Résumés
Résumé
La présente étude révèle l’implication des acteurs locaux dans l’évaluation de l’impact des modes de gestion des ressources naturelles en les mettant au cœur du processus. La démarche méthodologique appelée « jury de citoyen » soutenue par quatre groupes de discussion autour des aménagements hydroagricoles de la Vallée du Niger au Bénin a été explorée dans cette étude. Les périmètres concernés sont l’Union des groupements des producteurs du périmètre de Malanville (UGPPM), le Périmètre Sota et les bas-fonds aménagés des villages de Garou et de Toumboutou. L’analyse faite sur les quatre catégories d’effets a permis d’observer les effets cognitifs, les effets contextuels et les effets substantifs respectivement. Les effets procéduraux ont été faiblement observés. Les différentes observations ont été validées sur la base du consensus. L’innovation, révélée par ce modèle d’analyse, trouve son fondement dans son caractère holistique et sa capacité d’appréhender les effets induits par les approches participatives en quatre dimensions et qui tiennent compte des relations structurelles entre celles-ci. Les quatre catégories d’effets analysées ont montré que dans le domaine de la gouvernance des ressources naturelles autour des aménagements hydroagricoles, il est possible de dialoguer, d’argumenter sur la base des connaissances, des expériences et des savoirs différents et qu’il est indispensable, pour une participation efficace, de confronter les différents points de vue à travers des débats de qualité fondés sur le raisonnement dans le but de trouver un consensus.
Mots-clés :
- évaluation délibérative,
- catégorie d’effets,
- gestion des aménagements hydroagricoles,
- vallée du Niger,
- Bénin
Abstract
The present study reveals the involvement of local stakeholders in assessing the impact of the form of natural resource management by putting them at the heart of the process. The methodological approach known as "citizen's jury", supported by four focus groups on hydro-agricultural developments in the Niger Valley, was explored in this study. The perimeters concerned are the Producer Union Groups for the Malanville Perimeter (UGPPM), the Sota perimeter and the lowlands developed in the villages of Garou and Toumboutou. Four categories of effects were analyzed: contextual effects, substantive effects, procedural effects and cognitive effects. The creativity revealed by this analytical model lies in its holistic nature and its ability to apprehend the effects induced by participatory approaches in four dimensions, taking into account the structural relationships between them. The four categories of effects analyzed have made it possible to understand that, in the field of natural resource governance around hydroagricultural developments, it is possible to engage in dialogue, to argue on the basis of different knowledge, experience and know-how, and that it is essential, for effective participation, to confront the different points of view through quality debates based on reasoning with the aim of finding a consensus.
Keywords:
- effects,
- evaluation,
- management of hydro-agricultural,
- effects,
- Niger valley,
- Benin
Corps de l’article
Introduction
L’intégration des processus participatifs dans les politiques de gestion des ressources naturelles en général a été au cœur des débats scientifiques durant ces dernières décennies (Soria et al., 2021). Les approches dites participatives sont de plus en plus mobilisées dans la définition et la mise en œuvre des politiques agricoles et programmes de développement (Brou, 2019). Les approches participatives consistent en un arrangement par lequel des parties prenantes de divers domaines se réunissent pour contribuer directement ou non et formellement ou non au processus de décision (O’connor, 2006). Ces démarches participatives visent à promouvoir une gestion plus durable et équitable des ressources naturelles et d’impliquer volontairement et équitablement les citoyens dans la gestion (Carr, 2015 ; Hand et al., 2018). De telles dispositions sont indispensables non seulement pour définir les objectifs environnementaux et accroître le succès des actions de gestion. Elles peuvent également garantir la prise en compte des aspects économiques, politiques, culturels et sociaux de la gestion des ressources naturelles (Carayannis et Campbell, 2010 ; Crowley et al., 2016).
Les processus participatifs sont généralement fondés sur des approches globales et holistiques dans lesquelles tous les membres de la communauté locale et autres parties intéressées (Razzaque, 2009 ; Carayannis et Campbell, 2010) présentent une grande variété de mécanismes d'engagement (Reed, 2008). Désormais ces modes citoyens d’actions peuvent ouvrir de nouvelles perspectives en faveur d’une meilleure gestion des ressources communes (Ostrom, 1998 ; Ostrom, 2010). Compte tenu des critiques que posent les processus participatifs de gestion des ressources naturelles, leur efficacité est souvent remise en cause (D’Aquino, 2007). En effet, les mécanismes d'engagement participatif les plus couramment utilisés sont les entretiens, les ateliers, la diffusion scientifique et les activités d'éducation environnementale (Videira et al., 2006 ; Reed, 2008). Récemment, quelques initiatives ont également inclus des projets de science citoyenne comme outil pour accroître l'engagement du public dans la prise de décision environnementale (Wehn et al., 2015 ; Gray et al., 2017 ; Mukhtarov et al., 2018). Dans le même ordre d’idées, l’approche participative ou le jury de citoyens est une forme d’approche qui mobilise un groupe de personnes pour représenter le grand groupe dans les processus de prise de décision en termes de délibération sur des préoccupations de gestion (Brou, 2019). Par ailleurs, plusieurs études sur les processus participatifs ont intégré le concept de services écosystémiques (Jorda-Capdevila et al., 2016) ou envisagent des scénarios futurs liés aux mesures de gestion pour faire face aux pressions sur l'environnement (Kallis et al., 2006 ; Quevauviller, 2011 ; Verkerk et al., 2017).
Au Bénin, la politique d’accès aux ressources productives dans les filières agricoles doit par la définition des stratégies opérationnelles. Cette opérationnalisation doit nécessairement passer par une augmentation de la superficie cultivée, la promotion de semences de bonne qualité, l’accès aux engrais et aux produits agrochimiques, l’amélioration de l’accès au financement, l’amélioration des équipements agricoles, le renforcement des services de proximité et la valorisation des aménagements hydroagricoles (Houngue et Nonvid, 2021). Dans ce contexte, quels sont les effets de l’approche participative dite « jury des citoyens » dans la gestion des aménagements hydroagricoles dans la vallée du Niger au Bénin ? En effet, dans le cadre de la gestion des aménagements hydroagricoles dans la vallée du Niger, des modes de gestion (communautaire, privée ou mixte) sont explorés (Maman et al., 2022). La présente étude cherche à apporter sa contribution à travers l’analyse des effets des modes de gestion en prenant en compte la participation des parties prenantes aux modalités d’accès aux facteurs de production. Les mécanismes et approches participatives sont explorés dans cette perspective. Nous présentons ici l’évaluation d’une approche participative basée sur la méthode du jury de citoyens, après avoir exposé les modalités d’accès aux facteurs de production. La deuxième partie détaille les différentes catégories d’effets observés par les jurés. L’analyse met aussi en évidence les principaux défis rencontrés et les enseignements tirés de cette expérience de façon à suggérer des recommandations pour une meilleure utilisation de ce type de démarche participative.
Cadre d’analyse
Pour Barnaud et al. (2016), les démarches participatives restent une voie intéressante pour une plus grande implication des citoyens dans la définition et la mise en œuvre de projets et des politiques les concernant, en particulier dans les domaines du développement rural et de la gestion de l’environnement (Chambers, 1994 ; Borrini-Feyerabend et al., 2004 ; Pain, 2004 ; Pimbert, 2004 ; Reed, 2008 ; Faure et al., 2010 ; Barbier et Larrue, 2011). La participation (D’Aquino, 2007) est entendue comme tout processus qui permet aux individus d’influencer les prises de décision les affectant et à prendre part au processus de prise de décisions, depuis l’élaboration d'une politique publique jusqu'à l’identification d'une technologie adaptée. En effet, selon Brou (2019), la participation permet l’expression des capacités des citoyens dans un processus de décision, en accroissant le partage de l’autorité décisionnelle ainsi que les possibilités de discussions face à face des parties prenantes. L’identification d’une méthodologie de cette participation est alors nécessaire.
Pour Rey-Valette et al. (2018), les dispositifs participatifs permettent de comprendre les effets de la gouvernance en fonction des types de bénéficiaires, en distinguant les acteurs publics porteurs de la démarche et les participants y compris la société civile concernée (Borrini-Feyerabend et al., 2004). Barbier et Larrue (2011), concernant les concertations environnementales, suggèrent trois catégories d’effets à travers une logique (i) instrumentale tournée vers l’acceptabilité et la gestion de conflits, (ii) substantielle au sens de l’amélioration de la qualité des décisions et (iii) normative en termes de démocratisation et de citoyenneté. Rey-Valette et Mathé (2012) caractérisent les effets selon trois catégories (i) économique en améliorant le revenu et en augmentant la productivité, (ii) sociale, par l’apprentissage et la reconnaissance des savoirs locaux, la cohésion sociale et (iii) institutionnelle à travers le capital social, l’autonomisation (empowerment en anglais) et la qualité des dispositifs mis en place. De même Beuret et Cadoret (2015) identifient différents types d’effets tout en nuançant le fait qu’ils relèvent avant tout d’un capital mobilisable dans le futur à travers (i) l’informationnel, (ii) l’organisationnel résultant de l’émergence de nouvelles proximités et (iii) un capital pour l’action concertée issue de compétences, de légitimités et de références collectives nouvelles (Videira et al., 2006).
Après la mise en œuvre d’un processus participatif, il est important d'évaluer le niveau de satisfaction de celui-ci, et comprendre le niveau d’influence sur le processus de planification avec des résultats tangibles (Videira et al., 2009). Plusieurs auteurs ont proposé une approche participative à travers l’élaboration d’un catalogue détaillé des effets des processus participatifs (Goodin et Dryzek 2006 ; De Stefano, 2010 ; Kochskämper et al., 2016). Cette approche nécessite une phase exploratoire pour permettre de construire une liste de référence des effets possibles sur la base de la revue bibliographique et des entretiens exploratoires éventuels. Rey-Valette et al. (2018), quant à eux, ont proposé cinq étapes ainsi qu’il suit : (i) le choix d’un échantillon de dispositifs participatifs sur la base d’une typologie issue de l’analyse des différents dispositifs, (ii) la mobilisation d’une revue de bibliographie en vue de l’établissement d’un référentiel des types d’effets possibles, d’une grille d’entretien et d’une fiche d’évaluation multicritères, (iii) les entretiens à travers une sélection raisonnée des personnes à enquêter ayant une bonne capacité d’échange et de diversité des points de vue, (iv) le déroulement d’une enquête auprès des personnes identifiées et (v) l’organisation de la restitution des résultats dans le but de recueillir des propositions d’amélioration.
Selon Sorial et al., (2021), plusieurs auteurs ont montré qu’il n’existe pas de méthodologie standardisée et d'informations sur l'efficacité des différentes approches et sur la manière dont les processus participatifs sont menés. (Newig et Koontz, 2014 ; Boeuf et Fritsch, 2016 ; Kochskamper et al., 2016). Néanmoins, l'identification de la direction du processus, les groupes potentiels, les parties prenantes, le moment de leur prise en compte et les mécanismes de leur engagement sont des aspects essentiels à prendre en compte dans le processus (Videira et al., 2006 ; De Stefano, 2010 ; Porter et Birdi, 2018). En effet, l’implication des citoyens dans la gouvernance des ressources naturelles a prouvé que l’analyse de l’effet des approches participatives en termes de qualité du résultat, d’efficacité de la procédure mobilisée, d’ouverture des acteurs au débat et de prise en compte des réalités et contextes locaux requiert une démarche expérimentale d’analyse. Celle-ci est reconnue comme une approche holistique. Car elle permet de déjouer les biais que pourrait présenter une analyse sur le fond d’un processus au détriment de sa forme. L’analyse holistique considère que toute chose est entièrement ou fortement déterminée par le fond et la forme de l’ensemble dont il fait partie Brou (2019).
Brou (2019) propose une grille d’analyse des effets de la participation qui comporte quatre catégories d’effets à savoir : les effets contextuels, les effets procéduraux, les effets substantifs et les effets cognitifs (Habermas, 1986). Les effets contextuels traduisent les impacts des dispositifs participatifs sur le contexte social en lien au processus décisionnel. Les effets procéduraux relèvent des caractéristiques de la procédure décisionnelle. S’agissant des effets substantifs, il s’agit des impacts de la participation sur la qualité du résultat du processus décisionnel (Van den Hove, 2001). Ces trois catégories d’effets sont complétées par une quatrième complémentaire et relative aux effets cognitifs. Ceux-ci offrent un cadre d’expression aux parties prenantes pour leur meilleure participation aux débats sur les défis nouveaux qui apparaissent dans une société. Ces effets cognitifs trouvent leur fondement à travers la théorie de Habermas qui pense qu’« une norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d’accord (ou pourraient l’être) en tant que participants à une discussion pratique sur la validité de cette norme » (Habermas 1986 [1983], p. 87).
Dans la catégorie des effets contextuels, Brou (2014) affirme que l’impact doit s’analyser en termes de modifications positive ou négative des contextes socioculturel et socioéconomique dans lesquels s’inscrit tout programme, projet ou toute politique publique. La catégorie des effets procéduraux définit les caractéristiques de la procédure décisionnelle et non les résultats de la décision. Les instruments de procédure ou la manière dont on exécute le projet constitue un critère de performance du programme indépendamment des questions de fond ou de contenu.
S’agissant des effets substantifs, ils relèvent des impacts réellement observés sur la qualité du résultat du processus de décision. L’évaluation du processus de prise de décision est faite sur la base de la qualité des résultats (positifs ou négatifs) du point de vue environnemental, technique, économique et social.
De l’analyse des différentes approches évoquées, le jury de citoyens qui est une forme d’approche mobilisant un groupe de 12 à 25 personnes pour représenter le grand groupe dans les processus de prise de décision en termes de délibération sur des préoccupations a été retenu dans le cadre de cette étude. L’identification des jurés a tenu compte de la démarche participative pour évaluer sous forme d’item, les différentes catégories d’effets. Le choix de cette approche se justifie par le fait que, Brou (2019), l’a déjà exploré comme « proposition d’un cadre d’analyse à partir d’une expérimentation de terrain » dans les marais du village de Tano- Ehy en Côte d’Ivoire. Les deux écosystèmes sont tous des biens publics. Les acteurs autour de ces ressources naturelles sont presque identiques. L’approche de Brou (2019) qui trouve son fondement dans la grille (tableau 1) de Van den Hove (2001) et Habermas (1986) a été adaptée à cette étude afin d’évaluer les effets des modes de gestion d’aménagements hydroagricoles dans la vallée du Niger au Bénin.
Méthodologie
Zone d’étude et unités d’investigation
La vallée du fleuve Niger est située dans le département de l'Alibori à la limite nord du Bénin et du Niger sur la rive droite du fleuve (figure 1).
Le site de l’Union des groupements des producteurs du périmètre de Malanville (UGPPM) est le plus grand aménagement hydroagricole du Bénin avec une superficie de 516 hectares près de Malanville. Depuis 2011, s’est ajouté le Périmètre Sota avec une superficie exploitée de 400 hectares sur les 500 hectares disponibles. Au niveau des villages, il existe également des bas-fonds aménagés à l’intérieur desquels se sont développés l’irrigation privée à partir de 2008. Parmi ces villages, Garou et Toumboutou sont concernés par cette étude. Les modes de gestion ont été caractérisés à partir des investigations menées sur le terrain durant la période de novembre à décembre 2021 (tableau 2). L’UGPPM, le Périmètre Sota et les bas-fonds aménagés des villages de Garou et de Toumboutou représentent les ménages et les unités d’investigation. Chaque périmètre constitue une étude de cas compte tenu de leurs expériences, leur motivation et engouement dans la production rizicole principalement et secondairement dans le maraîchage. La plupart des projets de développement sont intervenus au niveau de ces périmètres hydroagricoles.
Collecte et analyse des données
Au total 96 participants, dont 24 femmes, ont pris part au processus participatif décisionnel dans l’ensemble des 4 périmètres que sont l’UGPPM, le Périmètre SOTA et au niveau des villages de Garou et de Toumboutou. Les jurés ont été sélectionnés de commun accord avec les membres des bureaux des différentes coopératives et faitières avec la collaboration de l’Agence territoriale pour le développement agricole (ATDA). On y retrouve également les élus locaux, les jeunes et les sages des différentes localités, les membres du Conseil d’administration ainsi que les membres des différentes coopératives, regroupant cinq groupes ethniques.
Le jury devait discuter sur la question suivante : « quel mode permettrait l’acquisition durable des facteurs de production du riz dans la vallée du Niger ? ». Au niveau de chaque périmètre hydroagricole, les échanges ont duré quatre jours pour chaque site : (i) le premier jour était consacré au rappel des résultats obtenus de l’étude (modalités d’accès) et échange sur le processus d’évaluation, (ii) le deuxième jour portait sur la présentation et la discussion de la méthodologie (approche de van den Hove, 2001 et Habermas, 1986), (iii) le troisième jour portait sur l’application de la grille d’évaluation et (iv) le quatrième jour permettait de présenter les résultats en termes d’effets observés, de les discuter avec les participants et de recueillir leurs impressions. Les discussions ont permis de recueillir des témoignages et des enseignements relatifs aux enjeux techniques, économiques, environnementaux et sociaux des différents aménagements hydroagricoles. Elles ont été structurées autour de trois modes (communautaire, privé et mixte) de gestion des aménagements hydroagricoles rencontrées prenant en compte les modalités d’accès aux facteurs de production dans la vallée du Niger.
L’analyse de la participation a été assurée par une équipe de recherche représentant les modérateurs. Lors des travaux sur le terrain, l’évaluation de la participation est faite à l’aide de la grille d’analyse en termes d’effets, en distinguant deux types d’effets : absolu et relatif (tableau 1).
L’effet absolu est le rapport entre le nombre d’effets réellement observés sur le nombre d’effets espérés. Il traduit l’écart entre dimension positive et dimension normative. Un rapport proche de 1 signifie qu’il y a eu une meilleure participation (participation active). La valeur des effets absolus de la participation correspond à la somme des effets évalués par l’ensemble des participants au processus.
Avec en = nombre d’effets réellement observés par l’acteur n,
E = nombre d’effets espérés,
n = nombre de participants.
L’effet relatif est le rapport entre le nombre d’effets réellement observés dans une catégorie sur le nombre d’effets espérés dans cette catégorie. Il traduit l’impact d’une dimension par rapport aux autres dimensions et permet de comparer l’impact des dimensions entre elles. La valeur relative des effets de la participation correspond à la somme des effets évalués par l’ensemble des participants au processus. Si la dimension substantive domine, on dira que la qualité intrinsèque de la décision est bonne. Si c’est la dimension contextuelle qui domine, on dira que le processus a pris en compte les réalités locales. La dimension procédurale traduit la mobilisation des moyens financiers, techniques, humains, et cetera. Enfin, la dimension cognitive traduit le degré d’ouverture du processus au débat. Il est important d’insister sur la pertinence de l’effet relatif d’un processus participatif (Brou, 2019).
L’application de la grille a consisté à trouver un consensus par item en termes d’effets observés ou non observés sur les quatre sites. Ensuite, le point des effets observés et non observés est fait par site (tableau 3). Enfin, le cumul des effets observés et non observés par site et par catégorie d’effets a été récapitulé pour apprécier la situation des différents types d’effets observés et non observés au niveau de la vallée du Niger au Bénin. Ces cumuls ont été utilisés pour réaliser avec Excel (figure 3).
Résultats
Modalités d’accès aux facteurs de production du riz dans la vallée du Niger
La diversification des activités agricoles et la gestion collective des ressources agricoles (figure 2) constituent des stratégies d’accès aux facteurs de production autour des aménagements hydroagricoles. Elles ont permis d’améliorer le revenu et l’investissement liés aux facteurs de productions, notamment l’eau, la main-d’œuvre, le crédit et les intrants. Le foncier irrigué et l’eau ne constituent pas une contrainte au niveau des aménagements collectifs. L’action collective à travers le capital social a permis une mutualisation entre les coopérateurs, favorisant ainsi l’accès aux ressources agricoles. Par contre, au niveau des villages, ces principaux facteurs de production sont gérés individuellement.
Processus d’évaluation des effets
Au terme des échanges au niveau de chacun des périmètres, la « gouvernance communautaire » a retenu plus d’attention de la part des participants présents. Plusieurs paramètres de la grille d’analyse ont permis de comprendre la décision des jurés. Ainsi, à l’issue des échanges au sein des jurés, il ressort que l’effet absolu estimé est 0,54 supérieur à la moyenne. Cela traduit une participation active dans l’ensemble des différents sites grâce à une modération et un consensus a été trouvé avec les jurés. Les résultats de la participation sont récapitulés dans le tableau ci-dessous.
Dans l’ensemble, il convient de retenir que les effets contextuels (0,6) sont plus observés. Cela traduit les dynamiques socio-économiques et culturelles au niveau des aménagements hydroagricoles. Grâce à la politique de développement de la petite irrigation, le nombre de cycles de production a été doublé, voire triplé (saison hivernale, la contre-saison). Les riziculteurs des villages et du Périmètre Sota ont développé des stratégies de résilience en organisant plusieurs productions rizicoles et maraîchères en rotation. Ensuite viennent respectivement les effets substantifs et cognitifs. Ceci s’explique par les connaissances traditionnelles, le savoir-faire des riziculteurs de la vallée du Niger dans le domaine de la riziculture et du maraîchage. Quant aux effets procéduraux (0,42), ils traduisent le non-respect des principes démocratiques caractérisé par le surendettement, le refus de participation aux travaux collectifs de réparation des canaux d’irrigation, de réparation de la station de pompage et le refus de paiement des redevances d’eau et d’engrais.
Analyse de l’évaluation du processus délibératif des différentes catégories d’effets
L’analyse des effets de la participation permet de qualifier la qualité du processus de décision relatif à un choix collectif de gestion. Cet effet est appelé « effet substantif » (Van den Hove, 2001), au sens où les critères d’analyse de la qualité décisionnelle relèvent de la performance environnementale et technique, la rentabilité économique et l’acceptabilité sociale de la décision (O’connor, 2006). La formation des riziculteurs sur les mesures d’adaptation au changement climatique à travers les techniques d’aménagement sommaire, les nouvelles techniques d’irrigation à l’aide des puits tubés et motopompes sont entre autres facteurs qui ont influencé les décisions des jurés.
Dans le cas de l’implication de la gouvernance sur les modalités d’accès aux facteurs de production dans la vallée du Niger, l’analyse de la démarche participative des acteurs au processus de définition des modalités d’accès montre que les effets cognitifs observés par les participants correspondent quasiment aux effets attendus par les jurés à Toumboutou, à l’UGPPM et au Périmètre Sota. De même, à Garou et toujours au Périmètre Sota, les effets substantifs observés correspondent aux effets espérés par les participants (figure 3). Lors du processus de choix du modèle de gestion sur les modalités d’accès aux facteurs de production, l’utilisation du jury de citoyens comme approche participative a permis aux acteurs de s’exprimer à travers des argumentaires solides et convaincants explicitant les points de vue et les divergences. Cela a permis d'améliorer non seulement la qualité de la source informationnelle du processus de décision, mais surtout d'améliorer l'usage qui peut être fait de ces informations. Le degré d’ouverture du dialogue entre participants témoigne de la pertinence des effets cognitifs observés sur les modalités d’accès aux facteurs de production. Le dialogue direct entre représentants locaux a permis de choisir un modèle de gestion acceptable, mais aussi de fournir aux participants les informations et des connaissances sur les attentes des riziculteurs de leur localité.
L’évaluation a permis de constater que les effets sur la qualité du modèle de gestion choisi sont conformes aux attentes des acteurs. Cette conformité entre dimension positive et dimension normative peut être un critère d’efficacité de la décision. Ainsi, on peut dire que l’approche participative à travers le jury du citoyen a permis la mise en œuvre de mesures efficaces du point de vue substantiel.
La quasi non-observation d’effets procéduraux pourrait s’expliquer par le manque d’organisation, la non-participation aux travaux collectifs des canaux d’irrigation, de la réparation des stations de pompage, le non-paiement des redevances, la mauvaise utilisation ou l’utilisation abusive de l’eau d’irrigation et surtout la non-organisation des assemblées générales de renouvellement des instances aussi bien au niveau des périmètres collectifs entraînant des conflits, parfois violents, et verbalement récurrents qu’au niveau des bas-fonds aménagés. Ces constats sont dus au non-respect des règles opérationnelles, collectives et constitutionnelles. Les facteurs sociopolitiques à travers les rapports de force des leaders politiques locaux permettent de comprendre la non-observation des effets procéduraux. Tout comme l’a souligné le Secrétaire général de l’UGPPM : « Si les travaux ne marchent sur les périmètres, c’est à cause de la politique et il en sera ainsi tant que les clivages politiques seront présents » (Secrétaire général de l’UGPPM, Malanville, novembre 2021).
La stratégie d’accès individuelle comme modalités d’accès aux facteurs de production en lien avec le mode de gouvernance privée pourrait être jugée inappropriée face aux contextes socioéconomiques dus aux changements climatiques. Or ce modèle de gouvernance peut avoir un éventuel impact positif sur le bien-être social des producteurs en général et des maraîchers en particulier localement (figure 3). Ce modèle a permis une amélioration sensible des conditions de vie des ménages depuis l’introduction de la technologie d’extraction de l’eau d’irrigation par les puits tubés à travers les motopompes. Désormais, au moins deux cycles de production sont possibles dans la vallée du Niger (maraîchage/riziculture ou riziculture pure). Dans ce contexte, on peut dire que ce sont les facteurs socioéconomiques et culturels dans lesquels se déroule le processus qui peuvent représenter des critères d’efficacité d’une approche participative. Il convient alors de tenir compte des éventuels impacts de la décision sur les systèmes socioculturels existant dans la communauté. Ce sont ces impacts qui appartiennent à la catégorie des effets contextuels, c’est-à-dire les effets qui ne sont pas directement liés à la pertinence de la décision, mais surtout au contexte social dans lequel s'inscrit le processus. Chaque localité est caractérisée par ses réalités sociologiques qui lui sont propres. Par ailleurs, sur le plan local, la capitalisation d’expérience sur le développement de la petite irrigation privée pour des produits à haute valeur ajoutée tels que le riz et les produits maraîchers peut être ainsi confirmée.
Discussion
Apprentissage et enseignements tirés de l’application de l’approche
Eu égard à tout ce qui précède, l’analyse de l’approche « jury de citoyens » mobilisée dans la gestion des aménagements hydroagricoles de la vallée du Niger a porté sur les outils méthodologiques, les faits communautaires, la qualité de la décision, le degré de raisonnement, de discussion et d’accès aux informations. Tous ces critères sont tirés des quatre catégories d’effets de la grille. Dans la gouvernance des ressources naturelles, il est important de tenir compte des préférences individuelles pour déterminer les modes de gouvernance collective. Dans ce processus, les antagonismes apparaissent suivant plusieurs catégories d’acteurs compte tenu de leur statut social. D’abord, ceux qui souhaitent une gestion communautaire et ceux qui préfèrent une gestion plus souple, avec des règles bien définies, ou encore ceux qui souhaitent une synergie d’intervention autour d’un bien public. Cette démarche permet de repenser le choix collectif selon les seuls critères des acteurs. Il est donc important de traiter toute situation de choix par un processus de production sociale de connaissances, préalable à une procédure de décision collective (Brou, 2019). Ce point de vue cadre avec le constat sur le terrain concernant le mode de gouvernance le plus efficace par rapport aux trois scénarios évalués. Cette conclusion traduit également le point de vue d’une autorité locale qui s’exprimait en ces termes dont l’identité est donnée par les initiales de son nom et prénom : « Bien que la gestion communautaire soit le modèle idéal, il serait intéressant de laisser le modèle individuel tel qu’il s’observe dans les villages en attendant qu’on trouve la bonne formule pour leur orientation vers le modèle communautaire » (G.G., novembre 2021).
Contrairement à certaines démarches qui ont pour objectif de prioriser les enjeux d’acteurs dans les rapports de force en présence (Plottu, 2015), l’objectif de notre démarche est de déterminer comment les acteurs perçoivent les modèles de gestion des différents aménagements hydroagricoles. Il a été question de montrer qu’il n’existe pas de modes de gestion qui soit plus efficients que d’autres. Plutôt qu’il existe simplement des modèles de gestion qui sont efficients en fonction des contextes, des besoins et des réalités spécifiques aux localités, aux objets, aux attentes et enjeux de gouvernance, aux acteurs et aux décideurs.
Les résultats de l’étude ont montré l’efficacité de la gestion individuelle au niveau de Toumboutou, Garou et du Périmètre Sota, contrairement à l’UGPPM où la gestion communautaire montre l’inefficacité de ce mode de gestion. Ce constat confirme les résultats de Ostrom (2010) qui a prouvé l’inefficacité de certains modes de gouvernance dans certaines situations alors que ces mêmes modes ont été efficaces dans bien d’autres situations. Cela pointe du doigt les différentes catégories d’effets observés en fonction des différents modes de gestion des aménagements hydroagricoles de la vallée du Niger. En effet, la présence de l’autorité publique est indispensable quel que soit le mode de gestion des aménagements pour faire respecter les règles de gestion aux membres des coopératives. Cette présence de l’État permet également de faire la différence entre la gestion commune et le libre accès qui perdure. Malheureusement, il est observé l’absence de l’État dans la gestion des aménagements hydroagricoles dans cette vallée. Ces constats nuancent le manque de prise en compte de la complexité des contextes sociopolitiques au sein desquels les modes de gestion sont mis en œuvre au niveau des acteurs. Ceux-ci n’ont forcément pas, ni la même capacité, ni le même intérêt à participer au processus de prise de décision, à se l’approprier et à en influencer le cours (Barnaud et al., 2016).
Nos résultats confirment le caractère multidimensionnel des effets des dispositifs participatifs, avec un éventail de plusieurs critères dans les différentes catégories d’effets observés. Cette pluralité d’effets constitue un résultat important. Toutefois, certaines critiques méritent d’être évoquées compte tenu des conditions d’application de la grille d’analyse exploitée. En effet, les dispositifs participatifs devraient être organisés à travers plusieurs ateliers au niveau des sites, ce qui n’a pas été le cas. Ce biais pourrait influencer la légitimité et la représentativité des participants, quand bien même le quota des jurés est respecté. En ce qui concerne la liste des critères d’analyse par catégorie, l’idéal serait que cette liste soit définie de façon participative par catégorie d’effets, en fonction des objectifs à atteindre de la politique agricole en cours en termes de défis ou enjeux (sécurité alimentaire, amélioration du niveau de revenu monétaire et paix ou cohésion sociale avec prise en compte du genre par exemple) et assortie d’une échelle de Likert1 par item. Ainsi, chaque participant devrait procéder à l’évaluation en fonction de cette grille sur la base de consensus et non par vote. Cette démarche est contraire à celle recommandée par Goodin et Dryzek (2006), qui demande l’élaboration d’un « catalogue détaillé » des effets des processus participatifs. Il aurait d’abord fallu construire une liste de référence des effets possibles sur la base de la revue bibliographique et des entretiens exploratoires éventuels. Il convient donc de souligner que notre démarche d’évaluation est contraire à celle de Rey-Valette et al., (2018) qui proposent cinq étapes : (i) le choix d’un échantillon de dispositifs participatifs sur la base d’une typologie issue de l’analyse des différents dispositifs, (ii) la mobilisation d’une revue de bibliographie en vue de l’établissement d’un référentiel des types d’effets possibles, d’une grille d’entretien et d’une fiche d’évaluation multicritères, (iii) les entretiens à travers une sélection raisonnée des personnes à enquêter ayant une bonne capacité d’échange et de diversité des points de vue, (iv) l’organisation des enquêtes et (v) l’organisation de la restitution des résultats dans le but de recueillir des propositions d’amélioration. Ces constats confirment les résultats de Soria et al. (2021) qui concluent qu’il n’existe pas de méthodologie normalisée et de données sur l'efficacité des différentes approches et sur la manière dont les processus participatifs se sont déroulés (Newig et Koontz, 2014 ; Boeuf et Fritsch, 2016 ; Kochskämper et al., 2016). Toutefois, l'identification de la direction du processus, les groupes potentiels, le moment de leur prise en compte et les instruments de mécanismes de leur contrat d’engagement sont des éléments importants dont il faut tenir compte dans le processus (Videira et al., 2006 ; De Stefano, 2010 ; Porter et Birdi, 2018).
En effet, l’implication des jurés dans la gouvernance des ressources naturelles a prouvé que l’analyse de l’effet des approches participatives en termes de qualité du résultat, d’efficacité de la procédure mobilisée, d’ouverture des acteurs au débat et de prise en compte des réalités et contextes locaux requiert une démarche d’analyse holistique abordant aussi bien l’analyse des enjeux et des objectifs du processus que les formats de mise en œuvre. L’analyse holistique considère que toute chose est entièrement ou fortement déterminée par le fond et la forme de l’ensemble dont il fait partie Brou (2019). Ce travail s’inscrit dans une perspective de recherche fondamentale qui pose la question d’efficacité, de discursivité, de contextualisation et de légitimité des approches participatives. Nos conclusions sont similaires à celles de Brou (2019) avec des nuances à apporter concernant l’analyse au vu de certains biais observés dans l’application de l’approche. En effet, la typologie proposée laisse entrevoir de fortes interrelations entre les différentes catégories. Un effet peut exprimer au-delà d’une seule dimension. Par exemple, dans un processus participatif, le critère « meilleur partage de l’information à la base » qui appartient à la catégorie des effets cognitifs, pourrait aussi bien appartenir à la catégorie des effets substantifs. C’est le cas des connaissances ancestrales et des savoirs endogènes des riziculteurs et maraichers de la banlieue du milieu d’étude. Il en est de même[1] des différents argumentaires ressortis par les jurés quant aux avantages socio-économiques et culturels de l’introduction de la petite irrigation dans la vallée du Niger au Bénin.
Compréhension des différentes catégories d’effets
Trois modes de gestion des aménagements hydroagricoles coexistent dans la vallée du Niger au Bénin. En effet, l’utilisation de la petite irrigation privée a permis l’augmentation de la productivité, de la production, du revenu au niveau de l’exploitation et surtout l’amélioration de l’état nutritionnel, du logement, des moyens de déplacement et de scolarisation des enfants. Ces constats sont souvent les preuves des effets contextuels observés comme l’ont reconnu la plupart des riziculteurs et maraîchers bénéficiaires des kits d’aménagement composés de motopompes et accessoires et de puits tubés (forages) dans la vallée du Niger. Ce résultat confirme les effets contextuels proposés par Van den Hove (2001).
Au-delà des effets contextuels observés, on peut également penser aux effets cognitifs qui traduisent le degré d’ouverture des participants. Cette ouverture traduit la présence des facteurs d’influence tels que les anciennes pratiques de financement de la production du paddy et d’oignon surtout en période d’inondation par les Nigérians et Nigériens. De même, l’organisation de plus de deux campagnes de production rizicole témoigne de la maîtrise des techniques ancestrales et améliorées de production. Tous ces paramètres ont favorisé l’émergence et le développement de ces filières (riz et maraîchage) dans la vallée du Niger. Ces facteurs constituent ainsi des sources d’informations pertinentes à la génération actuelle et future. De même, ces ouvertures d’échange entre représentants locaux ont permis le choix du modèle de gestion acceptable capable de mettre à la disposition des participants des informations et des connaissances sur leurs attentes. Ici également, les résultats de l’étude sont similaires à la définition des effets cognitifs proposés par Habermas (1986).
Par ailleurs, de l’analyse de la figure 3, il est noté un écart relativement grand entre les effets procéduraux observés et les effets procéduraux espérés. Ce constat nous permet aisément de tirer la conclusion selon laquelle l’approche participative n’a pas eu la dimension procédurale requise. Cette même conclusion est confirmée par le calcul de l’effet relatif procédural (0,27). Cela peut, par exemple, se traduire par un déficit de moyens organisationnels dans la mise en œuvre du processus participatif. Comme l’a souligné l’un des participants lors des travaux sur le terrain : « toutes les difficultés que nous rencontrons sur le périmètre sont essentiellement dues au non-respect des textes fondamentaux, ayons le courage de reconnaître la vérité en face : c’est la politique » (Secrétaire général de l’UGPPM, novembre 2021).
Autrement dit, l’écart relatif observé s’explique par le non-respect des principes démocratiques, par conséquent au non-respect des règles opérationnelles, collectives et constitutionnelles (Ostrom, 1990). Ce phénomène est généralisé dans la vallée du Niger. Il serait utile qu’une analyse plus approfondie de la situation dans cette vallée se concentre sur l’influence des enjeux sociopolitiques à travers les différents rapports de forces en présence. Sur le plan procédural, des dispositions règlementaires sur l’utilisation des eaux souterraines pour la riziculture et le maraîchage sont prévues par l’administration publique à travers un cadre réglementaire et législatif. Les lois existent mais sont très peu connues aussi bien par les cadres de l’administration que par les usagers locaux. Ceci prouve une ambiguïté juridique autour des droits d’usage des ressources hydroagricoles de la part des acteurs locaux et une confusion sur le libre accès des ressources en eau souterraine. Ces faits conduisent inévitablement à la surexploitation irresponsable de ces ressources hydriques. Il s’avère indispensable de faire prendre conscience aux usagers des périmètres irrigués et des bas-fonds aménagés des risques de pollution des nappes phréatiques (donc de l’eau potable), conséquence de l’utilisation abusive de cette ressource hydroagricole. Une proposition de contrats de nappe[2] entre l’administration locale et les entreprises privées qui installent anarchiquement les puits manuels tubés sans aucune autorisation permettrait, grâce à cette approche participative, de réduire les différents conflits observés au niveau de ces écosystèmes. Grâce à la règlementation, le nombre d’affaires révélées par les médias liées aux détournements de fonds publics au profit des intérêts d’individus ou d’organisations privés pourrait être réduit. Cela confirme nos observations sur le manque d’instruments de contrôle à propos de l’utilisation des redevances perçues sur l’eau d’irrigation dans les différents périmètres. Cette conclusion traduit également la définition des effets procéduraux tels que décrits par Van den Hove (2001).
L’ensemble de ces observations tend à montrer que l’approche « jury de citoyens » mobilisée dans la gestion des aménagements hydroagricoles de la vallée du Niger a eu une influence sur les outils méthodologiques, les faits communautaires, la qualité de la décision, le degré de raisonnement, de discussion et d’accès aux informations. Tous ces constats sont issus des quatre catégories d’effets de la grille d’analyse (Van den Hove, 2001). Notre travail contribue à montrer l’efficacité, la discursivité, le besoin de contextualisation et la légitimité des approches participatives. Nos conclusions sont similaires à celles de Brou (2019) avec des nuances concernant l’analyse au vu de certains biais observés dans l’application de l’approche. En effet, les biais observés pourraient avoir leur origine depuis la méthodologie à travers le choix des jurés. Le choix des jurés n’a tenu compte d’aucun critère ni indicateur d’appréciation de leur représentativité et de leur légitimité. Les outils de collecte de données par catégorie d’effets devraient être conçus de façon participative en vue de leur appropriation par les jurés. De même, la mise en œuvre de la démarche pourrait se dérouler en travaux de groupes suivis des plénières. Ceci permettrait de rehausser davantage la qualité des discussions. Tous ces constats pourraient expliquer les erreurs constatées dans la mise en œuvre et par conséquent pourraient être considérés comme des limites de l’approche dans le cadre de cette étude.
Conclusion
Cette recherche confirme l’intérêt des approches participatives concernant la gestion des ressources naturelles du fait des effets évalués et propose une méthodologie d’évaluation empirique de ces effets. Cette démarche s’est avérée pertinente pour mesurer l’impact de la participation sur les processus de prise de décision. L’innovation de cette approche tient à son caractère global permettant d’appréhender la diversité des effets induits par les approches participatives avec quatre dimensions et en tenant compte des interactions entre ces dimensions. La prise en compte d’une dimension cognitive en plus des autres dimensions contextuelle, procédurale et substantive a permis de montrer l’intérêt du dialogue, de l’argumentation sur la base des connaissances, des expériences et des savoirs différents. Ainsi, pour qu’une participation soit efficace, il est indispensable de confronter les différents points de vue à travers des débats de qualité afin de trouver un consensus. Enfin, cette recherche permet d’ouvrir de nouvelles perspectives scientifiques en montrant l’intérêt d’intégrer des jurys de citoyens dans les politiques publiques environnementales.
Parties annexes
Notes
-
[1]
L'échelle de Likert s'utilise généralement dans la recherche par enquête. Elle permet de mesurer les attitudes des personnes interrogées en leur demandant dans quelle mesure elles approuvent ou non une déclaration. Une échelle de Likert pourrait être « très d'accord, d'accord, indécis en désaccord, en désaccord total ».
-
[2]
Le contrat de nappe est document qui définit de façon explicite l’exploitation d’une ressource naturelle entre les usagers et l’État ou une autorité de régulation. Dans ces conditions, l’Etat est signataire du document. Il peut être implicite, à travers un agrément ou la reconnaissance des statuts, la participation aux instances de gouvernance, l’attribution d’avantages divers comme l’accès à certaines incitations, subventions ou autres services. L’État a donc un rôle important à jouer pour mettre en place le cadre réglementaire, tarifaire, de contrôle, d’incitation, et cetera pour assurer une meilleure gestion décentralisée. Il peut retirer ses droits s’il juge que la gestion pratiquée par les usagers n’est pas conforme aux principes de durabilité, équité, domanialité de la ressource naturelle, et cetera.
Bibliographie
- Barbier R., C. Larrue, 2011, Démocratie environnementale et territoires : un bilan d’étape. Participations, pp. 67–104.
- Barnaud C., P. d’Aquino, W. Daré et R. Mathevet, 2016, Dispositifs participatifs et asymétries de pouvoir : expliciter et interroger les positionnements. Participations, pp. 137–166.
- Beuret J.-E., 2006, La conduite de la concertation pour la gestion de l’environnement et le partage des ressources, L’harmattan, 340 p.
- Beuret J.-E., A. Cadoret, 2015, La participation citoyenne à l’action publique : construire des décisions ou un capital pour l’action. Revue canadienne des sciences régionales, 38, pp. 21–28.
- Boeuf B., O. Fritsch, 2016, Studying the implementation of the water framework directive in Europe: a meta-analysis of 89 journal articles, Ecology and society . 21, 2, pp. 408-428.
- Borrini-Feyerabend G., M. Pimbert, M.T. Farvar, A. Kothari et Y. Renard, 2004, Sharing power: learning by doing in co-management throughout the world. Lond. IIED IUCNCEESPCMWG Cenesta.
- Brou E., 2014, Gouvernance des ressources naturelles : contribution méthodologique d’une démarche multicritère à composante délibérative. Application au projet de définition du plan de gestion des marais côtiers Tanoé-Ehy, thèse de doctorat, Économie, Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines, Guyancourt, 430 p.
- Brou E., 2019, Empowerment et gestion des ressources naturelles : comment évaluer l’efficacité des approches participatives? Proposition d’un cadre d’analyse à partir d’une expérimentation de terrain, [En ligne] URL : https://hal.science/hal-02266836/document
- Carayannis E.G., D.F. Campbell, 2010, Triple Helix, Quadruple Helix and Quintuple Helix and how do knowledge, innovation and the environment relate to each other?: a proposed framework for a trans-disciplinary analysis of sustainable development and social ecology, International journal of social ecology and sustainable development , 1, pp. 41–69.
- Carr G., 2015, Stakeholder and public participation in river basin management—An introduction, Wiley interdisciplinary reviews, Water , 2, pp. 393–405.
- Chambers R., 1994, Paradigm shifts and the practice of participatory research and development, dans Nelson, N. et S. Wright, (Eds), Power and Participatory Development: Theory and Practice , Intermediate Technology Publications, London, pp. 30-42.
- Crowley S.L., S. Hinchliffe et R.A. McDonald, 2016, Invasive species management will benefit from social impact assessment, Journal of applied ecology , 14, 2, pp. 351-357.
- D’Aquino P., 2007, Empowerment et participation : comment mieux cadrer les effets possibles des démarches participatives? Proposition d’un cadre d’analyse à partir d’une synthèse bibliographique, CIRAD, 30 p.
- De Stefano L., 2010, Facing the water framework directive challenges: A baseline of stakeholder participation in the European Union, Journal of environmental management , 91, pp. 1332–1340.
- Faure G., Y. Desjeux et P. Gasselin, 2010, Synthèse bibliographique des recherches sur le conseil en agriculture à travers le monde, dans: ISDA 2010-International Symposium on "Innovation & Sustainable Development in Agriculture and Food". 24 p.
- Goodin R-E, J-S Dryzek, 2006, Deliberative impacts: the macro-political uptake of mini-publics. Politics and society , 34, 2, pp. 219-244.
- Gray S., R. Jordan, A. Crall, G. Newman, C. Hmelo-Silver, J. Huang, W. Novak, D. Mellor, T. Frensley et M. Prysby, 2017, Combining participatory modelling and citizen science to support volunteer conservation action. Biological conservation, 208, pp. 76–86.
- Habermas J., 1986, Morale et Communication, Paris, Les Editions du Cerf, 416 p.
- Hand B.K., C.F. Flint, C.A. Frissell, C.C. Muhlfeld, S.P. Devlin, B.P. Kennedy, R.L, Crabtree, W.A. McKee, G. Luikart et J.A. Stanford, 2018, A social–ecological perspective for riverscape management in the Columbia River Basin, Frontiers in ecology and the environment, 16, S23–S33.
- Houngue V., G.M.A. Nonvid, 2021, Une estimation des déterminants de l’efficacité des riziculteurs au Benin : une étude de cas des départements du Mono et du Couffo, [En ligne] URL : https://aercafrica.org/old-website/wp-content/uploads/2021/07/PB744fre.pdf
- Jorda-Capdevila D., B. Rodríguez-Labajos et M. Bardina, 2016, An integrative modelling approach for linking environmental flow management, ecosystem service provision and inter-stakeholder conflict, Environmental modeling et software , 79, pp. 22–34.
- Kallis G., N. Videira, P. Antunes, A.G. Pereira, C.L. Spash, H. Coccossis, S.C. Quintana,, L. del Moral, D. Hatzilacou et G. Lobo, 2006, Participatory methods for water resources planning, Environment planning C: Politics and space , 24, pp. 215–234.
- Kochskämper E., J. Newig, E. Challies et N.W. Jager, 2016, Participation for effective environmental governance? A comparative study of European water policy implementation in Germany, Spain and the United Kingdom. Journal of Environmental management, 181, pp. 737–48.
- Maman A.R., J. Egah et M.N. Baco, 2022, Au-delà du rôle régalien de l’État dans la gestion des conflits autour des aménagements hydro agricoles de la vallée du Niger au Bénin. VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, [En ligne] URL : https://journals.openedition.org/vertigo/36518
- Mukhtarov F., C. Dieperink et P. Driessen, 2018, The influence of information and communication technologies on public participation in urban water governance: A review of place-based research. Environmental science policy , 89, pp. 430–438.
- Newig J., T.M. Koontz, 2014, Multi-level governance, policy implementation and participation: the EU’s mandated participatory planning approach to implementing environmental policy , Journal of European public policy , 21, pp. 248–267.
- O’connor M., 2006. Le modèle de la démocratie délibérative, Guyancourt, C3ED. 48 p.
- Ostrom E., 2010, Gouvernance des biens communs : pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Éditions de Boeck, Paris, 304 p.
- Ostrom E., 1998, Abehavioral approach to the rational choice theory of collective action, APS Review , 1, 92. pp. 1-22.
- Pain R., 2004, Social geography: participatory research, Progress in human geography , 28, pp. 652–663.
- Pimbert M., 2004, Natural resources, people and participation. International institute of environment and development, [En ligne] URL : https://www.iied.org/sites/default/files/pdfs/migrate/G02104.pdf
- Porter J.J., K. Birdi, 2018, 22 reasons why collaborations fail: Lessons from water innovation research, Environmental science and policy , 89, pp. 100–108.
- Quevauviller P., 2011, WFD River Basin management planning in the context of climate change adaptation — policy and research trends, European Water , 34, pp. 19–25.
- Razzaque J., 2009, Public participation in water governance, dans The evolution of the law and politics of water , Springer, pp. 353–371.
- Reed M.S., 2008, Stakeholder participation for environmental management: a literature review , Biological Conservation , 141, pp. 2417–2431.
- Rey-Valette H., J.E. Beuret et A. Richard-Ferroudji, 2018, Des indicateurs pour identifier les effets des démarches participatives : Application au cas du département du Gard, Revue d’économie régionale et urbaine, pp. 5–32.
- Rey-Valette H., S. Mathé, 2012. L’évaluation de la gouvernance territoriale. Enjeux et propositions méthodologiques, Revue d’économie régionale et urbaine, pp. 783–804.
- Soria M., N. Bonada, A. Ballester, I. Verkaik, D. Jordà-Capdevila, C. Solà, A. Munné, S.-M. Jiménez-Argudo, P. Fortuño et F. Gallart, 2021. Adapting participatory processes in temporary rivers management. Environmental science and policy, 120, pp. 145–156.
- Van den Hove S., 2001, Approches participatives pour la gouvernance en matière de développement durable: une analyse en termes d’effets, Guyancourt, C3ED, 38 p.
- Verkerk P.J., A. Sánchez, S. Libbrecht, A. Broekman, A. Bruggeman, H. Daly-Hassen, E. Giannakis, S. Jebari, K. Kok et A. Krivograd Klemencic, 2017, A Participatory Approach for Adapting River Basins to Climate Change, Water , 9, p. 958.
- Videira N., P. Antunes et R. Santos, 2009, Scoping river basin management issues with participatory modelling: the Baixo Guadiana experience, Ecological economics , 68, pp. 965–978.
- Videira N., P. Antunes, R. Santos et G. Lobo, 2006, Public and stakeholder participation in European water policy: a critical review of project evaluation processes, European environment, 16, pp. 19–31.
- Wehn U., M. Rusca, J. Evers et V. Lanfranchi, 2015, Participation in flood risk management and the potential of citizen observatories: A governance analysis, Environmental science and policy, 48, pp. 225–236.