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Introduction

Le changement climatique (CC) constitue un défi de grande envergure à l’échelle mondiale, régionale et nationale. Selon les estimations du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), les activités humaines ont provoqué un réchauffement planétaire d’environ 1°C au-dessus des niveaux préindustriels, pour la période allant de 2002 à l’heure actuelle. Ce réchauffement pourrait atteindre 1,5 °C entre 2030 et 2052 s’il continue d’augmenter au même rythme (GIEC, 2018b, p. 6) . Avec un tel réchauffement, les impacts climatiques sur les systèmes naturels et humains seront plus élevés et leur gravité sera fonction de la région considérée, de son niveau de développement et de son degré de vulnérabilité, ainsi que de l’efficacité des actions d’adaptation et d’atténuation réalisées (GIEC, 2018b, p. 7) . Le CC affecte la sécurité alimentaire, entraîne la baisse de la productivité animale et végétale dans les zones arides et peut exacerber les processus de dégradation des terres (GIEC, 2019) .

Au même titre que les autres pays du monde, le Maroc n’est pas épargné par les effets du CC (Woillez, 2019 ; Zkhiri et al ., 2019 ; Verner et al ., 2018 ; Schilling et al ., 2012 ; Born et al ., 2008) . Les principaux événements climatiques extrêmes enregistrés au Maroc sont la sécheresse et les inondations. La fréquence des années sèches a augmenté, passant d’une année sèche sur 15 années normales au cours des décennies 1930 à 1970, à une année sèche sur trois années normales durant les trois dernières décennies (Verner et al. , 2018 ; Born et al ., 2008) .

Selon le dernier rapport sur l’état du climat au Maroc, le pays a enregistré un déficit pluviométrique de 46%, par rapport à la normale climatique de la période 1981-2010 (Direction générale de la Météorologie (DGM), 2023) . En ce qui concerne les inondations, plusieurs épisodes pluvieux exceptionnels ont été enregistrés dans diverses régions du Maroc, durant les deux dernières décennies. Elles étaient à l’origine de crues dévastatrices ayant causé de nombreux dégâts humains et matériels (Bouaicha et Benabdelfadel, 2019) . Les points névralgiques de ces inondations ont été identifiés dans le plan national de lutte contre les inondations (Direction de la Recherche et de la Planification de l’Eau, 2002) , qui a dénombré 391 sites à risque, dont 50 prioritaires.

Les impacts négatifs de la sécheresse et des inondations sur les ressources naturelles et sur les moyens d’existence des populations sont généralisés à l’échelle nationale (Belmahi et Hanchane, 2021; MTEDD-DDD [1] , 2021 ; Balaghi et al. , 2011) . Leur nature et importance varient d’une région à une autre et d’une communauté à une autre. La compréhension de ces impacts et la connaissance de la vulnérabilité des communautés face aux effets du CC sont déterminantes pour prendre des décisions éclairées permettant de mieux orienter les pratiques d’adaptation des individus, ainsi que les stratégies d’intervention des acteurs publics.

Dans cet article, nous nous intéressons au territoire du Haut Atlas de la région Beni Mellal Khénifra (BMK), marqué par des évènements climatiques importants et où les projections des futurs impacts climatiques sont alarmantes. Meliho et al. (2023) ont démontré que la température dans la région du Haut Atlas augmentera de 1.52°C et de 2,68°C et les précipitations diminueront de 6,06% et de 8,49% respectivement pour les périodes de 2006-2035 et 2036-2065, selon le scénario RCP4.5 [2] , comparativement à la période de référence de 1976 à 2005. En dépit de ces variations climatiques, les moyens de subsistance de la population régionale basés généralement sur les ressources naturelles, sont souvent affectées par le CC et épuisées par la surexploitation. Dans ce contexte, la prise de conscience des facteurs de vulnérabilité au changement climatique et l’évaluation des impacts climatiques selon la perception des populations pourront conduire à mieux orienter les actions d’adaptation à adopter par les individus et par les institutions. Ainsi, la question principale posée est la suivante : comment les aléas climatiques impactent-ils les ressources et les moyens de subsistance des communautés locales ?

Pour répondre à cette question, nous allons décrire les moyens de subsistance des populations locales, identifier les aléas climatiques et leur probabilité d’occurrence et évaluer, selon la perception des populations locales, l’importance de leurs impacts sur les ressources. Dans cet article, chaque fois que nous utilisons le terme « vulnérabilité », nous faisons référence spécifiquement à sa dimension physique et non à sa dimension sociale. Nous expliquons plus en détail ces deux notions de la vulnérabilité dans la section consacrée au cadre théorique.

Matériel et méthodes

Zone d’étude

Le choix de la région BMK comme zone d’étude se justifie à la fois par ses conditions climatiques changeantes et par le fait qu’elle abrite des groupes sociaux très vulnérables. En effet, selon l’Indice de Développement humain (IDH), calculé par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) pour l’année 2014, cette région possède un IDH de l’ordre de 0,677, inférieur à la moyenne nationale qui est de 0,742 (HCP, 2018) . C’est la troisième région la plus pauvre du pays avec un taux de pauvreté de 4,7 % en 2021 contre une moyenne nationale de l’ordre de 3% (HCP, 2023) . Cependant, c’est une région à potentialités naturelles importantes, principalement agricoles et forestières, qui sont à la base d’une économie locale de subsistance (Landel et al. , 2007 ; Ministère de l’Intérieur/Région de Béni Mellal Khénifra, 2019) .

Située au centre du Maroc, la région BMK inclut cinq provinces : Khénifra, Beni Mellal, Azilal, Fkih Ben Saleh et Khouribga (figure 1). La région est subdivisée en deux bassins versants, Oum ER Rabia et Bouregrag, occupant respectivement 80% et 19,88% de la superficie régionale (MAPMDREF/DRA-BMK [3] , 2020) . La nature karstique du substrat du bassin versant Oum Er Rabia, favorise la formation de nappes phréatiques de grande importance avec 21,9 % du volume d’eau mobilisable au Maroc (Bzioui, 2004, p. 22) .

La zone d’étude fait partie du Haut Atlas central. Elle est caractérisée par des altitudes variant de 300 mètres à 700 mètres dans les bas-fonds des oueds, à plus de 3000 mètres dans les hautes montagnes (figure 1). La géomorphologie de la zone a façonné des formations topographiques variées, entre la plaine et la montagne, qui sont en majorité accidentées (Loup, 1962) . Les sols sont en général de type squelettique peu profond, à l’exception de ceux de la plaine qui sont plus épais et plus fertiles.

Figure 1

Carte des classes d’altitude de la zone d’étude

Carte des classes d’altitude de la zone d’étude
Source : Base de données d'élévation numérique SRTM [4] 90 m v4.1 [5] (Jarvis et al. , 2008) .

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La région de Beni Mellal-Khénifra présente une variabilité spatiale importante des précipitations (figure 2), avec des moyennes allant de 350 mm à l'est de Khouribga jusqu'à 656 mm à El Ksiba (MAPMDREF/DRA-BMK, 2021 ; Mokhtari et al., 2014). Le climat de la région se caractérise par des hivers très froids pouvant atteindre -2°C et des étés très chauds pouvant dépasser 37°C, voire 45,8°C à Beni Mellal (Ait Ouhamchich, 2022 ; Mokhtari et al., 2014). Selon la classification bioclimatique d'Emberger, les zones de plaine sont classées en bioclimat semi-aride à aride à hiver frais à tempéré, tandis que les sommets montagneux sont en bioclimat subhumide frais à froid, le cas de la station d’Ait M’Hmed (Taïbi et al., 2015).

Au cours des dernières années (2005 à 2023), les tendances des paramètres climatiques de la région se caractérisent par une variabilité importante. Les précipitations ont connu une tendance baissière, avec des années particulièrement pluvieuses comme 2010 et 2018, mais aussi des périodes de sécheresse marquées en 2017 et 2023 (figure 3). Parallèlement, les températures ont connu une hausse régulière, passant d'environ 15,5°C en 2005 à près de 17,3°C en 2023 (figure 4). Cette combinaison d'une variabilité accrue des précipitations et d'une hausse des températures moyennes illustre les effets du changement climatique observés dans cette région, avec des implications potentielles pour les activités économiques et les écosystèmes locaux.

La superficie agricole utile (SAU) régionale est estimée à 960 000 ha, soit environ 34% de territoire régional et 11% de la SAU nationale dont 22% irriguée. La céréaliculture et l’oléiculture en terrains non irrigués sont considérées parmi les principales activités de la région (Conseil Régional de BMK- Direction régionale de l’agriculture de BMK, 2019) .

Figure 2

Carte de répartition des précipitations de la zone d'étude

Carte de répartition des précipitations de la zone d'étude
Source : Copernicus Climate Change Service (C35), 2017.

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Figure 3

Évolution des précipitations moyennes annuelles (en mm) au cours de la période 2005-2023

Évolution des précipitations moyennes annuelles (en mm) au cours de la période 2005-2023
Source : Données CHIRPS (Climate Hazards InfraRed Precipitation with Station data (version 2.0 finale) (Funk et al., 2015).

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Figure 4

Évolution des températures moyennes annuelles (en °C) au cours de la période 2005 -2023

Évolution des températures moyennes annuelles (en °C) au cours de la période 2005 -2023
Source : Données CHIRPS (Climate Hazards InfraRed Precipitation with Station data (version 2.0 finale) (Funk et al., 2015).

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La forêt régionale, d’une diversité floristique importante, s’étend sur une superficie d’approximativement 800 000 d’hectares, soit l’équivalent de 8% de la superficie du domaine forestier national (Direction régionale des Eaux et Forêts et de la Lutte contre la Désertification (DREFLCD) de Tadla-Azilal, 2020) .

Figure 5

Carte d’occupation du sol de la zone d’étude

Carte d’occupation du sol de la zone d’étude
Source : MAPMDREF/DRA-BMK, 2020.

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Choix des communautés

En tenant compte des moyens d’existence de la population, principalement basée sur les ressources agricoles et forestières (Ministère de l’Intérieur/Région de Béni Mellal Khénifra, 2019 ; Landel et al. , 2007) et en considérant les formes d’organisation de cette population en coopératives forestières pour l’exploitation de ces ressources, nous avons opté pour un choix raisonné des communautés, organisées en coopératives forestières. Les communautés choisies appartiennent aux coopératives forestières regroupant les membres du même terroir [6] d’usage. Le recours à ces organisations nous a facilité le contact avec les ménages, a favorisé la réunion des membres des communautés dans les ateliers participatifs et a permis la collecte des données sur les ressources forestières et agricoles utilisées, de manière rapide et efficace.

Le choix des coopératives a été effectué à partir de la base de données des 142 coopératives forestières consignées dans les registres de l'Office de Développement de la Coopération (ODCO) et de la Direction régionale de l'Agence nationale des eaux et forêts (ANEF), exerçant des activités en relation directe ou indirecte avec les produits forestiers.

Parmi la liste initiale des 142 coopératives forestières, un premier filtrage a été appliqué pour ne retenir que celles qui ont un lien direct avec la ressource et exploitent directement les produits dans les forêts, soit 120 coopératives sélectionnées.

Ensuite, nous avons choisi parmi ces 120 coopératives celles qui étaient réellement opérationnelles durant la période de l'enquête et qui comptaient au moins une adhérente femme, aboutissant à un nombre final de 42 coopératives retenues.

Enfin, nous avons contacté une dizaine de coopératives parmi les 42 et nous les avons informées de manière détaillée sur les objectifs de la recherche, les procédures impliquées, les avantages potentiels et les alternatives disponibles. Elles ont eu l'opportunité de poser des questions sur les aspects qui n'étaient pas clairs pour elles. Enfin, seulement sept coopératives qui ont donné librement et sans aucune pression leur consentement favorable pour participer à l’étude, en étant informées de leur droit de le retirer à tout moment.

L’échantillon représentatif des sept coopératives (soit 16% des 42), est localisé dans les provinces de Beni Mellal et Azilal et travaillant dans trois activités forestières différentes : les plantes aromatiques et médicinales (PAM), la valorisation du caroubier et la production de plants (tableau 1 et figure 6).

La population des communautés étudiées est constituée principalement des usagers des terroirs et des cantons forestiers utilisés par les coopératives forestières (tableau 1). Elle est répartie en six communes rurales, 82 villages, 5900 ménages et 52 016 habitants (HCP, 2019) .

Selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat de 2014 (HCP, Observatoire des Conditions de Vie, 2018) , le taux d’analphabétisme de cette population varie de 40% (Commune Moulay Aissa Ben Driss) à 68,10% (Commune Zaouit Ahansal). Le taux d’accès à l’enseignement supérieur ne dépasse pas 3,5%. Selon le recensement de la population de 2014, le taux de pauvreté global [7] de la région est de 19,1% (31% en milieu rural), ce qui classe cette région à l’avant-dernier rang des 12 régions du pays (HCP, 2022) . Ce taux varie d’une commune à une autre. La commune ayant le taux de pauvreté le plus faible et inférieur au taux régional parmi les communes retenues pour l’étude est celle de Dir El Ksiba, avec 17,1%. Cette commune est caractérisée par son potentiel productif agricole important, surtout au niveau de la partie relevant du piémont. La deuxième commune ayant un potentiel agricole important est Moulay Aissa Ben Driss avec un taux de 20%. Elle possède une excellente vocation agricole et les filières porteuses, comme celles de l’oléiculture, d’amandier, de caroubier et d’apiculture, sont bien connues dans la zone. Les autres communes ont un taux de pauvreté très élevé qui dépasse de loin le taux régional, variant de 57% à 87,20% (HCP, 2022) .

Tableau 1

Caractéristiques des coopératives choisies

Caractéristiques des coopératives choisies

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Figure 6

Localisation géographique des coopératives forestières choisies

Localisation géographique des coopératives forestières choisies

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Cadre théorique

La vulnérabilité a été définie par le GIEC comme la « propension ou prédisposition à subir des dommages. La notion de vulnérabilité englobe divers concepts et éléments, tels que la sensibilité ou la fragilité et l’incapacité de faire face et de s’adapter » (GIEC, 2018, p. 92). Les définitions de la vulnérabilité dans le contexte du changement climatique se divisent en deux catégories (Brooks, 2003). La vulnérabilité physique se réfère aux dommages potentiels causés par un événement climatique, dépendant de la nature et de la fréquence des dangers (Jones et al., 2004). En revanche, la vulnérabilité sociale est un état interne d'un système, déterminé par des facteurs structurels indépendants des dangers externes (Allen, 2003). Ainsi, la vulnérabilité physique est liée aux risques environnementaux, tandis que la vulnérabilité sociale repose sur des caractéristiques internes des communautés. C’est ainsi que le risque[8] climatique pourra être évalué selon sa probabilité d'occurrence, son impact[9] et ses conséquences sur le vécu des communautés.

L’évaluation de la vulnérabilité constitue une composante principale dans les travaux de recherche liés au changement et à la variabilité climatiques (Antwi-Agyei et al. , 2018 ; GIEC, 2014 ; Thomas, 2008 ; Adger et al. , 2005) . C’est un outil incontournable pour générer les connaissances nécessaires à l’amélioration de la compréhension des impacts du changement climatique et à l’élaboration des stratégies d'adaptation efficaces (Zaidi et al. , 2023 ; Sow et Bathiery, 2022 ; Sowman, 2020 ; Raemaekers et Sowman, 2015) .

Les évaluations de la vulnérabilité peuvent être réalisées à différentes échelles : mondiale, nationale ou locale (Chevon, 2016) . Celles réalisées à l'échelle mondiale ou régionale visent la comparaison des vulnérabilités inter-pays aux impacts du changement climatique et l’identification des régions les plus vulnérables (Ahn et al., 2023 ; Li et al. , 2023 ; Birkmann et al ., 2022) . Les études réalisées au niveau local et communautaire aident à formuler des stratégies potentielles d'atténuation des impacts climatiques et d'adaptation cohérentes au contexte local. Elles impliquent les parties prenantes et sont généralement spécifiques à la zone étudiée et adoptent des approches plus ciblées.

Ces études utilisent une variété d'outils pour évaluer la vulnérabilité, notamment des ateliers participatifs, des discussions de groupes, des interviews semi-structurées, des méthodes Delphi [10] , des questionnaires, et cetera . (Barsley et al ., 2013 ; Fellmann, 2012) . Leur objectif est d’obtenir des résultats quantitatifs et qualitatifs avec des détails pertinents pour façonner des politiques d'adaptation adaptées aux spécificités locales. Citons, à titre d’exemple, des cas d’évaluation de la vulnérabilité sociale et écologique des pêcheries des récifs coralliens au changement climatique de 12 communautés côtières au Kenya (Cinner et al ., 2013) , d’analyse de la vulnérabilité des systèmes agraires de la région de la boucle du Mouhoun au Burkina Faso (Bonkoungou et al ., 2019) , d’évaluation participative de la vulnérabilité des quartiers Ankasina et Antohomadinika à Madagascar (Salava, 2021) , de la vulnérabilité des territoires montagneux et littoraux des zones arides tunisiennes (Fetoui et al. , 2021) , et cetera .

L'importance de la participation de la population dans la question du CC a été reconnue depuis 1992 par la Déclaration de Rio lors de la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement et le Développement (Principe 10). Son importance a été confirmée plus tard par le GIEC, qui recommande la participation du public à la planification de l’adaptation comme moyen d’améliorer la capacité à faire face aux risques liés au CC (GIEC, 2018b). De même, les recherches scientifiques relatives à la participation du public à l'action climatique sont en continuelle augmentation depuis 2000, touchant principalement les thèmes sur le risque, le risque d'inondation, et l'évaluation, la perception et la communication du risque (Hügel et Davies, 2020).

Selon Paturel (2017) , la recherche participative basée sur la production de connaissances scientifiques, en invitant la participation active et délibérée des différentes parties prenantes, pourrait être mobilisée pour les études de la vulnérabilité. Le diagnostic participatif rapide est une méthodologie potentiellement propice pour évaluer la vulnérabilité de manière transparente et pertinente, dans les zones où les informations sont limitées. Il consiste en la collecte des informations et des données auprès des communautés concernées à l’aide d’une gamme d’outils et de méthodes interactives (Brugère et De Young, 2015) . Cette approche aide à reconnaître les divers stimuli autres que ceux liés au climat, tels que les enjeux politiques, culturels, économiques, institutionnels et technologiques (Smit et Wandel, 2006) . En effet, elle permet d’impliquer les communautés dans l'identification, la délibération et l'évaluation des divers facteurs de stress et de changements et leurs impacts sur leurs moyens d’existence. Elle favorise la concentration sur les priorités des groupes les plus démunis de la société, dans la préparation de projets et programmes et dans la réforme des secteurs (Sow et Bathiery, 2022 ; Basel et al. , 2020 ; Khandekar et al. , 2019 ; Gerlitz et al. , 2017; Maru et al. , 2014 ; Ashley et Carney, 1999) . L’évaluation participative est aussi un moyen d’améliorer la confiance et l'apprentissage des personnes concernées et d’accroître l'adoption des résultats (Villamor et al ., 2022) .

Méthodologie

L’approche méthodologique adoptée dans le cadre de cette étude s’est inspirée du guide méthodologique pour l’évaluation de la vulnérabilité au CC au niveau communautaire écrit par Fall et al . (2011) . Les outils participatifs de collecte des données utilisées ont été inspirés du guide d’application du programme d'analyse socioéconomique selon le genre produit par l’Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO, 2002) . Il s’agit, notamment, des entretiens semi-structurés, de la carte des ressources, de la carte sociale, du profil historique et de la comparaison par paires. Cette dernière technique consiste à élaborer un tableau où sont inscrites les activités économiques sur les entêtes de lignes et de colonnes, dans un ordre identique. Une dernière colonne du tableau est réservée pour calculer le total des points par ligne. Chaque ligne est comparée à chacune des colonnes et on attribue une note de : *3 si l’activité de la ligne est prioritaire à celle de la colonne ; *2 si l’activité de la ligne est de priorité égale à celle de la colonne ; et *1 si l’activité de la ligne est de priorité inférieure à celle de la colonne. À la fin, on calcule le total des points par ligne. Il en ressort un classement des activités. L’activité la plus importante est celle qui obtient le point le plus élevé.

Identification des parties prenantes

Nous avons procédé à une identification préalable des acteurs concernés par la gestion des ressources naturelles, plus particulièrement les ressources forestières, au niveau local. La consultation de la documentation et la communication avec des personnes locales dans le cadre d’un groupe de discussion de cinq personnes a permis d’établir une première liste des acteurs concernés, leurs rôles et leurs intérêts. Cette liste a été complétée par d’autres informations obtenues de la documentation et des personnes-ressources rencontrées (tableau 2).

Tableau 2

Parties prenantes dans la gestion des ressources naturelles au niveau local

Parties prenantes dans la gestion des ressources naturelles au niveau local

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Collecte des données secondaires et entretiens semi-structurés

Les données caractérisant la zone étudiée sur le plan écologique (climat, sol, hydrologie, ressources forestières, sites d'importance biologique et écologique (SIBE), et cetera) et socio-économique (démographie, structures d’âges, activités économiques, organisations sociales, et cetera.) ont été collectées à partir des statistiques officielles de l’ANEF, l’ODCO, le HCP et le Département de l’agriculture. Ces données ont facilité la compréhension et l’interprétation des informations issues des entretiens et des ateliers participatifs organisés avec les groupes d’hommes et de femmes.

Des entretiens individuels semi-structurés ont été tenus au cours du mois de mars 2023, auprès de vingt personnes-ressources, dont huit femmes. Les personnes interviewées étaient soit des adhérents ou membres des bureaux des coopératives, soit des représentants des institutions étatiques concernées par la gestion des ressources naturelles et par l’encadrement des coopératives, au niveau local (tableau 3).

Tableau 3

Personnes ressources interviewées[11] [12]

Personnes ressources interviewées11 12

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Organisation des ateliers participatifs

Sept ateliers participatifs ont été organisés avec les populations locales, entre janvier et mars 2023, aux sièges des coopératives concernées ou dans des lieux de rassemblement désignés et convenus à l’avance avec l’ensemble des participants. Le nombre total des participants était de soixante-quatorze personnes, dont 54% de femmes. Les discussions lors des ateliers ont porté sur un ensemble de thématiques préétablies, à savoir : l’inventaire et l’évaluation des moyens de subsistance, l’identification et l’évaluation des effets de changement climatique. La facilitation a favorisé l’implication de l’ensemble des participants dans les discussions, en utilisant l’arabe dialectal et parfois la langue locale Tamazight (tableau 4).

Tableau 4

Calendrier de déroulement des ateliers

Calendrier de déroulement des ateliers

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Cinq principales étapes ont marqué le déroulement des ateliers. Le tableau 5 décrit ces étapes avec les objectifs de chacune d’elles et les outils utilisés pour la collecte de données.

Tableau 5

Outils utilisés lors des étapes des ateliers participatifs[13]

Outils utilisés lors des étapes des ateliers participatifs13

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Nous avons utilisé la ligne historique des aléas climatiques, pour identifier les années de retour des aléas climatiques (étape 5 du tableau 5). Les périodes adoptées pour la ligne historique sont de 13 ans (2010-2023) pour la sécheresse, et de 18 ans (2005 - 2023) pour l’inondation. Le choix de ces deux intervalles a été dicté par la nécessité de travailler sur des périodes récentes, encore présentes dans la mémoire de la population et ayant connu la récurrence des événements climatiques. La différence entre les deux périodes, est justifiée par le fait que trois communautés, notamment Oubaalal, Tizi N’ait Ouirra et Assaka n’ont connu d’inondations qu’entre 2005 et 2010. La quantification chiffrée de la probabilité d’occurrence (PO) est calculée par la formule suivante :

PO = n/N*100

N : Nombre d’années de retour de l’évènement,

N : Nombre d’années de la période considérée,

PO : Note de la probabilité d’occurrence en %.

L’échelle de probabilité d’occurrence adoptée est de cinq niveaux, selon la note de la probabilité d’occurrence obtenue, tel qu’explicité dans le tableau 6.

Tableau 6

Échelle d’occurrence adoptée pour les évènements climatiques

Échelle d’occurrence adoptée pour les évènements climatiques

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L'échelle de Likert à cinq niveaux de gravité (Extrême : 5, Élevé : 4, Moyen : 3, Faible : 2 et Négligeable : 1) a été utilisée pour l’évaluation de la gravité des impacts des aléas. La sélection du niveau de l’échelle pour la gravité de chaque impact a été faite d’une manière consensuelle ou par vote de majorité de la part des participants de chaque atelier. La note finale attribuée pour la gravité de chaque impact était la somme des scores convenus lors des sept ateliers.

Le modèle adopté pour l’évaluation de la criticité des risques climatiques (étape 6 du tableau 5) est celui de la méthode d’analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité de Moisio (2017) . L’évaluation de la criticité a été réalisée pour les aléas climatiques de la sécheresse et des inondations, en alliant la probabilité d’occurrence de l’aléa et la gravité de ses impacts, conformément à la matrice de la criticité du tableau 7 (Farmer, 1967; Kurt F. Riding et al ., 2015 ; Totin Vodounon et al ., 2019) .

Tableau 7

Matrice de criticité des risques climatiques

Matrice de criticité des risques climatiques

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Résultats

État des lieux des ressources

Quatre catégories de ressources ont été identifiées et étudiées, les ressources naturelles, physiques, économiques et sociales. Le tableau en annexe présente en détail les résultats obtenus, à partir des outils participatifs et des données secondaires, relatifs à l’inventaire et la description de ces ressources.

Ressources naturelles

D'après l'étude participative des ressources (cartes des ressources), les principales ressources utilisées par la population sont les terrains agricoles, majoritairement non irrigués. La superficie moyenne des exploitations varie généralement entre 0,5 et 4 hectares, à l'exception de la commune de Dir El Ksiba où l'on trouve des parcelles relativement plus grandes pouvant atteindre 10 hectares.

Les surfaces irriguées ne représentent qu'une faible part de la SAU, généralement comprise entre 0,4% et 2,44%, sauf dans les communes de Dir El Ksiba et Naour où elle atteint respectivement 18% et 12%. Ces parcelles irriguées sont de petite taille, situées en terrasses (100 à 1000 m² par agriculteur) sur les bas versants le long des cours d'eau. L'irrigation provient des rivières, de sources (pour sept communautés) ou de puits (dans la partie piémont de Dir El Ksiba). Bien que limitée en superficie, l'agriculture irriguée joue un rôle essentiel dans les revenus des ménages, en fournissant des légumes et de la luzerne pour l'alimentation du bétail. L'arboriculture est également présente dans les systèmes de production locaux, bien que le nombre moyen d'arbres par exploitation soit relativement faible, d'une dizaine environ.

La zone étudiée est réputée pour son important potentiel d'élevage ovin et caprin (annexe 1). L'élevage bovin, principalement orienté vers la production laitière, est quant à lui plus rare et n'est rencontré que dans la commune de Dir El Ksiba. Le cheptel pâture librement dans les espaces pastoraux et sylvopastoraux de la région.

La couverture forestière de la zone est composée de peuplements naturels diversifiés, comprenant des essences arborées comme le chêne vert, le chêne zeen, différentes variétés de genévriers, le thuya, le pin d'Alep ou encore le caroubier. On y trouve également des espèces arbustives comme le laurier sauce dans la forêt d'Ait Ouirra, ainsi que des plantes aromatiques et médicinales telles que le thym. Cette riche biodiversité floristique et faunique a conduit à la création d'un réseau de sept SIBE visant à protéger les espèces endémiques ou menacées. La forêt fournit de nombreux biens et services à la population locale : pâturage, bois de feu et de construction, plantes aromatiques et médicinales, ainsi que des services environnementaux de régulation.

Lors des ateliers participatifs, les participants ont hiérarchisé les ressources naturelles selon leur importance pour les moyens de subsistance, plaçant en premier les terrains agricoles, suivis du cheptel, des ressources forestières et enfin des arbres fruitiers. Le tableau 8 synthétise ces résultats, le score attribué à chaque ressource reflétant son degré d'importance pour la communauté, tel que consensuellement établi lors des discussions.

Tableau 8

Classement des ressources selon l’importance accordée par la population

Classement des ressources selon l’importance accordée par la population

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Ressources sociales

La zone d'étude se caractérise par une dynamique sociale croissante, avec une forte organisation des communautés locales. La population est structurée en coopératives et associations actives dans divers domaines tels que l'éducation, l'environnement, l'agriculture et la gestion des ressources en eau. Cette dynamique associative s'est considérablement accélérée au cours des dix dernières années, notamment grâce à la promulgation en 2014 de la loi 112-12 qui a simplifié la création des coopératives, favorisant ainsi leur multiplication.

Outre ces structures modernes, on trouve également une forme d'organisation traditionnelle et informelle, la Jma'a [14] , qui perdure dans la région. Cette institution s'occupe de la gestion interne de certaines affaires communautaires, telles que l'utilisation et le partage des ressources naturelles collectives (terres, eau d'irrigation, pâturages) ainsi que la résolution des éventuels conflits au sein de la communauté.

Ressources physiques

L'infrastructure routière de la région comprend des routes régionales reliant les centres-villes des communes, ainsi qu'un réseau de pistes vers les villages. Cependant, ce réseau de pistes reste insuffisant, laissant de nombreux villages enclavés et isolés des services sociaux de base tels que les centres de santé, les marchés hebdomadaires et les chefs-lieux de communes. L'accès à ces villages est parfois rendu difficile par les dommages causés aux pistes lors des inondations.

Chaque commune dispose généralement d'un centre de santé, d'un marché hebdomadaire, d'un collège et parfois d'un lycée, à l'exception de la commune Naour. La plupart des villages ont une école primaire et une mosquée. Cependant, l'approvisionnement en eau potable n'est pas encore assuré dans tous les villages, qui dépendent encore de puits et de sources pour leurs besoins domestiques et l'abreuvement du bétail.

En résumé, la région fait face à des défis en matière d'accessibilité et d'infrastructure, avec un réseau routier insuffisant pour desservir l'ensemble des villages, et un accès inégal aux services de base, en particulier pour l'approvisionnement en eau potable. Des efforts sont nécessaires pour améliorer la connectivité et l'accès aux services publics dans cette zone rurale.

Ressources économiques

La zone renferme diverses ressources naturelles qui constituent la base de l’économie de subsistance locale. La population de terroirs étudiés possède un savoir-faire ancestral, ancré et axé sur les activités économiques vivrières, liées à l’agriculture et à l’utilisation des ressources forestières et pastorales.

Les principales activités agricoles de la région sont la céréaliculture, l'arboriculture, l'élevage extensif ovin et caprin ainsi que l'apiculture traditionnelle. La production végétale repose essentiellement sur les céréales et le fourrage (luzerne), avec également du maraîchage et des légumineuses (fèves, petits pois) cultivés dans de petites parcelles irriguées le long des oueds, principalement destinés à l'autoconsommation.

L'arboriculture constitue également une ressource économique importante, tant pour l'autoconsommation que pour la commercialisation. Les principales espèces arboricoles rencontrées sont le noyer (à Aït M'hmed, Aït Abbas, Zaouït Ahansal), le pommier (à Naour et Dir El Ksiba) cultivés dans des terrains irrigués par l'eau des oueds ou des puits, ainsi que l'amandier (dans toutes les localités) et l'olivier (à Dir El Ksiba, Naour et Moulay Aïssa Ben Driss) dans les zones non irriguées.

Les agriculteurs de la région pratiquent deux principaux systèmes d'élevage. Le premier concerne l'élevage de petits ruminants (ovins et caprins) qui pâturent sur les terrains forestiers, collectifs ou agricoles privés laissés en jachère. Le second consiste en l'élevage bovin laitier, avec des animaux élevés en stabulation et nourris de fourrages (luzerne) produits localement. Cependant, cet élevage bovin intensif n'est observé que dans la commune de Dir El Ksiba.

Les effectifs de cheptel ovin et caprin varient de 20 à 100 têtes par agriculteur dans la partie montagneuse, où les animaux pâturent principalement en forêt. Dans la plaine de Dir El Ksiba, les effectifs sont plus réduits en raison du manque de vastes parcours.

L'exploitation forestière, à travers la collecte des gousses de caroubier, des plantes aromatiques et médicinales, du bois de feu, ainsi que le pâturage, constitue une activité importante pour les populations, contribuant à leurs revenus annuels. Cependant, des coupes de bois et de la carbonisation illégales sont également pratiquées dans certaines communes, comme Naour et Aït M'Hmed, pour vendre le bois et le charbon.

Bien que la région dispose d'un important potentiel touristique, notamment en termes de patrimoine géologique, spéléologique, architectural et paysager, cette activité n'est malheureusement pas encore bien exploitée. La zone fait en effet partie du territoire du Géoparc M'Goun, qui abrite des traces de pas de dinosaures fossiles.

L'activité apicole, bien que présente dans la région, a une importance variable selon les communautés. Elle est plus développée dans certaines zones (Assaka, Oubaalal, Tizi N'ait Ouirra, Kharoube El Kheir) que dans d'autres. Cette activité est généralement pratiquée de manière traditionnelle, sans réelle organisation professionnelle en coopératives ou GIE, ce qui limiterait la possibilité de moderniser les pratiques et d'améliorer la valeur ajoutée.

L'artisanat de la laine, et plus particulièrement la fabrication de tapis, est une activité prépondérante dans la région. Cependant, elle est confrontée à des difficultés de commercialisation, la limitant principalement aux besoins domestiques des ménages.

Les revenus des ménages dépendent également des transferts d'argent par les membres de la famille travaillant à l'extérieur des villages. En raison du manque d'opportunités d'emploi locales, de nombreux jeunes migrent vers les grandes villes ou l'étranger à la recherche de travail, principalement à cause de la faible productivité du système agricole local. Ce système est caractérisé par une faible mécanisation, une insuffisance d'intrants, un morcellement des terres, et est exacerbé par les sécheresses récurrentes liées au changement climatique.

Selon le classement des différentes activités en fonction de leur contribution aux revenus des ménages (figure 7), l'élevage, la céréaliculture et l'arboriculture sont les principales sources de revenus pour quatre communautés (Assaka, Amagar, Tizi N'Ait Ouirra et Igmir Ait Hizm). Cependant, pour trois autres communautés (Kharoub El Kheir, Oubaalal et Dir El Ksiba), la collecte et la commercialisation des gousses de caroubier sont classées en première position, malgré un nombre d'oliviers supérieur au nombre de caroubiers par ménage.

La collecte et la commercialisation des plantes aromatiques et médicinales (PAM) contribuent également aux revenus des ménages, mais de manière plus aléatoire, en fonction des conditions climatiques de l'année. Par exemple, les communautés d'Amagar, d'Igmir Ait Hizm et Assaka ont déclaré n'avoir pas pu collecter de grandes quantités de thym en 2022 en raison d'une sécheresse sévère. En plus de leur usage commercial, ces PAM sont également utilisées par les populations locales dans leur consommation quotidienne, tant à des fins culinaires que médicinales.

Figure 7

Classement des activités économiques selon la contribution aux revenus des ménages

Classement des activités économiques selon la contribution aux revenus des ménages

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Identification de la probabilité d’occurrence des aléas climatiques et appréciation de la gravité de leurs impacts

Probabilité d’occurrence des aléas climatiques

L’évaluation de la probabilité d’occurrence de la sécheresse pour la période de 2010-2023, et de l’inondation pour la période de 2005-2023, montre que cette probabilité est plus élevée pour la sécheresse que pour les inondations au niveau des sept communautés étudiées. Le tableau 9 montre que toutes les communautés sont concernées par les deux événements climatiques, avec une fréquence presque similaire pour la sècheresse et des fréquences différentes pour l’inondation.

Pour les inondations, deux blocs de communautés se distinguent. Un bloc composé de cinq communautés ayant déclaré une probabilité d’occurrence peu fréquente, soit une inondation tous les 18 ans, et un autre bloc ayant mentionné une probabilité d’occurrence modérée, soit deux inondations pour la même période. Pour l’occurrence de la sècheresse, l’appréciation de la population s’est basée sur la qualification des années en trois catégories : sèches, moyennes et normales. L’absence ou la diminution du volume des précipitations (pluie et neige) par rapport aux années normales était la base de cette qualification. Ainsi, pour la période 2010-2023, la probabilité d’occurrence est jugée élevée pour l’ensemble des communautés, à raison de sept à neuf années sèches sur les 13 années. Ainsi, la fréquence varie de 58% dans la communauté d’Amagar à 69% dans la communauté de Kharoub El Kheir.

Tableau 9

Probabilité d’occurrence des aléas climatiques

Probabilité d’occurrence des aléas climatiques

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Identification des impacts des aléas climatiques et appréciation de leur gravité

Les résultats des discussions lors des ateliers participatifs et des entretiens auprès des personnes-ressources ont permis d’identifier et d’établir la liste des impacts et des conséquences, générés à la suite des évènements passés de sécheresses et d’inondations au niveau des différentes communautés étudiées. Sur la base de cette liste, les participants ont été invités à apprécier le niveau de gravité de chacun des impacts sur les différentes ressources et sur leurs moyens de subsistance. L'échelle de Likert à cinq niveaux de gravité (Extrême : 5, Élevée : 4, Moyenne : 3, Faible : 2 et Négligeable : 1) a été utilisée pour cette appréciation. La sélection du niveau de l’échelle pour la gravité de chaque impact a été faite de manière consensuelle entre les participants. La note finale attribuée pour la gravité des impacts par ressource, pour l’ensemble des communautés étudiées, est la somme des scores convenus pour la même valeur lors des sept ateliers (tableaux 10 et 11).

Tableau 10

Impacts de la sécheresse sur les ressources et leur degré de gravité

Impacts de la sécheresse sur les ressources et leur degré de gravité

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Tableau 11

Impacts des inondations sur les ressources et leur degré de gravité

Impacts des inondations sur les ressources et leur degré de gravité

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La lecture des résultats de cette étape montre l’existence de trois blocs individualisés de ressources selon la nature de l’aléa qui les affecte. Un bloc des ressources impactées par les inondations (figure 8, B1), un bloc des ressources touchées à la fois par les deux risques, sécheresse et inondation (Figure 8, B2), et un troisième bloc des ressources affectées par la sécheresse (figure 8, B3).

Le classement des ressources selon le degré de gravité de la sècheresse (figure 8), montre que les ressources les plus affectées par la sècheresse enregistrent un score allant de 27 à 28. Il s’agit de la forêt, des PAM, des ressources hydriques, du cheptel et de la céréaliculture. En deuxième position se place le bloc avec des degrés de moindre gravité, avec un score allant de 17 à 24. Il s’agit de l’arboriculture, de l’apiculture, des terrains de cultures (SAU) et des cultures de maraichères.

Le classement des ressources selon le degré de gravité de l’inondation montre la distinction de deux blocs de ressources. Le premier, avec un niveau de gravité allant de 10 à 20, concerne les vies humaines, les équipements, les biens matériels, les terrains agricoles, les cultures maraichères et l’arboriculture. Le deuxième bloc, avec des degrés de gravité allant de 3 à 8, regroupe le cheptel, l’apiculture et les ressources hydriques.

Figure 8

Appréciation de la gravité des impacts des aléas climatiques sur les ressources

Appréciation de la gravité des impacts des aléas climatiques sur les ressources

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Appréciation de la vulnérabilité des ressources aux impacts combinés des deux aléas climatiques

Afin d’évaluer la sensibilité des ressources aux effets combinés des deux aléas (sécheresse et inondation), nous avons procédé à la mesure de la criticité de leurs impacts par ressource (tableau 7). Cette matrice fixe le niveau de la criticité de chaque aléa et pour chaque ressource, en se basant sur la combinaison de la probabilité d’occurrence des aléas (tableau 9) et la gravité de leurs impacts (tableaux 10 et 11).

La somme des scores de criticité, déterminés par ressource, par aléa et par communauté, a abouti au score global par ressource et par aléa (colonnes a et b, tableau 12), ce qui a permis d’identifier l’aléa qui a le plus d’impact sur l’ensemble des ressources. Le classement du total des scores de criticité des deux aléas par ressource (colonne c, tableau 12), a permis de classer les ressources selon leur degré de sensibilité aux deux aléas (colonne d, tableau 12).

Tableau 12

Matrice de vulnérabilité

Matrice de vulnérabilité

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La sécheresse, avec un score global de 211 points, contre 78 points pour l’inondation, reste l’aléa qui impacte le plus les différentes ressources des sept communautés étudiées. Ce résultat est issu de la probabilité d’occurrence élevée de l’aléa et de la gravité de ses impacts sur les ressources (tableau 10).

La matrice de vulnérabilité (tableau 12), élaborée selon les perceptions des participants, montre l’existence de trois catégories de vulnérabilités des ressources vis-à-vis des effets combinés des deux aléas (sécheresse et inondation). La première catégorie regroupe les ressources très vulnérables avec un score allant de 31 à 35. Il s’agit des terres agricoles non irriguées, de l’élevage et de l’arboriculture. Les ressources vulnérables, dont le score varie de 21 à 27, incluant l’eau, la forêt, les PAM, et les activités de l’arboriculture, de la céréaliculture et de maraichage, et enfin les ressources moyennement vulnérables avec un score allant de 6 à 11 (équipement, infrastructures, biens matériels et vies humaines).

Discussions

Les résultats de la présente étude ont démontré que les moyens de subsistance des communautés montrent une vulnérabilité confirmée dont le degré varie d’une ressource à l’autre et d’une communauté à l’autre. L’étude confirme les résultats de Bukari et Aluko (2023) , qui ont démontré que la gravité des aléas climatiques, sécheresse et inondations, affecte intensément les privations des populations de la nourriture, du carburant, des revenus et d'eau. La présente étude a abouti à la distinction de trois catégories de ressources selon leur vulnérabilité aux effets combinés des deux aléas (sécheresse et inondation), à savoir : les r essources très vulnérables, vulnérables et moyennement vulnérables.

La sécheresse est l’aléa qui impacte le plus les différentes ressources des sept communautés étudiées. Ce résultat est expliqué par sa probabilité d’occurrence élevée, ainsi que la gravité de ses impacts sur les ressources. Ce résultat est similaire à ce qui a été trouvé par Sow et Bathiery (2022), dans la commune de Djilor au Sénégal, où la sécheresse est considérée comme l’aléa qui influence le plus les moyens d’existence de la population, suivi des Inondations.

Les ressources très vulnérables

Elles sont constituées des terres agricoles non irriguées, de l’élevage et de l’arboriculture. En raison de la sécheresse, les communautés se trouvent obligées d’abandonner le labour des terrains non irrigués. Les agriculteurs préfèrent épargner l’effort et les montants à investir dans le labour, le semis et la fertilisation des terres, pour des rendements faibles ou absents dus au manque des précipitations.

La sècheresse est responsable aussi de la diminution des unités fourragères produites en forêt et en terrains de parcours. Ce déclin contribue automatiquement à l’augmentation des frais d’achat des aliments pour le bétail, ce qui se répercute de manière négative sur l’économie des ménages et qui, par conséquent, conduit à la diminution des effectifs de cheptel. Ce constat a été exprimé par les sept communautés, particulièrement pour les ovins et les caprins. Pour les bovins, ce type d’élevage a été supprimé pratiquement de l’ensemble des communautés en montagne. Il ne persiste que dans les grandes exploitations sises dans le piémont de la montagne, notamment dans la communauté Dir EL Ksiba. Ces informations ont été confirmées par les résultats de l’étude de délimitation et de caractérisation des espaces pastoraux et sylvopastoraux de la région Beni Mellal Khénifra (MAPMDREF/DRA-BMK, 2020) et par l’étude sur les parcs agroforestiers d’Azilal ( Taibi et al ., 2019) . Stengel et al. (2017) confirment que les évènements climatiques, telles la sècheresse ou l’inondation, décapitalisent les agriculteurs par la destruction de leurs outils de production (troupeau, semis, et cetera ) et réduisent leurs revenus en dessous des besoins.

Les différentes communautés rapportent aussi une diminution accrue des rendements d’amandiers, d’oliviers et de caroubiers, suite à la succession des années de sècheresse, voire un dessèchement des arbres d’amandiers. La majorité des agriculteurs expriment même la difficulté de remplacer les arbres morts par de nouvelles plantations, en raison du manque d’eau pour arroser les plants (cas de la communauté de Kharoube El Kheir). Selon les participants, les productions agricoles sont amplement impactées par l’augmentation des températures et la diminution des précipitations, particulièrement au cours des dernières années. Ce même résultat vient étayer d'autres études menées sur la même thématique et dans d’autres régions (Asante et al. , 2021 ; Amikuzuno et Donkoh, 2012) , qui ont démontré que le changement du climat affecte considérablement la production agricole.

Le CC a un grand impact sur le secteur agricole, plus particulièrement dans les pays en développement (Ankrah Twumasi et Jiang, 2021 ; Asante et al. , 2021 ; Nuvey et al. , 2020 ; Thomas, 2008) . Selon les participants, les inondations impactent négativement la fertilité des sols agricoles par l’érosion hydrique, déracinent les arbres fruitiers (cas de la communauté de Dir El Ksiba, où une ferme de pommier a été emportée par la crue en 2011). Elles asphyxient les noyers plantés sur les berges des oueds (cas de la communauté d’Igmir Ait Hizm, attestant la mortalité d’une quinzaine de noyers par village suite aux inondations de 2015 et 2018) et dans certaines communautés, emportent les troupeaux d’ovins et de caprins (cas de la communauté de Kharoube El Kheir).

Les ressources vulnérables

La deuxième catégorie des ressources vulnérables regroupe les ressources hydriques, les ressources forestières, la céréaliculture, l’apiculture et le maraichage. En effet, les ressources en eau sont de plus en plus rares avec l’assèchement précoce de la majorité des sources d’eau, des puits, et la diminution du débit des oueds. Ce déficit en eau provoque des conflits entre les usagers (cas des villages de la communauté d’Oubaalal, qui ne disposent pas de l’eau potable en été, et cas de la communauté d’Ait Hizm, où des conflits ont été générés pour le partage de l’eau d’irrigation sur Oued Srem). Ce résultat corrobore les conclusions de Peter (2023) , en matière d’insécurité actuelle et future relative aux ressources en eau, et qui constitue la préoccupation majeure de la population dans certaines zones du Maroc. Plusieurs études ont démontré l’importance des ressources en eau dans la mobilisation des ressources financières et le renforcement des moyens d’existence des ménages (Bacye et Sawadogo-Compaore, 2023; Tshimanga et al. , 2022 ; Raimond et al. , 2019) .

Les ressources forestières sont affectées principalement par la sécheresse. Les conséquences les plus constatées sont le dessèchement des arbres forestiers, la perte de leur capacité de régénération naturelle, la faible productivité des unités fourragères, des PAM et du caroubier et l’augmentation des risques d’incendies de forêt (cas de la communauté d’Oubaalal qui a connu des incendies de forêt répétitifs en été et de faibles rendements de thym dans les terroirs des communautés de Kharoube El Kheir). Ce résultat est confirmé par plusieurs études sur l’influence du CC sur les écosystèmes forestiers, démontrant des impacts sur la physiologie des arbres en termes de croissance, de productivité, de capacité de régénération, et cetera (Vennetier, 2020) , ainsi que sur l’augmentation des risques d’incendie (Rigolot, 2008) . Il en résulte une réduction de l’aire de répartition des principales essences forestières (cèdre, chêne vert, et cetera.), ainsi que des changements dans leurs limites écologiques altitudinales, et la composition et la structure des peuplements (Mhirit et Et-Tobi, 2010) . Ce qui se traduit négativement sur les rendements des produits forestiers et par conséquent sur leurs différents usages, notamment le caroubier et les PAM, qui sont à la fois à usage commercial culinaire et médicinal (Teixidor-Toneu et al ., 2016).

L’activité économique liée à la céréaliculture, pratiquée généralement dans les terrains non irrigués, est considérée par la population comme la culture la plus vulnérable aux sécheresses. Achli et al . (2022) ont montré que la hausse des températures et la baisse des précipitations au Maroc ont des effets dévastateurs sur les cultures, en plaçant le maïs en première position du point de vue vulnérabilité à ces changements, suivi de l’orge et du blé. Belmahi et Hanchane (2021) ont montré aussi que les rendements de la céréaliculture dans la zone de Tahla, à conditions écologiques similaires avec la zone d’étude, subiront une régression suite au CC.

Vu l’importance de l’agriculture irriguée en terrasses, comme moyen de subsistance des populations des montagnes occidentales du Haut-Atlas ( Barrow et Hicham, 2000) , les cultures maraîchères (pommes de terre, tomates, oignons, et cetera.) sont pratiquées tout au long des oueds, à l’instar des autres régions du Haut-Atlas, comme la vallée d’Anougal (Ait Hmida et al. , 2007) et la vallée d’Izadene (environ 50 km au sud de Marrakech) (Naimi et Baghdad, 2002) . Le positionnement de ces cultures les rend vulnérables aux inondations et crues torrentielles des oueds en été. Les agriculteurs ont décrit les dégâts subis par les cultures installées près des oueds, à chaque inondation torrentielle (cas des communautés d’Assaka, de Dir EL Ksiba, De Kharoube El Kheir et d’Igmir Ait Hizm). Les rendements et la réussite de ces cultures sont fortement liés au régime hydrique des cours d’eau et des oueds, influencés aussi par le régime pluviométrique de la zone. Freddy (2006) affirme que les crues torrentielles engendrent des coûts considérables pour l’agriculture et la viticulture, en particulier dans la région méditerranéenne.

Pour l’activité apicole, toutes les communautés confirment la mortalité quasi généralisée des abeilles au cours de l’année 2022. La cause de mortalité était, selon la population, la rareté des ressources mellifères due à la sécheresse. C’est ainsi que les abeilles ont été vulnérables aux maladies, particulièrement à la varoise, ce qui a causé leur mortalité. De plus, la réduction des précipitations a provoqué une diminution de la production de nectar, tel que démontré par Jaworski et al. , (2022) pour le thym commun (Thym commun vulgaris), dans des écosystèmes méditerranéens où le CC a provoqué un changement dans la communauté des visiteurs des fleurs.

Les ressources moyennement vulnérables

La troisième catégorie concerne les ressources moyennement vulnérables. Elle englobe les ressources humaines et physiques impactées par les inondations, à l’instar d’autres évènements climatiques extrêmes vécus dans la zone d’étude ou ailleurs (Sallak, 2019 ; Saidi et al ., 2003) . Bien que ces impacts subis soient lourds en termes de pertes des vies humaines et d’endommagement des biens et d’équipements, cette catégorie de ressources est classée moyennement vulnérable. L’explication se trouve dans le fait que la probabilité d’occurrence de l’aléa inondation ayant causé ces impacts, reste relativement faible comparativement à l’aléa de la sécheresse. De plus, des mesures de lutte contre les effets des inondations ont été prises et qui ont pu réduire les impacts des risques bruts des inondations, notamment l’évitement de nouvelles constructions dans des zones inondables, la correction mécanique des ravins pour réduire la violence des crues, et cetera .

Afin de s’adapter aux effets du CC, le renforcement du travail collectif était une des solutions les plus adoptées dans la région. Le capital social peut avoir une influence importante sur le niveau de vulnérabilité et la capacité d’adaptation de la population (Noblet et al. , 2016 ; Martin-Breen et Anderies, 2011) . Un tissu associatif et coopératif important a été développé dans la zone et les coopératives forestières sont parmi les organisations les plus anciennes et les plus actives dans la région. La région BMK, est la première région qui a donné naissance aux premières coopératives forestières au Maroc : celle des madrieurs de Khénifra, qui a vu le jour en 1958 et celle des charbonniers d’El Ksiba, créée en 1960 (El Ibrahimi, 1991) .

Conclusion

L’étude a été menée avec des communautés du Haut Atlas central du Maroc, localisées au niveau de six communes rurales et représentées par des communautés organisées en sept coopératives forestières. L’objectif de l’étude était d’évaluer, selon la perception des populations locales, le degré de vulnérabilité de leurs moyens de subsistance et des ressources dont elles disposent aux aléas climatiques. Les ressources naturelles jugées les plus importantes, par la population, pour leur subsistance, sont les terrains agricoles, le cheptel, la forêt et les arbres fruitiers.

Avec la fréquence élevée de la sécheresse (sept à huit années sèches sur les 13 dernières années), et en raison de la gravité de ses impacts, la sécheresse est considérée l’aléa qui nuit le plus aux différentes ressources. La vulnérabilité des ressources, basée sur la mesure de la criticité des effets combinés des deux aléas climatiques, la sècheresse et l’inondation, a permis de classer les ressources en trois catégories. Les ressources très vulnérables sont les terres agricoles non irriguées, l’élevage et l’arboriculture. Les ressources vulnérables incluent l’eau, la forêt, les PAM, et les activités de céréaliculture, de maraichage et d’apiculture. Les ressources moyennement vulnérables, particulièrement impactées par les inondations, incluent les équipements, les infrastructures, les biens matériels et les vies humaines. Ces résultats de catégorisation des ressources, selon leur importance et selon leur vulnérabilité au CC, constituent une base scientifique pour élaborer des stratégies d'adaptation visant à atténuer les effets néfastes du CC et pour amorcer un développement social et économique durable.

Des recherches complémentaires seront nécessaires, à mener conjointement avec les mêmes communautés, afin d'étudier les impacts des changements climatiques et d'évaluer l'efficacité et la durabilité des mesures d'adaptation adoptées par la population, les organisations sociales et l'État.

Cette démarche permettra de mieux comprendre la complexité de la vulnérabilité aux changements climatiques dans le Haut Atlas marocain. Elle ouvrira également la discussion sur le rôle de l'État et des organisations sociales, ainsi que sur les politiques et modes de gouvernance en matière de gestion des risques climatiques.

De plus, un diagnostic approfondi du fonctionnement des coopératives forestières et de leur contribution à renforcer la résilience des populations, notamment les catégories les plus vulnérables, serait particulièrement utile. Cela permettrait de mieux valoriser le rôle de ces organisations dans l'adaptation des communautés aux changements climatiques et d'orienter plus efficacement les stratégies d'intervention dans ces zones rurales de montagne.

En adoptant une approche holistique et participative, ces futures recherches contribueront à éclairer les décideurs et à façonner des stratégies d'adaptation plus efficaces et pérennes pour les communautés les plus vulnérables de cette région.