Corps de l’article

Introduction

Les études de vulnérabilité se sont imposées depuis deux décennies dans la littérature sur les changements climatiques et les risques naturels (Beccari, 2016 ; Birkmann, 2007 ; Jurgilevich et al., 2017). Le concept même de vulnérabilité est multiforme, recouvrant une grande diversité d’acceptions selon les disciplines (Tonmoy et al., 2014), les paradigmes (Gallopín, 2006) et les contextes politiques (Nguyen et al., 2016). Dans son article de référence Vulnerability, Adger (2006) la définit comme « un état de sensibilité à être impacté négativement via l’exposition à des stress, associés à des changements environnementaux et sociaux et en l’absence de capacités d’adaptations »[1] (Adger, 2006, p. 1) La vulnérabilité est donc considérée comme multidimensionnelle, touchant à la fois les sociétés (socio-systèmes) et leur environnement biophysique (écosystèmes) (Nguyen et al., 2016). La pluralité conceptuelle (Adger, 2006) et l’interdisciplinarité (Meur-Ferec et al., 2020) sont alors vues comme bénéfiques pour une approche globale du géosystème (Beroutchachvili et Bertrand, 1978). Malgré des divergences sur les sous-concepts et leurs articulations (Gallopín, 2006 ; Hinkel, 2011), certains caractères de la vulnérabilité semblent faire consensus. Il s’agit d’un phénomène dynamique, dépendant d’un temps, d’un espace et d’un contexte donné, et variant selon l’aléa et le prisme d’intérêt par lequel il est étudié (Füssel, 2007 ; Nguyen et al., 2016 ; Pörtner et al., 2022). La vulnérabilité n’est, par conséquent, pas directement mesurable, mais une variable latente (Rufat et al., 2019 ; Spielman et al., 2020). Ainsi, les tentatives de mettre en place une méthodologie commune par le Groupement international des experts sur le climat (GIEC) depuis 1991 exerce certes une influence certaine, sans prévenir une grande diversité de pratiques (Nguyen et al., 2016 ; Pörtner et al., 2022).

Il s’agit donc d’opérationnaliser la vulnérabilité au lieu de la mesurer (Hinkel, 2011), la diversité conceptuelle rendant complexe sa transcription en prises de décisions et politiques d’adaptations (Gargiulo et al., 2020 ; Schaefer et al., 2020). C’est pourtant l’intention affichée par une part significative des publications sur la vulnérabilité (Jurgilevitch et al., 2017). À cette fin, les études prennent généralement la forme d’une approche quantitative en indices (Nguyen et al., 2016). Pouvant s’assimiler à des modélisations sommaires (Tonmoy et al., 2014), un indice regroupe des variables normalisées entre elles, alors considérées comme proxy des dimensions de la vulnérabilité étudiée : on parle alors d’indicateurs (Birkmann et al., 2013). À l’instar du concept de vulnérabilité, les choix méthodologiques lors des étapes de réalisation des indices varient grandement (Tate, 2012).

Les avantages perçus de l’indice sont sa relative simplicité d’exécution, sa réplicabilité et son pouvoir de synthèse facilitant la communication auprès des décideurs (Ivčević et al., 2019), notamment sous forme de cartes (Beccari, 2016 ; Preston et al., 2011). À ce titre, la construction d’indices est plébiscitée par les instances supranationales (Anderson et al., 2019 ; UNISDR, 2015). Plusieurs auteurs affirment ainsi une demande croissante de la part des décideurs pour des études de vulnérabilité des territoires face aux changements climatiques à l’échelle locale (Preston et al. 2011) ou de l’usage des indices en découlant (Wilson et al., 2020). À cela s’opposent des critiques sur l’impact réel de ces études (Hinkel, 2011 ; Mustafa et al., 2011) et de leurs cartes (Wolf et al., 2015) dans les processus de prises de décisions, voire remettent en question leur pertinence scientifique (Hinkel, 2011). Un constat récurrent est fait sur le faible nombre de publications s’intéressant à l’accueil et à l’usage effectif des indices de vulnérabilité (de Groot-Reichwein et al., 2018 ; Fekete, 2012 ; Ford et al., 2018 ; Rufat et al., 2019).

La littérature scientifique souligne que l’utilisation des indices bénéficie de l’implication en amont des potentiels utilisateurs finaux (Fleming et al., 2022 ; Ivčević et al., 2019 ; Oulahen et al., 2015). Ce terme englobant recouvre des acteurs des territoires aux différents échelons de prises de décision, des représentants d’institutions nationales et internationales, de services de secours, voire, plus rarement, du secteur privé. L’hétérogénéité des pratiques (Beccari, 2016) rend donc complexe le choix des dimensions de la vulnérabilité à étudier, et des méthodes à employer lors du développement d’un indice spécifiquement à l’intention d’un ou plusieurs groupes d’acteurs territoriaux. Cela interroge plus généralement les relations science-société (Vogel et al., 2007) et ce qu’est une information pertinente pour la gestion (Cash et al., 2003 ; McNie, 2007 ; Parris et Kates, 2003). La pertinence est comprise ici comme la production d’un savoir utile (Vogel et al., 2007) aux utilisateurs finaux dans le cadre de leurs prérogatives. Ainsi, l’ambition de cet article est de tenter d’isoler, via un échantillon de littérature, des critères constants pouvant influer sur la pertinence des indices auprès des utilisateurs finaux. Cet objectif se subdivise en deux questions de recherche centrées sur la notion d’utilisation :

  • Quels critères conditionnent l’usage effectif des indices de vulnérabilité ?

  • Quelles utilités les potentiels utilisateurs finaux prêtent-ils aux indices de vulnérabilité ?

Initialement, une troisième question de recherche a été formulée, portant sur la relation entre la persistance dans le temps d’indicateurs ou familles d’indicateurs et la pertinence des indices les utilisant. Cependant, le choix a été fait de se concentrer sur les deux premières questions, et cette dernière a été écartée.

Méthode

Constitution du corpus

Le choix de la méthode s’est, dans un premier temps, porté sur la revue systématique de littérature, particulièrement adaptée pour dégager des éléments de preuve à partir d’un large ensemble de publications internationales (Munn et al., 2018). En adoptant une stratégie de recherche robuste et transparente, la méthode vise à limiter les possibles biais d’interprétations tout en étant réplicable (Uman, 2011). À cette fin, une équation de recherche interrogeant titre, mots-clés et résumés a été développée sur les bases d’indexation anglophones Scopus et Web of Science. Les premières itérations ont mis en évidence une part importante d’articles présentant les mots-clés recherchés, le plus fréquemment situés en fin de résumés. Cependant, à la lecture complète, peu à pas d’éléments permettaient d’affirmer une éventuelle pertinence des méthodes auprès de potentiels utilisateurs finaux, à l’instar de l’observation de Preston et al. (2011).

Aucun des changements apportés dans les termes et la structure de l’équation (figure 1) n’ont permis d’écarter ces publications, résultant en une très faible précision (17,4 %) des retours exploitables. La complexité d’intégrer à la fois les concepts connexes de la vulnérabilité, la grande diversité des aléas naturels retenus et la terminologie pour désigner les potentiels utilisateurs finaux sont autant de facteurs supplémentaires d’explication. Le petit nombre d’articles retenus a permis d’initier une seconde étape de recherche dite par rebonds via leurs références, mais également la fonctionnalité « cité par » proposée par les bases d’indexation. Un échantillon de littérature conséquent, dont des rapports de recherches pour la plupart non indexés, a ainsi été constitué. Cette approche plus large et itérative s’éloigne cependant d’une revue de littérature systémique et tend vers la revue exploratoire (ou scoping review en anglais) (Arksey et O’Malley, 2005). Les objectifs divergent entre ces méthodes ; plutôt que d’interroger le sens précis ou l’efficacité des pratiques, la revue exploratoire s’intéresse plus généralement aux caractéristiques et concepts (Munn et al., 2018). La méthode est parfois une amorce pour une revue systématique si cette dernière apparait faisable et appropriée.

Enfin, pour tenter de limiter le biais de la langue de publication, les bases francophones Érudit et H.A.L. ont été interrogées avec quelques mots-clés centraux. Lors de l’indexation ou à la lecture des résumés, les champs disciplinaires de l’ingénierie et des modélisations de données ont été d’office écartés, car considérés comme peu pertinents pour les questions de recherche. À l’inverse, des articles portant sur des indices de vulnérabilité écologique ont été conservés et traités à des fins comparatives.

Figure 1

Étapes de construction du corpus

Étapes de construction du corpus

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Construction de la grille de lecture

Les articles issus de l’équation de recherche ont permis d’émettre deux séries d’hypothèses quant aux critères influençant la pertinence d’un indice auprès de potentiels utilisateurs finaux. La première s’intéresse aux éléments méthodologiques de la construction de l’indice ; la seconde examine les interactions entre équipes de recherches et les acteurs des territoires. L’ensemble des hypothèses a été formulé autour du couple conceptuel de nécessité et contingence. La nécessité d’une propriété définit l’existence d’un objet ou phénomène, qui ne peut exister en tant que tel en son absence (Blay, 2006 ; Russ, 2011). La survenue ou non d’un phénomène n’étant que rarement imputable à une seule propriété ou cause, cette dernière est dite nécessaire, mais pas suffisante (Verschueren et al., 2004). À l’inverse, la contingence désigne ce qui peut différer sans remettre en question l’existence de l’objet. Rapporté aux indices, il s’agit donc de déterminer s’il existe ou non des choix méthodologiques indispensables pour qu’ils soient jugés pertinents par les utilisateurs finaux. Il n’est pas exclu pour autant que des éléments contingents influent positivement sur la pertinence, sans la conditionner. Via les hypothèses, l’idéal est donc d’isoler des critères qui, lorsque tous sont satisfaits, expliquent la pertinence d’un indice auprès de son public cible.

Ainsi, suivant l’exemple de Wolf et al. (2015), les hypothèses ont guidé le renseignement d’une série de variables pour :

  1. distinguer les publications pertinentes au sein d’un échantillon de la littérature ;

  2. tester statistiquement la répartition des modalités entre publications pertinentes et l’ensemble du corpus pour donner des éléments de réponse aux hypothèses.

Les variables d’intérêts sont regroupées en sections présentées en tableau 2. Les informations bibliographiques génériques sont principalement à visée descriptive. Elles permettent cependant un premier rapprochement avec les corpus d’auteurs traitant de sujets analogues (Beccari, 2016 ; Lima et Bonetti, 2020 ; Tonmoy et al., 2014).

Les dimensions spatiale et temporelle donnent lieu à une section distincte du fait de leur importance dans les études de vulnérabilité (Nguyen et al., 2016). Si la localisation des équipes de recherche développant des indices ainsi que les sites d’applications sont des données importantes, il en va de même pour l’échelle géographique d’analyse. La variable dédiée s’intéresse de fait à l’échelon spatial de réflexion des auteurs plus que l’emprise spatiale du ou des sites d’étude. Cette approche motive la catégorisation d’un indice appliqué à un quartier de métropole comme étant d’échelle subnationale du fait du rôle structurant de la ville au-delà de ses limites administratives (d’Albergo et Lefèvre, 2018). La finesse ou résolution de l’analyse est largement contrainte par celle des données disponibles (Hinkel, 2011) de même que leur format, justifiant une variable spécifique. La dimension temporelle, renseignée par la variable démarche prospective, permet indirectement de renseigner la prise en compte ou non des effets des changements climatiques. Elle ne permet cependant pas de distinguer une conception statique ou d’évolution dynamique de la vulnérabilité (Jurgilevich et al., 2017).

La section dédiée au cadre de la recherche cherche à saisir les éléments motivant et influençant la réalisation des études. Le but de la recherche se réfère, en premier lieu, aux propos des auteurs, mais fait fréquemment l’objet d’un exercice de déduction indéniablement subjectif. Le contexte de la recherche se base essentiellement sur les informations présentes en fin d’article sur son financement et les remerciements. Le degré de subjectivité le plus limitant se retrouve dans la variable relevant le cadre conceptuel employé. La diversité des acceptions des différents concepts (et leurs sous-concepts) rend parfois la distinction arbitraire, et cela même lorsqu’une référence directe est faite au cinquième rapport du GIEC (Field et al., 2014). Concernant les aléas, une limite peut être formulée sur la modalité multiples renseignée pour plus de deux phénomènes distincts. Cela confond les études considérant les impacts en parallèle de celles dites multirisques tentant d’intégrer leurs possibles interrelations (Komendantova et al., 2014). En raison de l’usage du terme flooding (inondation en français) à la fois pour les inondations fluviales et la submersion, la distinction n’a pas été faite. La perte d’informations est également significative pour les variables relevant de l’environnement physique et l’importance de l’occupation humaine ; leur renseignement est tributaire de l’échelle spatiale. De plus, le choix a été fait de s’intéresser aux grands types de sites d’un point de vue topographique plus qu’hydrologique ; par exemple, les estuaires sont comptabilisés dans une acceptation large du domaine côtier. Contrairement à la préconisation de Nguyen et al. (2016) d’évaluer la valeur d’intérêt d’une étude de vulnérabilité, le choix a été fait de se limiter à la population étudiée. Le point central de l’étude est rarement explicité tel quel, ce qui aurait induit davantage de subjectivité.

La variable centrale dans la section dédiée à la construction de l’indice est la place accordée aux utilisateurs finaux dans la méthode. La nuance apportée à la terminologie de Beuret (2012) est l’ajout d’une modalité « échange ». Elle s’applique quand une méthode intègre une rencontre avec des acteurs du territoire de type groupe de discussion pour les consulter sur un point méthodologique précis. Le postulat est que, indirectement, les discussions sont à même d’influencer les étapes suivantes de la méthode, sans que cela soit relevé ou même perçu. La co-construction est comprise ici au sens strict, le critère distinguant cette modalité de la participation étant l’implication des potentiels utilisateurs finaux dans l’élaboration du cadre conceptuel de l’indice. La structure de l’indice reprend la nomenclature de Tate (2012), tout en ajoutant une nuance sur l’impact de la participation des acteurs des territoires sur la sélection des indicateurs. Une approche mixte traduit ainsi une modification ou complémentarité à un travail en amont des chercheurs. Une approche ascendante (bottom-up en anglais) suit au plus proche les préférences des potentiels utilisateurs finaux.

La dernière section sur la finalisation et la diffusion de l’indice comprend la validation et le calcul des incertitudes, pointés comme cruciaux par un nombre significatif de publications (Fekete, 2019 ; Räsänen et al., 2019 ; Rufat et al., 2019 entre autres). La diversité des pratiques mises en œuvre en ce sens a été ramenée à une seule variable bimodale. Le média de diffusion examine le format par lequel les résultats de l’indice ont été communiqués aux potentiels utilisateurs finaux. Par exemple, une cartographie réalisée à l’aide de Systèmes d’Informations géographiques (SIG), mais seulement distribuée au format statique entre dans la modalité « cartes ». Lorsqu’il n’est pas fait état d’une communication autre que la publication, c’est le format y figurant qui est comptabilisé par défaut.

À l’issue de la lecture intégrale des publications, deux variables complémentaires ébauchent une première classification pour les analyses. Le premier niveau indique pour quels sous-axes de recherche initiaux le document présente un intérêt. Le second niveau permet de distinguer plus spécifiquement les méthodes d’indices pour lesquels un intérêt des publics cibles ou un usage sont attestés. La grille de lecture comprend enfin une contextualisation des éléments importants sur l’usage et/ou l’utilité, les sources, ainsi que des commentaires aidant à la compréhension des variables. L’usage recouvre les utilisations prouvées de l’indice par les utilisateurs finaux. L’utilité se réfère aux dires de potentiels utilisateurs finaux retranscrits dans les publications, sans que puisse être fournis de preuve de l’utilisation effective.

Tableau 1

Sections, variables (et modalités) de la grille de lecture

Sections, variables (et modalités) de la grille de lecture

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Tableau 1b

Suite et fin

Suite et fin

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Tests et analyses

La grille de lecture recense 159 publications répondant aux critères de sélection (figure 1), qu’elles soient issues de l’équation ou de la recherche par rebonds. Seules 35 d’entre elles présentent des éléments tangibles d’un usage ou d’une utilité des indices développés pour les potentiels utilisateurs finaux. Cinq publications (Cutter, 2016 ; Khan, 2012 ; Romero-Lankao et al., 2012 ; Roukounis et Tsihrintzis, 2022 ; Spielman et al., 2020) comprises dans le corpus ont été repérées pour traiter de la persistance avant que cette piste de recherche soit écartée. Pour mettre en évidence des critères de pertinence, une première étape quantitative vise à observer les différences de répartitions au sein de chaque variable entre les méthodes retenues et écartées. Un second niveau de distinction se base sur le contenu des publications. Les preuves réfèrent à un usage et/ou utilités clairement explicités d’un indice, la méthode exprime les aspects techniques de l’indice. Cette séparation est importante, car si la majorité (n=19) des publications combine les deux éléments, ce n’est pas systématique. Certains écrits livrent des éléments de preuves d’une méthode développée antérieurement n’étant pas forcément l’objet central de discussion. Il convient alors d’aller chercher les textes séminaux, qui peuvent ne comporter aucune preuve de l’intérêt suscité par leur utilisation. Dans le cas des revues de littérature, seul un des indices abordés peut être d’intérêt, tandis que deux publications peuvent discuter de la même méthode.

Afin de s’assurer de la robustesse des observations, une série de tests d’indépendance établie si les différences observées sur l’échantillon sont significatives, ou bien relèvent du hasard statistique. Pour cela, un troisième niveau de classification strictement focalisé sur les méthodes d’indice est nécessaire, afin d’éviter des doubles comptages. 25 méthodes ont alors été analysées (annexe 1). Les nuances de ce classement en trois niveaux s’avèrent importantes à prendre en compte dans la perspective d’effectuer des tests dans lesquels le moindre individu mal renseigné peut influer les résultats.

Les variables qualitatives ont ainsi été soumises à des tests différents selon le respect des conditions d’application (tableau 2). Les variables bimodales ont fait l’objet de Khi² de Pearson[2] après vérification des effectifs théoriques minimaux (égaux ou supérieurs à 5), incluant la correction de Yates [3]en raison de la taille réduite de l’échantillon. Le test d’exactitude de Fischer-Freeman-Halton[4] permet alors de traiter les variables multimodales comprenant des effectifs théoriques plus réduits (Freeman et Halton, 1951). Le nombre d’indicateurs se présente comme une variable quantitative discrète, dont la distribution est possiblement influencée par d’autres variables qualitatives. La condition de normalité de l’échantillon n’étant pas respectée (p-value de 3,74 x 10-9 au test de Lillifors[5]), le test de Kruskal-Wallis[6] a été appliqué en substitution de l’analyse de la variance (ANOVA en anglais) à un facteur.

La multiplication de tests sur un même jeu de données mène à une augmentation du risque d’erreur de première espèce, soit de considérer comme significatifs des résultats ne l’étant pas en réalité. Une correction, dite de Bonferroni, suggérant d’abaisser la p-value (0,05 par convention) servant de seuil au rejet de l’hypothèse nulle, est une des solutions proposées pour réduire ce risque. L’absence de consensus dans la littérature et les critiques sur l’augmentation importante de l’erreur de seconde espèce ont motivé l’absence de correction pour nos tests, demeurant simples et considérés individuellement (Armstrong, 2014 ; Jouan-Flahault et al., 2004).

Cette approche quantitative s’inspire de la méthode de méta-analyse pouvant faire suite aux revues de littérature systémiques (Uman, 2011). Cependant, la nature exploratoire du corpus limite la portée des tests effectués, rendant la nécessaire analyse qualitative des textes d’autant plus importante.

Résultats

Tableau 2

Résultats des tests d’indépendances entre les méthodes pertinentes et l’ensemble du corpus

Résultats des tests d’indépendances entre les méthodes pertinentes et l’ensemble du corpus

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Informations bibliométriques

Au regard des critères de sélection, le nombre de publications dans le corpus attestant effectivement d’un degré de pertinence d’indices auprès de leurs publics cibles est minoritaire, soit 22,0 %. La répartition du nombre de publications par années (entre 2005 et 2022) (figure 2) suit une tendance croissante avec le temps, cohérent avec les échantillons des revues de littérature sur des sujets proches (Beccari, 2016 ; Jurgilevich et al., 2017 ; Lima et Bonetti, 2020). Le maxima en 2015 se retrouve également dans la revue de Lima & Bonetti (2020) s’intéressant aux études de vulnérabilité sociale des zones côtières face aux changements climatiques. Une hypothèse probable est l’impact sur ce domaine de recherche du quatrième rapport du GIEC sur la vulnérabilité (Field et al., 2014). Cependant, par lecture graphique, aucun lien ne semble exister entre l’année des publications et la pertinence relevée des méthodes d’indices développées. La typologie des documents pointe la nette sous-représentation des rapports, indiquant une possible limite alors que, proportionnellement, ce type de publication est plus important parmi celles retenues comme pertinentes. Un examen de la liste des auteurs montre une très grande hétérogénéité (n=704), avec 81,2 % des noms n’apparaissant qu’une fois dans le corpus contre 90,2 % pour les publications retenues (n=194). Des auteurs reconnus comme S. Cutter ou A. Fekete ressortent, mais sont devancés par le scandinave T. Opach.

Figure 2

Effectifs, type et répartition temporelle des publications du corpus

Effectifs, type et répartition temporelle des publications du corpus

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Les périodiques sources (annexe 2) montrent la prédominance de Natural Hazards et International Journal of Disaster Risk Reduction dans le corpus, ainsi que la relative importance des périodiques représentés par une unique publication (27,8 %). Les sources des publications retenues comme pertinentes sont proportionnellement plus hétérogènes, les occurrences uniques représentant 55,2 %. Ecological Indicators, Sustainability et Mitigation and adaptation strategies for global change ressortent alors comme les sources les plus importantes. Le constat est que les scores d’impacts des périodiques ne semblent pas, a priori, influencer la pertinence des publications dans le corpus pour les questions de recherche.

Dimension spatiale et temporelle

La carte des institutions d’attache des premiers auteurs des publications du corpus (figure 3) fait ressortir le leadership des États-Unis (n=23), une tendance se retrouvant dans toutes les revues de littératures connexes. L’Union européenne pré-Brexit représente un second pôle d’importance avec la prédominance de l’Italie (n=19), l’Allemagne (n=15), et du Royaume-Uni (n=11). L’Australie occupe également une place importante (n=14). Un pôle secondaire apparaît en Asie sans qu’un pays ne se démarque nettement. L’Afrique et l’Amérique du Sud se voient marginalisées (n=3), tandis que le Moyen-Orient n’a aucune représentation dans le corpus. L’importance des États-Unis est cependant grandement réduite (n=5) quand sont seulement considérées les publications présentant une méthode retenue comme pertinente. L’Allemagne et l’Australie restent bien représentées (n=4), tandis qu’aucune des publications d’auteurs rattachés à des institutions italiennes ou françaises ne figure malgré leur présence significative dans le corpus. Plus généralement, un clivage nord/sud semble exister en Europe, les états scandinaves étant représentés malgré un nombre réduit de publications.

Figure 3

Carte des pays de localisation des institutions d’attache des premiers auteurs

Carte des pays de localisation des institutions d’attache des premiers auteurs

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Ces observations sont, dans l’ensemble, transférables à la carte des pays d’application des indices présentés par les publications du corpus (figure 4) avec cependant quelques nuances. La sous-représentation de l’Afrique, mais surtout de l’Amérique du Sud apparaît moins marquée, tandis que se renforce le pôle asiatique où se distingue le Bangladesh (n=8).

Figure 4

Carte des pays d’application des indices présentés dans le corpus

Carte des pays d’application des indices présentés dans le corpus

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Le croisement des deux cartes permet de dresser une typologie sommaire entre :

Les pays où la recherche produite concerne majoritairement le territoire national, à savoir les États-Unis (19 publications sur 23), la France (7/8), le Canada (5/6), l’Inde (4/5), Taïwan (4/4) et la Suède (4/4) ;

Les pays émetteurs de recherches sur les indices appliqués hors de leur territoire national, à savoir l’Italie (5 publications hors territoire sur 19), l’Allemagne (8/15), l’Australie (5/14), mais surtout le Royaume-Uni (8/11) ;

Les pays récepteurs de recherches sur les indices dirigées depuis l’extérieur de leur territoire, à savoir le Bangladesh (4 publications exogènes sur 8), le Brésil (4/6), l’Indonésie (3/3) et la Suisse (2/2).

Ces résultats sont cohérents avec les observations de Lima et Bonetti (2020). La place de l’Australie et du Royaume-Uni parmi les pays émetteurs a peut-être un lien avec les partenariats internationaux du Commonwealth, tandis qu’une part des recherches pilotées depuis l’Allemagne et l’Italie se rattachent à des projets régionaux sous l’égide de l’Union européenne.

Quand seules les publications retenues comme pertinentes sont considérées, on constate un fort ancrage national : 23 méthodes sur 25 ont une application dans le pays de l’université d’attache du premier auteur.

La question de l’échelle d’application des études de vulnérabilité est soulignée comme importante (Nguyen et al., 2016), avec l’échelle locale perçue comme plus pertinente pour les utilisateurs finaux (Lima et Bonetti, 2020). Contrairement à l’observation de ces derniers auteurs pour la vulnérabilité sociale, c’est l’échelle subnationale qui prévaut dans notre corpus (annexe 3), à l’instar de l’échantillon de Beccari (2016). L’une des explications possibles est la distinction typologique faite pour les métropoles.

Le test d’indépendance ne permet pas d’établir de lien entre l’échelle et la pertinence relevée pour les potentiels utilisateurs finaux des indices. Au regard des hypothèses, il apparaît donc que ce critère est purement contingent. Le même constat s’applique pour l’unité d’analyse utilisée à la construction des indices ; aucune modalité ne se distingue, réaffirmant une diversité des pratiques même à échelle similaire. Cependant, la perte d’information induite par des regroupements nécessaires au test, ainsi que la diversité des terminologies selon les pays incitent à la prudence.

La dimension prospective semble a priori jouer sur la pertinence des méthodes d’indices, avec une surreprésentation significative des études l’intégrant. La prise en compte de modélisations climatiques et des impacts des changements climatiques sur le niveau marin ont été les principaux guides pour renseigner cette variable. Sans que cela ne relève de la nécessité, il est donc possible que cela influe positivement sur la pertinence auprès des potentiels utilisateurs finaux.

Cadre de la recherche

Le but de la recherche explicité, ou déduit dans le cas contraire, exerce a priori une influence sur la pertinence des méthodes d’indices auprès des potentiels utilisateurs finaux (annexe 4). Le développement d’outils d’aide à la décision comme objectif est, sans surprise, surreprésentée, sans être systématiquement pertinent : seules 6 des 17 publications ainsi catégorisées ont été retenues. Le développement d’une nouvelle méthode d’indice est également surreprésenté, tandis que l’adaptation d’une méthode antérieure est sous- représentée. Les considérations techniques et théoriques sont logiquement absentes, car n’étant pas à destination des utilisateurs finaux. Ni la distribution observée pour le contexte de la recherche ni son cadre conceptuel ne mettent en évidence des liens significatifs avec la pertinence, ce qui rend ces aspects a priori contingents. Cela peut en partie être lié à l’inégale répartition de l’échantillon. En effet, plus de la moitié des publications ne donne pas d’éléments pour contextualiser la motivation de la recherche menée, tandis que les différentes acceptions de la vulnérabilité comptent pour 77,6 % de l’effectif exploitable.

Parmi les aléas étudiés, l’inondation (ou submersion) est le plus représentée. Cela est à mettre en relation avec l’importance de la modalité « côtier » en variable environnement, où les sites sont principalement concernés par la submersion, mais aussi l’érosion. Les canicules sont le second aléa en termes d’effectif, mais leur importance relative parmi les méthodes retenues comme pertinentes n’est pas significative. Si le milieu physique ne montre pas non plus de lien significatif avec la pertinence dans l’échantillon, l’occupation humaine du territoire est a priori significative. Les indices appliqués à des structures urbaines sont ainsi surreprésentés parmi l’effectif exploitable, et de manière encore plus marquée parmi ceux jugés pertinents. Enfin, l’accent des indices sur tout ou partie de la population des territoires étudiés, ou encore une thématique précise telle la conservation des milieux ne semble pas influer nécessairement la pertinence auprès des publics cibles. Ainsi, aucun des éléments testés parmi le cadre de recherche ne démontre une nécessité, et n’est par conséquent contingent. Le but de la recherche et le degré d’occupation du territoire étudié jouent cependant un rôle facilitateur.

Construction de l’indice

La variable de contribution des utilisateurs finaux présente un lien significatif avec la pertinence des méthodes d’indices auprès de ces derniers (annexe 5). Cependant, un tiers de l’effectif exploitable du corpus ne fait état d’aucune mise à contribution ou même contact avec ces derniers. Cela reste moindre que dans les échantillons de littérature examinés par Ivčević et al. (2019) et Preston et al. (2011) ; 79,2 % et 60 %, respectivement. Pourtant, et bien que sous-représentés, des indices développés sans lien avec leurs potentiels utilisateurs finaux sont considérés comme pertinents (n=5). À l’inverse, la participation et la co-construction au sens de Beuret (2012) sont surreprésentées, et semblent donc être des éléments contingents, mais favorables à la pertinence. La structure de l’indice au sens de Tate (2012) a, a priori, également une influence partielle sur la pertinence. Cependant, la surreprésentation nette de la modalité mixte laisse présager une forte corrélation avec la variable précédente. Une structure mixte est ici comprise comme le croisement d’une approche descendante (top-down en anglais), généralement déductive/hiérarchique, avec une approche ascendante (bottom-up en anglais) centrée sur les potentiels utilisateurs finaux. Paradoxalement, une structure purement ascendante se voit sous-représentée, tandis que la structure descendante déductive et/ou hiérarchique reste une modalité importante parmi les méthodes retenues. La nomenclature employée s‘inspire de celle de Beccari (2016), pour des résultats convergents.

La méthode de pondération des différents indicateurs ou groupes d’indicateurs ne présente pas de lien significatif avec les méthodes retenues comme pertinentes. L’absence de pondération induisant une importance égale des indicateurs est la modalité majoritaire, en cohérence avec les observations d’autres auteurs (Beccari, 2016 ; Nguyen et al., 2016 ; Tonmoy et al., 2014).

Le nombre d’indicateurs relevé est des plus variables, compris entre 5 et 69 (figure 5). Le mode se situe entre 10 et 15 indicateurs, bien inférieur à celui de Beccari (2016) compris entre 25 et 30. Aucun des tests de Kruskal-Wallis conduits n’est significatif (annexe 6). Il semble donc ne pas y avoir de lien entre la pertinence d’un indice auprès des utilisateurs finaux et le nombre d’indicateurs le composant, rendant ce critère parfaitement contingent.

Figure 5

Distribution des indices présentés dans le corpus selon leur nombre d’indicateurs

Distribution des indices présentés dans le corpus selon leur nombre d’indicateurs

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Finalisation et diffusion des indices

La méthode d’agrégation des indicateurs et composantes en indices ne semble pas avoir de lien avec la pertinence auprès des utilisateurs finaux (annexe 7). L’agrégation additive (par exemple par somme) est la plus représentée au sein du corpus, suivie de l’agrégation multiplicative (par produit), en cohérence avec les observations de Tate (2012) et Tonmoy et al. (2014). D’autres méthodes plus spécifiques existent à la marge, pouvant aller de l’emploi de méthodes statistiques complexes à, plus simplement, l’organisation des composantes en matrice. Les limites inhérentes à l’agrégation relevées dans la littérature (Fekete, 2012) et, plus généralement, à la construction d’un indice, poussent certains auteurs à proposer une liste d’indicateurs non-agrégés (Mason et al., 2021). Plus rares encore, des méthodes comparent deux types d’agrégations pour tester la robustesse des résultats.

Malgré la haute importance de la validation des indices formulée par plusieurs publications (Rufat et al., 2019 ; Tate, 2012), cette étape semble parfaitement contingente à la pertinence des indices auprès des utilisateurs finaux. Plus d’un tiers du corpus étudié présente au moins un de ces aspects, ce qui est plus que les 18,86 % observés par Beccari (2016). La validation semble donc encore une pratique minoritaire (Beccari, 2016 ; Ivčević et al., 2019 ; Rufat et al., 2019) avec cependant un écart moins prononcé dans notre corpus. Cela s’explique partiellement par les différences dans le renseignement des modalités selon les auteurs. Par exemple, Beccari (2016) ne s’intéresse qu’aux analyses d’incertitudes et de sensibilité.

Le support de diffusion de l’indice semble avoir un lien significatif avec la pertinence de la méthode d’indices auprès des utilisateurs finaux. La représentation cartographique, qu’elle soit statique ou via des portails interactifs de type web-SIG, est le support privilégié faisant l’objet de nombreuses recherches (Räsänen et al., 2019). Parmi les méthodes pertinentes, la diffusion sous forme de graphiques concerne seulement un individu, le Risk Management Index (RMI) de Cardona et al. (2005). Même s’il a été développé conjointement avec des indices de vulnérabilité sans qu’une preuve de leur usage soit attestée, le RMI ne s’intéresse pas directement à un aléa naturel et, par conséquent, est à considérer à part. Il semble donc que l’emploi d’une méthode cartographique est un élément nécessaire à la pertinence auprès des utilisateurs finaux. La nette surreprésentation des portails web interactifs ne se retrouve pas dans le corpus de Beccari (2016), dans lequel cette modalité est très minoritaire. Un facteur temporel peut être un élément d’explication : 50 % des publications attestant d’une application internet sont contemporaines ou postérieures à 2016.

Vers une typologie des usages et utilités

Les 25 méthodes retenues comme attestant d’un usage et/ ou d’une utilité auprès des utilisateurs finaux présentent des finalités perçues ou réelles diversifiées. L’usage recouvre des preuves d’utilisation effective, l’utilité l’intérêt déclaré et les utilisations potentielles selon les acteurs des territoires. Si les indices sont souvent présentés comme des outils d’aide à la décision (Ivčević et al., 2019), se pose la question suivante : y a-t-il de bons usages pour les indices de vulnérabilité aux aléas naturels ? Si le GIEC définit ce qu’est une bonne prise de décision (Jones et al., 2014), le rôle des indices en la matière reste non précisé. D’un point de vue de la pertinence scientifique, la critique d’Hinkel (2011) sur les indices relatifs aux changements climatiques exerce une influence certaine sur le sujet. L’auteur classifie les différentes finalités prêtées par la littérature aux indices en six catégories :

  1. identifier des cibles de mitigation,

  2. identifier des populations particulièrement vulnérables sur des secteurs ou régions,

  3. sensibiliser sur le changement climatique,

  4. allouer des fonds pour l’adaptation de populations, secteurs ou régions particulièrement vulnérables,

  5. suivre l’efficacité des politiques d’adaptations,

  6. conduire des recherches scientifiques,

  7. servir de catalyseur aux discussions entre acteurs des territoires,

  8. diffuser des données,

  9. usage ou utilité non précisés dans les textes.

Selon Hinkel (2011), développer une méthode d’indices n’est approprié que pour identifier des populations et secteurs vulnérables, à condition de l’appliquer à une échelle locale. Cette position stricte est tantôt suivie (Wolf et al., 2015), tantôt critiquée directement (Carter et al., 2014). Pour structurer les retours des potentiels utilisateurs finaux sur les méthodes du corpus retenues comme pertinentes, la typologie a été reprise et adaptée (figure 6). Dans cette analyse, la première catégorie (1) est conservée, tout comme les catégories 3 à 6. La deuxième catégorie (2) visant à identifier des populations particulièrement vulnérables est subdivisée en pour tenir compte de la question de l’échelle locale ou d’une plus grande emprise en se basant sur la variable « unité d’analyse ». La catégorie 2.1 adresse alors l’identification de la population sur une petite emprise spatiale (quartier, municipalité…), tandis que la catégorie 2.2 renvoie à l’identification de la population sur une grande emprise spatiale (région administrative, pays…). Des occurrences relevées dans les publications font état de finalités ne correspondant pas à la classification originale, motivant la création de nouvelles catégories, les catégories 7 à 9 ajoutées à la précédente énumération.

La catégorie « outsider » regroupe trois méthodes d’indices ne traitant pas directement des aléas naturels, mais que la proximité méthodologique rend intéressantes à considérer. Elle regroupe le RMI de Cardona et al. (2005), l’indice de vulnérabilité agricole de Nelson et al. (2005) et l’indice écologique de Delaney et al. (2021). Il s’agit de la seule méthode retenue parmi les sept publications se rattachant à la vulnérabilité d’écosystèmes, laissant penser à un passage de la recherche vers l’usage est aussi loin d’être évident dans cette discipline.

Les tendances observables sont relativement analogues entre l’usage et l’utilité déclarés par les potentiels utilisateurs finaux. En adéquation avec la position d’Hinkel (2011), la catégorie 2.2 relative à l’identification de population et espace à grande échelle (par exemple, les petites emprises spatiales) est fortement représentée avec 55 % des méthodes. Par contraste, la catégorie 2.1 relative aux échelles plus petites ne compte que 18 % des méthodes. Les indices en tant que catalyseurs des discussions (catégorie 7) comprennent 59 % de l’effectif, avec une part plus importante parmi les utilités perçues. Cependant, des auteurs comme Bixler et al. (2021) ou El-Zein et al. (2021) relativisent les propos recueillis, pointant que seul le temps peut démontrer l‘utilisation effective des indices telle qu’énoncée par les acteurs des territoires. En d’autres termes, il peut, dans certains cas, s’agir de réponses polies, sans réelle volonté d’employer la méthode d’indices développée. La troisième catégorie importante, avec 48 % des méthodes, est l’indice utilisé comme outil de communication ou sensibilisation en général (catégorie 3), et pas seulement sur les changements climatiques. Là encore, les utilités déclarées sont plus importantes que des usages relevés. Enfin, l’absence de la première catégorie s’explique par l’orientation du corpus étudié, dans lequel les indices sur l’adaptation sont minoritaires.

Figure 6

Typologie des usages et utilités relevés par méthode à partir des publications

Typologie des usages et utilités relevés par méthode à partir des publications

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L’allocation de fonds (catégorie 4) n’est directement explicitée que pour deux indices appliqués aux États-Unis, le SoVI et SVI pour Social Vulnerability Index. La conduite de recherches scientifiques supplémentaires (catégorie 6) ne représente que 18 % des méthodes, comptant majoritairement des usages avérés. À l’inverse, les quatre indices classés dans la diffusion de données (catégorie 8) relèvent d’une utilité perçue.

La figure 6 permet, en outre, de souligner deux aspects relatifs à la recherche bibliographique. Un tiers des méthodes d’indices retenues se voit renseigné par deux publications différentes. À cinq reprises, une publication postérieure à celle exposant pour la première fois la méthode vient livrer des éléments sur son usage ou utilité, éléments absents dans les publications originales. Cela soulève de nouveau la question de la temporalité de la recherche et de la publication scientifique pour traiter de tels sujets.

Discussion

Le degré d’influence réel des indices de vulnérabilité aux aléas naturels dans la prise de décision est considéré comme incertain (Ford et al., 2018) ou limité (Mustafa et al., 2011), ce sujet restant faiblement couvert par la littérature (de Groot-Reichwein et al., 2018 ; Ford et al., 2018). Les rares revues livrant des informations sont généralement focalisées sur un type de vulnérabilité et/ou un aléa précis (Lima et Bonetti, 2020 ; Wolf et al., 2015), tirant leurs observations d’une revue de littérature systématique. Cette approche nécessaire ne suffit cependant pas à déterminer l’existence ou non de facteurs influençant l’emploi effectif des indices par les utilisateurs finaux. Les publications retenues pour discuter de ce sujet offrent souvent des considérations générales, basées sur leur étude de cas. Lorsque citées en références, les éléments avancés peuvent être perçus comme des faits universellement établis (Wolf et al. 2015). C’est dans cette perspective qu’a été développée une méthode permettant de combiner une approche quantitative et qualitative de la revue de littérature. Cependant la construction du corpus s’assimile plus à une revue exploratoire (Arksey et O’Malley, 2005) qu’une revue systémique, prérequis de la méta-analyse (Uman, 2011). Les résultats obtenus sont ainsi à mettre en perspective de leurs limites.

La taille de l’échantillon relativement modeste au regard de revues de littérature traitant de sujets proches (Beccari, 2016 ; Lima et Bonetti, 2020) prévient de tirer toute conclusion catégorique sur les résultats des tests. L’équation servant de base à la construction du corpus est imprécise, même si les résultats sur les données bibliométriques révèlent une certaine cohérence à la comparaison. La surreprésentation des articles et la quasi-totalité des publications en anglais sont susceptibles d’avoir un impact important, mais reflètent également l’état de fait dans l’accessibilité du savoir scientifique pour les chercheurs, mais aussi les gestionnaires. La part de subjectivité inhérente au choix des variables et des modalités est parfois importante, notamment sur la détermination du cadre conceptuel suivi par la publication. La difficulté particulière rencontrée sur ce dernier point relève pour beaucoup de la « confusion babylonienne » (Janssen et Ostrom, 2006) entourant la vulnérabilité et ses concepts connexes. Jugée comme frein (Hinkel, 2011) ou, au contraire, comme gage d’émulation scientifique (Adger, 2006), la question de l’influence auprès des gestionnaires reste en suspens.

Un point important à considérer est la matière ayant alimenté cette recherche. Les publications scientifiques transcrivent, évidemment, en premier lieu les objectifs et les interprétations des équipes de recherche. Plusieurs auteurs pointent également la temporalité de la recherche, qui ne permet pas d’avoir le recul suffisant lors de la publication pour savoir si l’intérêt exprimé par les acteurs des territoires se traduit en fait par l’utilisation de l’indice dans la prise de décision (de Brito et al., 2018 ; El-Zein et al., 2021 ; Preston et al., 2009). Il est parfois même compliqué pour les auteurs d’obtenir cette information a posteriori (Beccari, 2016 ; Wolf et al., 2015). Des publications peuvent très bien ne pas faire état de l’ampleur d’une mise à contribution des acteurs du territoire lors du développement d’un indice pourtant employé par ces derniers. C’est, par exemple, le cas des travaux de Satta et al. (2016) au Maroc. Pour ces raisons, la seule approche par la littérature pour renseigner l’usage et l’utilité des indices de vulnérabilité est nécessaire, mais insuffisante. L’approche adoptée par Wolf et al. (2015) en enquêtant les premiers auteurs des publications retenues est une piste intéressante pour compléter la démarche entamée.

L’indice, un outil ne convenant pas à tous les territoires

La répartition spatiale des indices relevés dans le corpus est loin d’être uniforme, aussi bien à l’échelle globale qu’intra- nationale. Intuitivement, la lecture des cartes (figures 3 et 4) semble pointer l’inégalité des moyens économiques comme principal facteur. Ce postulat tend à se confirmer en mettant les résultats en parallèle avec l’Indice de développement humain (IDH) (PNUD, 2022). Cet outil à vocation première de comparaison n’est pas exempt de critiques (Deb, 2015), n’imputant cependant pas sa popularité. Les pays classés à développement très élevé (annexe 8) sont surreprésentés dans le corpus étudié, comprenant même la quasi-totalité de l’effectif des méthodes retenues. Aussi bien pour le pays de l’institution d’attache du premier auteur que d’application des indices, les pays à développement élevé ne sont représentés parmi les méthodes jugées pertinentes que par le rapport de Cardona et al. (2005) piloté et appliqué, en partie, en Colombie. La différence entre les moyennes tend à confirmer l’idée d’un transfert, ou pilotage, d’études employant des indices à partir de pays à IDH très élevé vers des pays à IDH moins élevé. Le Bangladesh est le meilleur exemple, comptant la moitié des études réalisées sur son territoire présentées par une publication dont le premier auteur est affilié à une institution d’un pays européen.

À l’échelle d’une nation, les indices sont préférentiellement développés pour des territoires urbains, ce critère étant apparemment propice à leur utilisation effective. Seule l’étude de Markphol et al. (2021) vient partiellement pondérer cette observation. Les auteurs y ont construit un indice avec l’aide des communautés rurales en Thaïlande pour appuyer, en complément d’une étude qualitative, la co-construction d’un plan d’adaptation avec la communauté locale.

Aux deux échelles considérées, les disparités observées peuvent s’expliquer en partie par les mêmes facteurs. Le premier est celui de la donnée disponible, reconnu comme le principal défi lors de la construction d’indices de vulnérabilité (Hinkel, 2011 ; Nguyen et al., 2016). Indépendamment de l’échelle ou de l’orientation de l’étude, les données publiques sont généralement privilégiées pour renseigner les aspects socio-économiques, avec, en tête, les recensements effectués par des institutions nationales. La collecte de ces données nécessite des moyens humains et matériels conséquents, dont l’inégale disponibilité selon les pays mène à des disparités sur leur qualité et leur actualisation. Les répartitions démographiques jouent également un rôle. La densité urbaine permet d’avoir des unités statistiques à résolution spatiale fine de l’ordre du bloc d’habitations, mais à l’emprise dépassant parfois les limites administratives d’une municipalité rurale. Alors trop imprécises pour répondre aux besoins (Barette et al., 2018a), les données nationales doivent être suppléées par des données locales, dont la collecte ou le relevé sur le terrain, nécessitent à son tour des moyens. Pour les territoires ruraux, des approches quantitatives sont alors préférées, telles le Rapid Rural Appraisal développé par Chambers (1989).

L‘utilisation des SIG s’est largement démocratisée (Mericskay, 2011), mais leur usage pour analyser les données et cartes de vulnérabilité demeure une compétence technique nécessitant du personnel qualifié (Opach et Rød, 2013). Les communautés rurales ont généralement un moindre accès à cette expertise du fait de leurs plus faibles ressources (Wood et al., 2021), a fortiori dans les pays n’ayant pas un développement économique parmi les plus élevés (Krishnamurthy et al., 2011). Le développement de portails web-SIG influe vraisemblablement de manière positive sur l’usage ou l’utilité des indices auprès du public cible, mais ne déplace que partiellement ce frein. Si les aspects techniques sont pris en charge par l’équipe de recherche incluant ou non des acteurs des territoires, le développement de tels outils nécessite là encore des moyens importants. Une plateforme interactive ne dispense également pas d’un niveau minimal de formation pour comprendre les informations transmises.

L’importance de la communication entre équipes de recherche et acteurs des territoires

Les motivations au développement d’un indice de vulnérabilité sont diverses (Hinkel, 2011 ; Nguyen et al., 2016 ; Preston et al., 2011), mais l’une des finalités souvent avancées est l’aide à la prise de décision (Ford et al. 2018). La variable du but de la recherche indique pourtant que cet objectif, lorsqu’explicité tel quel, est minoritaire dans le corpus. Le développement de nouvelles méthodologies prime, pouvant recouvrir un souci d’opérationnalité auprès de potentiels utilisateurs finaux. Nombreux sont les articles évoquant à la marge, en résumé et conclusion, un intérêt potentiel de leur indice pour les utilisateurs finaux sans avoir impliqué ces derniers. Si ce constat peut être vrai, les chances de voir un jour ces recherches appliquées sont questionnables. L’enquête menée par Jacob et al. (2022) auprès de gestionnaires québécois démontre qu’une extrême minorité consulte les études de vulnérabilité publiées dans le cadre de leurs missions. Si les cartographies apparaissent comme facteur d’opérationnalité, une part importante émane de la seule volonté de produire du savoir (Fekete, 2012).

La typologie relevée par Hinkel (2011) et réemployée pour catégoriser les usages et utilités auprès des utilisateurs finaux (figure 7) démontre la diversité des buts. Ces derniers varient selon les groupes de recherche et le type d’acteurs impliqués, et cela même à échelon territorial analogue. Lorsque l’opérationnalisation de l’indice est recherchée, l’importance de l’implication des potentiels utilisateurs finaux à son développement est fréquemment évoquée (Ivčević et al., 2019 ; Juhola & Kruse, 2015 ; Preston et al., 2011). La nette surreprésentation des modes d’implication les plus inclusifs que sont la participation et la co-construction (Beuret, 2012) parmi les méthodes retenues tend à confirmer cette affirmation. Le critère d’une contribution des acteurs du territoire étudié ne semble pas être une nécessité pour autant : quatre méthodes effectivement retenues ne font état d’aucun lien avec ces derniers.

Ce constat vient également pondérer les considérations issues du champ de recherche s’intéressant aux relations entre science et société. Des obstacles qualifiés de fossé ou frontière (Vogel et al., 2007) sont résumés comme des manques de crédibilité scientifique, légitimité et pertinence de l’information scientifique auprès des décideurs et praticiens (Cash et al., 2003 ; S. A. Jones et al., 1999 ; McNie, 2007). Ainsi, la co-production de savoir passant par des objets frontières (Star, 2010 ; Star & Griesemer, 1989) est présentée comme un catalyseur à la collaboration fructueuse entre chercheurs et acteurs des territoires possédant chacun leurs intérêts propres. Un objet-frontière se définit en effet comme appartenant à des sphères sociales différentes, mais se croisant. Sa force est son ambiguïté ; il est conceptuellement flexible pour répondre aux besoins de chaque communauté participant à son élaboration sans que la vision d’une ne s’impose aux autres, mais également suffisamment durable pour conserver son identité propre (Bixler et al., 2021 ; Stoytcheva, 2015). Parmi les méthodes retenues comme pertinentes, seuls Bixler et al. (2021) se réfèrent directement à ce concept lors de la co-construction de leur indice. Quelques autres publications évoquent directement la notion (Juhola et Kruze, 2015 ; Wolf et al., 2015) ou indirectement (Nelson et al., 2010). Fleming et al. (2022) soulignent l’importance d’une organisation-frontière pour mener à bien leur projet, tout en pointant, à l’instar de Delaney et al. (2021), la contrainte de temps que le concours des utilisateurs finaux peut représenter pour ces derniers. Les auteurs préconisent ainsi la création d’une assemblée consultative pour assurer le lien avec les utilisateurs finaux lors du déroulé de la recherche. Une structure similaire se retrouve dans d’autres méthodes (El-Zein et al., 2021 ; Weber et al., 2015), tandis que les travaux présentés par Opach et al. (2020) sont le fruit d’un consortium de chercheurs et acteurs du territoire.

Un autre élément vu comme favorisant, souligné par Breil et al. (2018) et Kazmierczak et al. (2015), est la présence d’un champion, soit un acteur investit dans la problématique et œuvrant en sa faveur au sein de son institution (Markham et al., 1991). Bohman et al. (2015) se réfèrent à la notion proche du courtier du savoir (knowledge brokers en anglais). Parmi les méthodes retenues, les obstacles de la frontière sont souvent mis en avant lorsque les utilisateurs finaux sont invités à contribuer davantage qu’une simple consultation. Malgré la diversité des approches théoriques sur le sujet, ces dernières semblent, au final, parfaitement contingentes pour expliquer la pertinence des indices auprès de leur public cible.

Un autre paramètre, rarement considéré (Preston et al. 2011, Nguyen et al. 2016) mais d’importance (Gibson et al., 2017), est l’influence exercée par le cadre officiel, par exemple la législation et l’organisation institutionnelle régissant les territoires étudiés. L’absence de lien sur la variable du contexte de la recherche semble écarter a priori le mode de financement ou l’influence d’un cachet officiel comme significatif. Pourtant, l’indice présenté par Fekete (2009, 2012) démontre l’impact qu’une mauvaise prise en compte des échelons administratifs peut avoir. S’intéressant aux inondations en Allemagne sur l’ensemble du territoire fédéral, l’indice a rencontré scepticisme voire méfiance auprès des gestionnaires d’échelon régional (Länder en allemand) à qui échoit la compétence. Plus marquant encore est le constat dressé aux États-Unis par Wood et al. (2021) sur l’utilisation du Social Vulnerability Index (SoVI) développé par Cutter et al. (2003) ou son équivalent libre de droits SVI. La Federal Emergency Management Agency (FEMA) conditionne l’octroi de certaines aides aux communautés (au sens de municipalités) touchées par une catastrophe naturelle à la réalisation préalable d’études quantitatives de vulnérabilité. Les auteurs pointent une potentielle sous-utilisation des indices, en plus d’avoir un effet contreproductif. Les communautés les plus pauvres n’ayant pas les moyens de piloter ou déléguer au privé l’application d’un indice se voient, de fait, exclues d’aides dont elles ont pourtant le plus besoin. Cet intérêt financier est ce qui ressort comme majoritaire dans l’étude de cas de Siman et al. (2022) intégrant le SoVI dans leur méthodologie. Le point commun des quatre méthodes retenues n’impliquant pas d’utilisateurs finaux est leur échelle d’ampleur nationale à supranationale. Au regard de ces éléments, il apparaît comme plausible que des indices émanant de projets de recherche ou institutions œuvrant à ces échelles soient une contrainte perçue ou réelle plus que l’objet d’une franche adhésion.

Indépendamment du prisme selon lequel les relations avec les potentiels utilisateurs finaux sont envisagées et leur degré d’implication, c’est le contexte dans lequel se déroule l’étude qui semble primer. C’est ce qui pourrait expliquer l’absence de liens à la pertinence parmi les variables génériques de milieu, de population étudiée ou d’aléas cibles. Ce constat est en cohérence avec la nature même de la vulnérabilité (Nguyen et al., 2016), mais aussi la diversité dans les attentes et les besoins entre acteurs des territoires étudiés et entre chercheurs. L’usage ou l’utilité formulée par les utilisateurs finaux présentés en figure 6 peut différer du but affiché à la construction des indices (Hinkel, 2011 ; Wolf et al., 2015). Pour les tenants des approches collaboratives, le processus de co-construction est en soit aussi important que le résultat (Carter et al., 2014 ; Opach et al., 2020 ; Preston et al., 2009). En outre, l’investissement en temps et moyens consacrés à l’implication de potentiels utilisateurs finaux présente des intérêts certains pour la recherche. Le meilleur exemple est un accès aux données produites par les acteurs, pouvant aider à résoudre cet élément critique de la construction des indices (Preston et al., 2011).

Des aspects méthodologiques contingents

Lorsque les potentiels utilisateurs finaux sont mis à contribution lors du développement d’un l’indice, ils n’interviennent pas nécessairement aux mêmes étapes, même à degré d’implication égale ; au contraire, l’impact effectif apparaît très hétérogène (figure 7). Au regard des tests statistiques, seule la structuration des indicateurs présente un lien avec l’usage ou l’utilité relevée parmi les étapes de la construction d’indices telles qu’explicitées par Tate (2012). Si cela tend à affirmer la prédominance du contexte de l’étude, des nuances sont à apporter.

Figure 7

Contribution des potentiels utilisateurs finaux aux différentes étapes méthodologiques des indices pertinents

Contribution des potentiels utilisateurs finaux aux différentes étapes méthodologiques des indices pertinents

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La résolution spatiale est un critère contingent selon le test (annexe 3), mais lorsque formulée — et intégrée —, la demande des potentiels utilisateurs finaux tend invariablement à l’ajout d’une résolution spatiale plus fine. L’affirmation portée par certaines publications sur une pertinence accrue d’indices développés localement, questionnée par Wolf et al. (2015) et Tonmoy et al. (2014), n’a pas pu être confirmée ni infirmée. Le format de l’unité spatiale de référence est cependant rarement ouvert à discussion, suivant généralement celui des données utilisées. Un possible facteur d’explication est la limite connue lors de la transformation des données spatialisées d’un maillage à l’autre, ou Modified Area Unit Problem (Jelinski et Wu, 1996).

L’échelle spatiale rencontre la même ambiguïté, notamment sur le rôle d’une emprise locale vue comme la seule légitime scientifiquement par Hinkel (2011). La non-significativité du test semble écarter ce critère comme important aux yeux des utilisateurs finaux. Deux éléments laissent, en revanche, indirectement présager de l’influence d’une proximité spatiale comme critère contingent mais facilitateur. D’abord, le pays de l’université d’attache du premier auteur correspond, dans la grande majorité des cas (92,6 %), à celui où se situent les sites d’applications des méthodes pertinentes. Ensuite, la nette sous-représentation des adaptations de méthodes antérieures à un autre contexte renforce l’idée d’un intérêt à développer une méthode à la carte pour un territoire donné.

L’échelle temporelle est peu discutée parmi les méthodes retenues malgré le lien établi entre la pertinence et la considération d’une démarche prospective. Lors de l’usage des modélisations climatiques, les pas de temps des scénarios du GIEC (Field et al., 2014) aux horizons 2050 et 2100 sont retenus. Les indices développés par Barette et al. (2018b) ainsi que celui à visée de conservation de Delaney et al. (2021) sont des exceptions notables dans le corpus. L’indice centré sur les routes québécoises de Drejza et al. (2019) a également laissé le choix aux potentiels utilisateurs finaux. L’horizon 2050 est, dans les deux cas, préféré par les utilisateurs finaux, au motif qu’il correspond mieux aux échéances de leurs missions.

La sélection des indicateurs ou des variables les constituant semble être la mise à contribution la plus courante des utilisateurs finaux. Les modes d’implications sont divers, allant de discussions lors d’un atelier de travail collectif (de Groot-Reichwein et al. 2018), avec parfois l’usage de la méthode Delphi (de Brito et al., 2018), ou encore un processus plus itératif et collaboratif (Fleming et al. 2022, Opach et al. 2020). Parfois, les utilisateurs finaux peuvent contester l’usage d’indicateurs retenus par l’équipe de recherche (Oulahen et al., 2015). L‘impact du nombre d’indicateurs est peu évoqué par les différents auteurs, et les rares positionnements divergent entre une méthode se voulant synthétique (Wood et al., 2021) ou tendant vers plus d’exhaustivité (Preston et al., 2009). Kazmierczak et al. (2015) note en ce sens l’absence de problème chez les potentiels utilisateurs finaux quant au nombre élevé d’indicateurs (35) de leur méthode. La question reste donc en suspens, aucun des tests conduits sur la variable correspondante n’étant significatif. L’hypothèse de la prépondérance du contexte spécifique à chaque étude est renforcée.

Deux aspects semblent moins explorés avec les potentiels utilisateurs finaux : la discrétisation et l’agrégation. Si la première relève davantage de la nature des données, la question se pose parfois sur le nombre de classes (Delaney et al., 2021). La méthode d’agrégation ne semble pas affecter la pertinence aux yeux des acteurs des territoires, cette dernière se résumant dans la majorité des méthodes à une somme des composantes ou facteurs d’analyse en composantes multiples (ACP) (Tate, 2012).

La pondération des indicateurs est peut-être l’étape la moins consensuelle parmi les publications et, à ce titre, contingente à la pertinence des méthodes étudiées. Les incertitudes sur les interrelations entre variables sont souvent avancées comme argument pour une pondération égale (El-Zein et al. 2021). Les différentes méthodes fondées sur le dire d’experts ou d’acteurs des territoires sont, par essence, subjectives, et exigeantes en temps (Schaefer et al. 2020). Au contraire, l’absence de pondération revient à ignorer les différents niveaux d’importance existant entre les indicateurs (de Brito et al., 2018). Le choix de pondérer ou non et selon un procédé particulier est généralement à la discrétion de l’équipe de recherche, avec l’exception notable d’Oulahen et al. (2015). La réaction négative des acteurs locaux à une pondération égale qui « ne fait pas de sens »[7] (Oulahen et al. (2015), page 486) a poussé l’équipe de recherche à proposer une seconde itération du SoVI pondéré. A la comparaison, les auteurs soulignent des résultats analogues, constat relayé par Preston et al. (2009) et Nelson et al. (2010). Du point de vue des chercheurs, l’argument de la simplicité d’interprétation d’une pondération égale (Nelson et al., 2010) s’oppose au bénéfice de l’appropriation de l’indice (Oulahen et al. 2015) par les potentiels utilisateurs finaux.

La validation, défendue par un pan significatif de la littérature (Hinkel, 2011 ; Rufat et al., 2019 ; Tate, 2012 ; Wolf et al., 2015) ne semble pas être un critère nécessaire à la pertinence auprès des utilisateurs finaux. L’inclusion ou non de cette étape répond peut-être davantage à une préoccupation propre aux chercheurs. À l’instar du constat de Wolf et al. (2015) concernant les indices de vulnérabilité aux vagues de chaleur, peu à pas d’études traitent de l’impact des incertitudes des cartes issues des indices sur la prise de décisions. Cependant, un contre-exemple frappant à cette absence a priori d’incidence est présenté par Preston et al. (2009). La première itération de leur indice de vulnérabilité aux incendies dans le cadre des changements climatiques a été accueillie avec circonspection par les acteurs des territoires. Les résultats des cartes entrant en conflit avec les représentations de ces derniers, des demandes de vérifications ont été adressées à l’équipe de recherche. La démonstration étayée de la validité des résultats a permis de convaincre les potentiels utilisateurs finaux, ouvrant la voie à la diffusion des cartographies issues de l’indice au grand public.

La visualisation joue un rôle certain à l'attrait des indices pour les potentiels utilisateurs finaux, la représentation cartographique apparaissant même comme un critère nécessaire. Le développement de web-SIG émane parfois directement d’une demande des utilisateurs finaux (Kazmierczak et al. 2015, Weber et al. 2015), confirmant l’intérêt du support (Opach et Rød, 2013). En réponse, plusieurs publications retenues se focalisent sur la réception des plateformes internet par les publics cibles et leurs améliorations (Bohman et al., 2015, Opach et al. 2020) ou bien sur la sémiologie graphique (de Groot-Reichwein et al., 2018). L’avantage majeur prêté à un support interactif est la possibilité de déconstruire l’indice en ses composantes et indicateurs, donnant sens à une valeur pouvant être vue comme boîte noire (Bohman et al., 2015, Opach et al., 2020). La sélection des variables ou leur pondération peuvent également être laissées à la discrétion des utilisateurs à l’instar de Carter et al. (2014). Barette et al. (2018a) pointent cependant la contrainte de temps que nécessite la prise en main de ces outils dont la multiplication peut décourager l’usage. Évoquée à la marge, la couverture médiatique semble jouer un rôle facilitateur pour susciter l’intérêt et la participation à la construction de l’indice (Bohman et al., 2015, Opach et al. 2013) ou de s’en servir (Nelson et al. 2010).

À l’exception notable de la représentation cartographique, il apparait que les choix méthodologiques lors des étapes de construction des indices n’affectent que de manière contingente l’intérêt porté par les utilisateurs finaux. Cela tend à confirmer la prédominance de la légitimité et de la pertinence au sens de McNie (2007) sur la crédibilité scientifique. Plus précisément, l’importance et la signification accordée à cette dernière divergent entre les équipes de recherche et les acteurs de terrain. Enfin, les représentations des acteurs des territoires semblent être un facteur à considérer attentivement. Des résultats peuvent être questionnés en cas d’inadéquation ou d’incapacité à faire le lien avec l’expérience personnelle (Preston et al. 2009, Kazmierczak et al. 2015, Oulahen et al. 2015). Cela peut aller jusqu’à un rejet du cadre conceptuel même, la vulnérabilité ayant été perçue comme une forme de discrimination dans une municipalité sollicitée par Oulahen et al. (2015). Le défi d’intégrer les représentations soulevées par Adger (2006) semble donc toujours d’actualité.

Conclusion

La revue de littérature exploratoire menée conjointement avec une approche mixte d’analyse statistique et qualitative offre, malgré ses limites, quelques pistes de réflexion :

  1. L’intérêt et l’usage effectif par les acteurs des territoires des nombreux indices de vulnérabilité développés sont loin d’être une évidence. Ce constat s’applique même quand l’opérationnalisation du concept pour ces derniers est le but clairement explicité. La plupart des publications semble cependant plus focalisée sur la production de savoir et non sa diffusion.

  2. Le développement d’indices et leur usage effectif sont très polarisés spatialement, les preuves d’intérêts et d’utilisations sont presque exclusives des centres urbains des pays les plus développés. L’inégalité de moyens nécessaires à la réalisation des indices et des données disponibles semble être le principal facteur d’explication. Aucun élément ne permet d’établir ou d’infirmer l’existence d’une échelle d’étude à privilégier.

  3. La participation des potentiels utilisateurs finaux n’apparait pas comme strictement nécessaire à la pertinence d’un indice auprès de ces derniers, mais semble jouer un rôle facilitateur. Les divergences d’intérêts entre chercheurs et acteurs des territoires peuvent se traduire par une utilisation différente de celle initialement envisagée ; l’indice en tant qu’outil d’aide à la prise de décision est parfois utilisé ou perçu comme outil de sensibilisation.

  4. Le contexte de réalisation de l’étude et du territoire d’application semble primer sur tout choix méthodologique parmi la grande diversité d’approches existantes. La validation des résultats des indices, défendue par une part significative de la littérature, semble a priori contingente à leur réception par les potentiels utilisateurs finaux.

  5. La diffusion de l’indice sous forme de représentation cartographique apparait comme le seul critère parmi ceux interrogés comme étant nécessaire à la pertinence auprès des publics cibles. Un fort intérêt -contingent- semble être porté aux portails web-SIG en raison du degré d’interactivité offert par ces derniers.

Le développement d’un indice de vulnérabilité aux aléas naturels à destination d’acteurs de territoires comme aide à la décision ne semble pas présenter d’éléments préétablis à cocher pour augmenter les chances d’être pertinent. Ainsi, au même titre que les territoires étudiés, l’outil et les approches sont appelés à s’adapter continuellement : l’amélioration de l’existant apparait comme une nécessité. Si l’objectif est d’offrir un indice opérationnel, cela semble difficilement pouvoir se passer de la collaboration entre chercheurs et acteurs du territoire. C’est dans cette logique qu’ont été portés les projets OSIRISC (Philippe et al., 2021) et Résilience côtière (Drejza et al., 2021) en France et au Québec. La présente étude menée dans le cadre du projet binational ARICO offre ainsi des pistes pour bonifier ces indices tout en tenant compte des attentes des publics cibles.