. Dépassée, l’oeuvre dramatique de Languirand l’est tout autant, comme la plupart de ses modèles, mais bien coupable serait celui ou celle qui négligerait de voir là une oeuvre significative. Plus tardives, et moins connues, sont Les cloisons, Klondyke et Man Inc., celle-ci étant jusqu’à présent restée inédite. Cette série, rédigée dans les années soixante, marque l’abandon progressif des modèles proposés par le théâtre d’avant-garde français et l’intégration progressive d’une approche multimédiatique. Les cloisons (1962) n’a été créée à Washington qu’en mai 2001. La pièce se présente comme une sorte de dialogue entre deux amoureux à travers une cloison. Lui est déjà dans la chambre d’hôtel quand elle arrive dans la sienne, à la suite d’une rupture amoureuse. Bruits de pas, de robinets, de fenêtres rythment les monologues parallèles de deux personnages …

Parties annexes