Depuis la parution en 1978 de son premier titre, Sol inapparent, Gilles Cyr a publié plus d’une douzaine d’ouvrages de poésie qui se répartissent entre recueils et livres d’artistes. La démarche de cet écrivain se caractérise en effet par un dialogue constant avec les arts visuels, comme en témoignent jusqu’à présent ses diverses collaborations avec des plasticiens d’ici et d’ailleurs. S’étant d’abord consacré exclusivement à l’écriture de poèmes, Cyr s’intéresse aussi depuis quelques années à un dialogue d’une autre nature en traduisant des poètes étrangers. Ce travail, sorte de prolongement à celui de l’écriture, permet à l’auteur de relancer les questions sur la langue, le rythme et le vers qu’il affectionne tout particulièrement. Au fil des ans, il a su évoluer en restant fidèle à son désir de porter un regard à la fois sur le monde et sur la langue. Toute la poésie de Cyr s’articule autour de l’espace et du rapport que l’individu entretient avec son environnement. Les textes se concentrent sur certains éléments du paysage qui reviennent régulièrement — sol, arbre, neige, montagne, par exemple —, et forment un mouvement de spirale autour de ces objets. Le motif de la marche, présent dans chacun des recueils, constitue l’une des voies privilégiées par le poète. Ce dernier souhaite s’adonner librement à l’observation de ce qui l’entoure et se laisser surprendre par la présence des choses. Pour Cyr, la connaissance de soi s’acquiert au cours d’une avancée souvent tâtonnante, faite d’essais et d’erreurs. Parallèlement, il interroge de manière perspicace la notion de regard en relation avec les objets du quotidien, la matière, les éléments et le cosmos. Cette grande attention accordée au monde visible renvoie à la quête d’un individu qui ne cesse de creuser les innombrables aspects de sa cohabitation avec l’autre, l’ailleurs et l’extérieur. L’oeuvre de Cyr se distingue par une écriture qui repose abondamment sur l’expérience de perception sensorielle tout en se faisant elliptique, syncopée. Cette écriture est inséparable d’un patient et rigoureux travail sur le vers et la syntaxe, qui demeurent des préoccupations très importantes chez l’auteur. Bien que l’on retienne souvent le caractère concis et dépouillé de ses textes, il est essentiel de mentionner la part de plus en plus grande réservée à l’humour et à l’oralité. En effet, les plus récents recueils sont habités par un esprit ludique et pince-sans-rire fort peu répandu chez les contemporains de l’auteur. Apparue à la fin des années 1970, cette oeuvre occupe une place singulière dans la poésie québécoise. Elle exprime des préoccupations spatiales qui ne s’inscrivent pas en continuité avec la vision identitaire de l’espace que l’on trouvait auparavant dans la « poésie du pays ». Elle s’est démarquée de ce récent héritage en se concentrant sur l’expérience de perception, ce qui a pour effet, entre autres, de diriger le propos davantage sur l’individu que sur la collectivité. Par ailleurs, elle n’adhère pas aux mouvements d’avant-garde qui ont émergé dans les années 1960 et 1970. En comparaison avec des oeuvres qui étaient mues par un désir de provocation et de changement, celle de Cyr fait montre de retenue et de détachement face aux revendications sociales et artistiques de l’époque. Elle n’appartient pas non plus au courant de la poésie intimiste qui a connu un essor déterminant dans les années 1980 et qui privilégie souvent la prose pour exprimer une quête introspective. Ainsi, on peut parler d’une oeuvre qui se situe un peu à l’écart et qui échappe souvent aux tentatives de classification. Bien que la critique journalistique se soit toujours intéressée au travail du poète et en ait souligné l’originalité dès le début, et que …
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Marc André Brouillette
Université Laval