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La revue électronique en sciences de l’environnement
Volume 21, numéro 3, décembre 2021 Les mondes agricoles face au problème des pesticides : compromis, ajustements et négociations Sous la direction de Ève Bureau-Point, Carole Barthélémy, Elise Demeulenaere, Dimi Theodore Doudou et Delphine Thivet
Sommaire (19 articles)
Les mondes agricoles face au problème des pesticides : compromis, ajustements et négociations
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Les mondes agricoles face au problème des pesticides. Compromis, ajustements et négociations. Introduction au dossier
Eve Bureau-Point, Carole Barthélémy, Elise Demeulenaere, Dimi Theodore Doudou et Delphine Thivet
p. 1–9
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Proximité entre riverains et pesticides en territoire de grandes cultures. Visibilité et invisibilité des micro-adaptations agricoles
Mathilde Hermelin-Burnol et Thibaut Preux
p. 1–33
RésuméFR :
L’objet de cet article est d’interroger comment la proximité des riverains (entendus comme résidents limitrophes et promeneurs) avec les traitements aux pesticides affecte les pratiques d’agriculteurs. Nous étudions les adaptations et ajustements qu’elle entraîne au-delà de ce qui a été rendu obligatoire avec les zones non traitées (ZNT) fin 2019. Nous mobilisons la complémentarité entre un travail de terrain et une analyse spatiale par système d'information géographique (SIG) à l’échelle de l’aire urbaine de Poitiers, région agricole française de grandes cultures. Nous montrons que la rareté des conflits s’accompagne néanmoins de tensions ressenties par les agriculteurs. Les micro-ajustements temporels et spatiaux constatés traduisent une volonté d’éviter le contact avec les riverains lors de traitements. Finalement, ces adaptations prennent peu la forme d’écologisation des pratiques, dans un contexte où les pesticides sont réduits à la notion de nuisance agricole. Elles servent principalement à anticiper des tensions redoutées localement. Ces ajustements témoignent d’une prise en compte à une échelle parfois très fine des riverains par les agriculteurs.
EN :
This article examines how the proximity of neighbouring populations (immediate residents and walkers) to pesticide treatments affects farmers' practices. We study the adaptations and adjustments that it induces over and above 2019's mandatory no-treatment zones (NTZ). We mobilize the complementarity between field work and spatial analysis by GIS at the scale of the urban area of Poitiers agricultural region of grain crops. This work is located in arable farming areas - a seldom studied area whose low spatial roughness may allow new forms of adaptation. We show that the scarcity of conflicts is however associated with tensions felt by the farmers. The temporal and spatial micro-adjustments observed reflect a desire to avoid contact with local residents during pesticide treatments. Eventually, these adaptations do not take the form of greening practices. In this context, pesticides are regarded as an agricultural nuisance. Thus, these adjustments mainly serve to anticipate locally feared tensions. They show that farmers consider the people living in the vicinity of their farms, sometimes on a very small scale.
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Protection de la ressource en eau du bassin de l’Auxerrois et transformation des pratiques agricoles
Simon Calla, Sébastien Dassé, Lou Lécuyer et Juliette Young
p. 1–28
RésuméFR :
Avec des taux de nitrates dépassant les seuils définis par la Directive européenne « nitrates », puis la présence de résidus de pesticides utilisés par les activités agricoles du secteur, l’eau des bassins d’alimentation de captages de l’Auxerrois fait l’objet de préoccupations depuis une trentaine d’année. C’est ainsi qu’à la fin des années 1990, les représentants des pouvoirs publics ont choisi de mettre en place une démarche préventive passant par un travail de transformation des pratiques agricoles. Notre article analyse comment la prise en charge collective de cette situation participe à la configuration des relations entre représentants des pouvoirs publics, agriculteurs et défenseurs de l’environnement. Nous montrons que le lien avec les élus locaux et la création d’une association faisant la promotion de l’agriculture de conservation des sols ont, dans un premier temps, permis à certains exploitants de définir les solutions à adopter dans le cadre de cette démarche. L’étude fait également apparaître que l’observation de résidus de pesticides dans les eaux destinées à la consommation humaine à partir du milieu des années 2000 produit un nouveau cadrage de la situation. C’est alors qu’émerge une opposition entre les tenants de l’agriculture de conservation des sols et ceux de l’agriculture biologique.
EN :
With nitrate levels exceeding the thresholds defined by the European "nitrates" Directive, and the presence of pesticide residues used by the sector's agricultural activities, the water in the catchment areas of the Auxerrois has been the subject of concern for some thirty years. Thus, at the end of the 1990s, the representatives of the public authorities chose to set up a preventive approach involving the transformation of agricultural practices. Our article analyzes how the collective assumption of responsibility for this situation contributes to the configuration of relations between representatives of public authorities, farmers and environmentalists. We show that the link with local elected officials and the creation of an association promoting soil conservation agriculture initially enabled some farmers to define the solutions to be adopted in this approach. The study also shows that the observation of pesticide residues in water intended for human consumption from the mid-2000s onwards produced a new framing of the situation. It is then that an opposition between the supporters of soil conservation agriculture and those of organic agriculture emerges.
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L’utilisation de pesticides fait-elle partie des stratégies d’adaptation au changement climatique ? Analyse exploratoire dans le Fossé rhénan (France-Allemagne)
Gaël Bohnert et Brice Martin
p. 1–41
RésuméFR :
Alors que les conséquences des changements climatiques sont de plus en plus visibles et ne peuvent plus être totalement évitées, l’usage des pesticides en agriculture fait l’objet d’une profonde remise en cause, du fait de ses conséquences environnementales, économiques et sanitaires. L’agriculture est donc soumise à un double défi : s’adapter au changement climatique, et évoluer vers un modèle moins dépendant des pesticides. Ces enjeux sont particulièrement prégnants dans le Fossé rhénan, un espace transfrontalier partagé entre la France et l’Allemagne. En effet, cet espace où les conséquences des changements climatiques pourraient être exacerbées voit se côtoyer modèles traditionnels à forte utilisation de pesticides (grandes cultures intensives et viticulture réputée) et productions issues de l’agriculture biologique et de la biodynamie, surtout en viticulture. Le contexte local pourrait donc constituer une injonction à l’écologisation des pratiques agricoles. Or la réduction des traitements phytosanitaires et l’adaptation aux changements climatiques sont des objectifs parfois contradictoires, même si de nombreuses stratégies permettent de concilier les deux. Pour éclairer ce paradoxe, et comprendre le rôle des frontières multiples dans cet espace, on s’est appuyé sur la comparaison entre les filières (grandes cultures et viticulture) d’une part, et entre les pays (France et Allemagne) d’autre part. Ceci nous a permis de mettre en évidence les accélérateurs et les freins techniques, réglementaires, voire culturels à la mise en oeuvre de stratégies gagnant-gagnant d’une transition agricole hétérogène et plutôt complexe.Les agriculteurs cherchent en effet à concilier différents objectifs, l’adaptation au changement climatique et/ou son atténuation, la réduction de l’usage des pesticides et la préservation de la biodiversité. Certes, cela est parfois utilisé comme un argument commercial, mais relève aussi souvent d’une réelle conviction personnelle pour laquelle les interactions sociales jouent un rôle important : informations diffusées par les organismes agricoles, échanges entre agriculteurs, réflexions et expérimentations personnelles, et expériences à l’étranger. Le contexte transfrontalier du Fossé rhénan prend toute son importance et, malgré les frontières multiples, favorise la prise de décision face aux enjeux environnementaux.
EN :
While the consequences of climate change are becoming more and more visible and it is not possible anymore to avoid them, pesticides use in agriculture is subject to a profound call into question due to environmental, economic and sanitary reasons. Agriculture is thus confronted with a double challenge: adapting to climate change and evolving towards less dependence on pesticides. These stakes are particularly significant in the Rhine Valley. Indeed, in this space where the consequences of climate change could be intense, traditional models with high pesticide use (intensive crop cultivation and reputed wine growing) cohabit with organic and biodynamic farming productions, mostly in wine growing. The local context could thus form an injunction to ecologically improve agricultural practices. Yet, decreasing pesticides use and adapting to climate change are sometimes contradictory objectives, even if many strategies allow reconciling both. To enlighten this paradox and understand the role of multiple borders in this cross-border space, we based on the comparison between sectors (crop cultivation and wine-growing) on the one side, and between countries (France and Germany) on the other side, to bring out the technical, regulatory, even cultural accelerators and obstacles to the implementation of these win-win strategies of a heterogeneous and rather complex agricultural transition: farmers indeed seek to reconcile different objectives, adaptation to climate change and/or its mitigation, decrease in pesticides use and preservation of biodiversity. Certainly, this is sometimes used as a commercial argument. Still, it also has to do with a real personal conviction for which social interactions play an important role: information spread by the agricultural organizations, exchanges between farmers, personal reflections and trials, and experiences abroad. The cross-border context of the Rhine Valley takes all its importance and, in spite of multiple borders, favours decision-taking facing environmental stakes.
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Entre éthique dharmique et pratiques agraires productivistes, usage des pesticides chez les Bishnoï du Rajasthan
Maria Mélanie Chauveau
p. 1–27
RésuméFR :
Les Bishnoï sont les membres d’une communauté religieuse fondée au XVe siècle dans le désert de Thar, dans l’État indien du Rajasthan Établie originellement sur 29 préceptes dont plusieurs codifient les relations aux autres vivants, animaux et végétaux, leur doctrine religieuse, le bishnoïsme, prescrit une éthique de vie dans laquelle avoir de la compassion à l’égard de tous les vivants (jīv) et éviter de leur porter préjudice sont des principes primordiaux. Majoritairement agriculteurs, les Bishnoï font face de nos jours à de profondes transformations induites par la modernité et l’intensification de leur agriculture (extension des systèmes d’irrigation, utilisation de machines, d’engrais et de pesticides).À partir d’une étude ethnographique, cet article interroge les dilemmes éthiques et religieux engendrés par l’utilisation de pesticides destructeurs d’organismes vivants. Il rend compte des arrangements à l’oeuvre pour concilier des pratiques agricoles nouvelles en contradiction avec des principes fondateurs.
EN :
The Bishnoi are members of a religious community founded in the 15th century in the Thar Desert of Rajasthan. Originally based on 29 precepts, many of which codify relationships with other living beings, animals and plants, their religious doctrine, Bishnoism, prescribes an ethic of life in which compassion for all living beings (jīv) and avoidance of harm to them are paramount principles. Mostly farmers, the Bishnoi are nowadays facing profound transformations brought about by modernity and the intensification of their agriculture (extension of irrigation systems, use of machinery, fertilizers and pesticides).Based on an ethnographic study, this article examines the ethical and religious dilemmas generated by the use of pesticides that destroy living organisms. It documents undergoing arrangements to reconcile emerging practices in contradiction with founding principles.
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Pesticides et reconfigurations du « bien vivre » au Chiapas, Mexique
Mounia El Kotni
p. 1–19
RésuméFR :
À partir d’une enquête ethnographique dans l’État du Chiapas auprès de sages-femmes traditionnelles ainsi que d’associations agissant sur la thématique environnementale et du droit des femmes, cet article analyse la présence de la métaphore vie/mort dans les récits autour des pesticides et de la dégradation de l’environnement. Ce lexique s’inscrit dans la philosophie indigène du « bien-vivre » et se retrouve particulièrement dans les discours des femmes qui ont à charge les soins indispensables à la reproduction de la vie (travail procréatif, soins aux membres de la famille et aux êtres vivants non humains, connaissance des plantes médicinales). Au Mexique, plus d’une centaine de pesticides potentiellement dangereux sont toujours autorisés. Cet article montre comment, dans le Chiapas, où l’expérience politique d’un « autre monde » des Zapatistes infuse les pratiques militantes, les réflexions sur leurs conséquences délétères sur l’environnement et la santé humaine sont aussi un chemin vers d’autres futurs.
EN :
Based on ethnographic research with organizations working on environmental protection and women’s rights as well as traditional midwives in the State of Chiapas, this paper analyzes the ongoing metaphor of life and death in discussions on pesticides and environmental degradation. This vocabulary is in line with indigenous peoples’ philosophy of buen vivir (the good way of life). It appears particularly in women’s discourses, who are in charge of the care work necessary to the reproduction of life (reproductive work, care of family members and nonhuman beings as well as medicinal plant knowledge). In Mexico, over a hundred highly hazardous pesticides are still authorized. This article shows how, in Chiapas, where the Zapatista experience of “another world” instills activist practices, considerations on the harmful consequences of pesticides on the environment and human health become a path towards creating other futures.
ES :
A partir de un trabajo etnográfico en el Estado de Chiapas con parteras tradicionales y asociaciones civiles actuando sobre la temática medioambiental y los derechos de las mujeres, ese artículo analiza la presencia de la metáfora vida/muerte en los discursos alrededor de los plaguicidas y de sus alternativas. Ese léxico se enmarca en la filosofía indígena del “buen vivir” y se encuentra particularmente en las palabras de las mujeres encargadas de los cuidados necesarios para la reproducción de la vida (trabajo reproductivo, cuidado a los miembros de la familia y a los seres vivos no humanos, conocimiento de plantas tradicionales). En México, más de cien pesticidas potencialmente peligrosos siguen autorizados. Este artículo muestra cómo en Chiapas, donde la experimentación política de las y los Zapatistas para un mundo “otro” afectan a las prácticas activistas, las reflexiones sobre las consecuencias nefastas de los plaguicidas sobre el medioambiente y la salud humana también representa un camino hasta la construcción de otros futuros.
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Sensibilisation et réponse des agriculteurs du nord-est de la Thaïlande à la pollution environnementale aux pesticides
Bernard Formoso
p. 1–24
RésuméFR :
Afin de répondre aux nécessités de l’intensification agricole dont dépend leur survie, les petits exploitants thaïlandais font un usage croissant des pesticides. Sur la base d’une enquête quantitative et qualitative réalisée en août 2019 auprès de cent agriculteurs de deux villages de la province de Khon Kaen, et des résultats de tests réalisés à grande échelle par les services de santé publique thaïlandais, l’auteur met en lumière l’impact des pesticides sur la santé des petits exploitants, ainsi que la perception qu’ils ont des risques sanitaires et environnementaux importants auxquels les expose l’emploi massif de ces produits. L’article examine aussi les réponses variées que les agriculteurs apportent aux incitations gouvernementales à la transition écologique, suivant le régime de contraintes auxquels ils sont soumis, dans un contexte d’accidents climatiques répétés à fort impact sur les rendements et de fluctuation très importantes des cours mondiaux des produits agricoles commercialisés (riz, canne à sucre notamment).
EN :
To meet the needs of agricultural intensification, on which their standard of living depends, Thai smallholder farmers are increasingly using pesticides. From a quantitative and qualitative survey carried out in August 2019 among 100 farmers from two villages in Khon Kaen province, and from the results of large-scale blood testing by the Thailand’s public health department, the author highlights the impact of pesticides on the health of petty farmers, as well as their perception of the health and environmental dangers to which the massive use of pesticides exposes them. The article also examines farmers' varied responses to government incentives for ecological transition. Finally, it reviews the responses that they provide to these incentives, depending on the regime of constraints to which they are subject, in a context of repeated climatic accidents with a strong impact on yields and very significant fluctuations in world prices of cash crops.
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Au-delà de l’État. La vie sociale des pesticides dans le secteur maraîcher au Bénin
Roch Appolinaire Houngnihin, Pascal Mègnissè Gbégan et Dimi Théodore Doudou
p. 1–20
RésuméFR :
Dans les pays du Sud, l’agriculture urbaine est souvent critiquée en raison de ses pratiques polluantes dues, en grande partie, aux usages contraires aux normes officielles des pesticides sur les sites maraichers. Les rapports entre les acteurs intervenant dans la conception et la mise en oeuvre des politiques publiques constituent l’un des registres de causalités de ces pratiques. Le présent article a pour objectif de répertorier et de décrire les acteurs structurant les usages des pesticides dans l’agriculture urbaine au Bénin, ainsi que leurs interactions. Le dispositif méthodologique est de type ethnographique ; il repose sur la recension de textes relatifs aux pesticides, des entretiens semi-directifs individuels et des observations directes sur des sites maraichers des trois principales villes du Bénin : Cotonou, Porto-Novo et Parakou. Au total, 55 acteurs relevant de différents profils ont été enquêtés. Plusieurs catégories d’acteurs interviennent sur les sites maraichers. Face aux logiques en présence (aussi bien divergentes que contradictoires), la « vie sociale » du pesticide échappe au contrôle des institutions étatiques. Les connaissances des producteurs et des vendeurs s’imposent et prévalent sur les recommandations officielles dans les transactions marchandes. Dans ce contexte, le vide institutionnel créé par les agents du secteur public est comblé par des acteurs spéciaux, les « distributeurs-encadreurs ». Par ailleurs, les conflits intergénérationnels entre producteurs, suscités sur fond d’intrigues politiques, sont récurrents dans l’accès aux ressources matérielles et financières disponibles. De telles situations fragilisent le secteur maraicher et interfèrent négativement dans la mise en oeuvre des politiques publiques relatives aux pesticides.
EN :
In southern countries, urban agriculture is often criticized because of its polluting practices due, to a large part, to the non-standard use of pesticides on market garden sites. The relationships between the actors involved in the design and implementation of public policies constitute one of the causality registers of these practices. This article aims to list and describe the actors structuring the uses of pesticides in urban agriculture in Benin, as well as their interactions. The methodological device is an ethnographic type based on the review of texts relating to pesticides, in-depth interviews, and direct observations on market garden sites in Benin's three main urban areas: Cotonou, Porto-Novo and Parakou. In total, 55 actors from different profiles were surveyed. Several categories of people are involved in market gardening sites. Faced with logics involved (both divergent and contradictory), the "social life" of the pesticide escapes the control of public institutions. The knowledge of producers and sellers prevails over official recommendations. Likewise, the institutional vacuum created by public sector agents is filled by some specific actors, the "distributor-framers". In addition, intergenerational conflicts between producers, aroused by political intrigue, are recurrent in access to available material and financial resources. Such situations weaken the sector of the market garden and interfere negatively in the implementation of public policies relating to pesticides.
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Traitements phytosanitaires en viticulture française et prévention du risque pesticides. Retour d’expérience d’une communauté élargie de recherche ayant mobilisé l’ergotoxicologie
Fabienne Goutille et Alain Garrigou
p. 1–34
RésuméFR :
Le risque associé aux pesticides est un sujet de préoccupation croissant qui soulève des enjeux à la fois environnementaux, sanitaires et économiques. Les réglementations et mesures de prévention françaises et européennes qui visent à réduire ce risque relèvent d’une logique de prévention descendante en imposant aux agriculteurs de bonnes pratiques à suivre. L’analyse de l’activité des utilisateurs de produits phytopharmaceutiques révèle des situations à risque pesticide malgré un fort encadrement réglementaire, technique et social de l’activité de traitement. Nous montrons dans cet article comment en France les expositions aux pesticides peuvent être documentées dans les conditions réelles d’usage des produits phytopharmaceutiques par le développement d’une communauté élargie de recherche mobilisant des outils ergotoxicologiques. Les réflexions construites par les viticulteurs et les ergonomes, autour de vidéo de l’activité et de mesures des pesticides, mettent en exergue divers niveaux de déterminants des situations à risque pesticides. Comprendre et chercher à agir collectivement sur ces déterminants vient soutenir l’agentivité des professionnels viticoles investis et contribue au développement d’une prévention construite.
EN :
Pesticide risk is a growing concern that raises environmental, health and economic issues. The regulations and prevention measures that aim to reduce this risk are based on a top-down prevention logic by imposing good practices to be followed by farmers. The analysis of the activity of users of phytopharmaceutical products reveals situations of pesticide risk despite a strong regulatory, technical and social framework of the treatment activity. In this article, we show how pesticide exposure can be documented in the real conditions of use of plant protection products through the development of an extended research community using ergotoxicological tools. The reflections built by wine growers and ergonomists, around activity videos and pesticide measurements, highlight various levels of determinants of pesticide risk situations. Understanding and seeking to act collectively on these determinants supports the agency of the winegrowing professionals and contributes to the development of a constructed prevention.
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Rendre visible les impacts des pesticides du soja : contributions et limites d’un observatoire de science citoyenne à Santarém, Amazonie brésilienne
Emilie Coudel, Stéphanie Nasuti, Danielle Wagner Silva, Marie-Paule Bonnet, Mariana Piva, Beatriz Abreu dos Santos, Ricardo Folhes, Vincent Bonnal, Valéria Fechine, Denise Lima, Carlos José Sousa Passos, Txai Mitt Schwamborn, Ione Nakamura et Gracivane Rodrigues de Moura
p. 1–37
RésuméFR :
Le Brésil est parmi les plus gros consommateurs mondiaux de pesticides, pourtant leur impact sur les populations locales peine à émerger en tant que problème public, en raison d’un contexte politique particulièrement favorable à l’agriculture industrielle. Dans cet article, nous investiguons comment les connaissances produites sur l’impact des pesticides contribuent (ou non) à faire émerger ce problème public. Notre réflexion s’appuie sur un processus de science citoyenne mené dans la région de Santarém, en Amazonie Brésilienne, où le soja connaît une importante expansion depuis 20 ans. Nous y avons construit depuis 2017 un observatoire en partenariat avec les syndicats paysans, pour rendre visible l’impact des pesticides utilisés dans les cultures de soja sur l’agriculture familiale. Des jeunes agriculteurs, formés à être « chercheurs communautaires », ont administré 544 questionnaires auprès d’agriculteurs familiaux pour connaître leurs pratiques et évaluer les changements occasionnés depuis l’arrivée du soja. Nous menons une analyse à trois niveaux : au niveau national, nous suivons l’émergence des pesticides comme problème public, sa consolidation au cours du gouvernement travailliste (2003-2016), puis son démantèlement ; au niveau local, l’enquête montre à quel point les agriculteurs familiaux sont fortement impactés par les pesticides et dans le même temps peu conscients d’être des « victimes » ; enfin, au niveau territorial, nous nous interrogerons sur la fragilisation du débat entre science et politique, notamment au sein du Forum régional de lutte contre l’impact des pesticides mis en place à Santarém.
EN :
Although Brazil is among the world's largest consumers of pesticides, their impacts on local populations have struggled to emerge as a public problem due to a political context that is particularly favourable to industrial agriculture. In this article, we investigate how the knowledge produced on the impact of pesticides contributes (or not) to the emergence of this public problem. We conduct a reflection based on a citizen science process we conducted in the region of Santarem, in the Brazilian Amazon, where soybean has been expanding significantly for the past 20 years. Since 2017, we have built an observatory in partnership with peasant unions to make visible the impact of pesticides used in soy crops on family farmers. Young farmers, trained to become "community researchers", have administered 544 questionnaires to family farmers to learn about their practices and assess the changes caused since the arrival of soy. We conduct an analysis at three levels: at the national level, we follow the emergence of pesticides as a public issue, its consolidation during the Labor government (2003-2016), and then its dismantling; at a local level, the survey reveals how the family farmers are impacted by soy pesticides and at the same time, not so aware of being "victims"; finally, at the territorial level, we question the weakening of the debate between science and politics, particularly within the Regional Forum for the fight against the impact of pesticides set up in Santarém.
PT :
Embora o Brasil esteja entre os maiores consumidores mundiais de agrotóxicos, seus impactos na população raramente são tratados como problema público, devido a um contexto político particularmente favorável à agricultura industrial. Neste artigo, investigamos como o conhecimento produzido sobre os impactos dos agrotóxicos contribui (ou não) para torná-los problema público. Conduzimos uma reflexão ancorada num processo de pesquisa baseado na ciência cidadã, na região de Santarém, na Amazônia brasileira, onde plantios de soja aumentaram significativamente ao longo dos últimos 20 anos. Desde 2017, construímos um observatório das dinâmicas socioambientais em parceria com sindicatos ligados à agricultura familiar, para, entre outros propósitos, tornar visível o impacto dos agrotóxicos utilizados nas culturas de soja sobre os agricultores familiares. Jovens agricultores, formados para se tornarem "pesquisadores comunitários", aplicaram 544 questionários junto a agricultores familiares para conhecer as suas práticas e avaliar as mudanças causadas desde a chegada da soja. Conduzimos uma análise em três esferas : na esfera nacional, acompanhamos a emergência dos agrotóxicos como uma questão pública, a sua consolidação durante o governo Trabalhista (2003-2016), e depois o seu desmantelamento após esse período; na esfera local, nossa pesquisa mostra que os agricultores familiares estão sendo bastante impactados pela intensa pulverização de pesticidas nos plantios de soja mas nem sempre estavam conscientes de serem atingidos; finalmente, na esfera territorial, questionamos o enfraquecimento do debate entre ciência e política, particularmente no âmbito do Fórum Regional para a luta contra o impacto dos agrotóxicos criado em Santarém.
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Pouvoir parler des pesticides ? Une recherche-action pour éprouver les capabilités des travailleurs viticoles (Gironde, France)
Ludovic Ginelli, Jacqueline Candau, Agossè Nadège Degbelo et Camille Noûs
p. 1–32
RésuméFR :
En France, l’intense débat public sur l’usage des pesticides demeure encore peu accessible aux travailleurs agricoles alors même qu’un changement de pratiques est attendu de leur part et qu’ils sont fortement exposés. Cette configuration de la « transition » relative aux pesticides soulève simultanément des enjeux sanitaires, environnementaux et de justice sociale, renouant avec certains mouvements sociaux, qu’il s’agisse de l’Environmental Justice aux États-Unis ou de l’« écologisme des pauvres » dans les pays du Sud (Martinez-Alier, 2014). Nous faisons l’hypothèse que la voix peu audible des travailleurs agricoles dans l’espace public est le signe de capabilités entravées (Sen 2000, de Munck 2008). Qu’ils soient salariés ou agriculteurs participant aux travaux, notre recherche vise donc à identifier les processus sociaux, parfois différents, qui renforcent ou fragilisent leurs capabilités à dire leurs préoccupations relatives aux pesticides. Nous éprouvons cette hypothèse à partir d’un choix méthodologique original, celui d’une recherche-action engagée dans l’émancipation des travailleurs viticoles dans le département français de la Gironde. Il s’avère que des cadrages « forts » (politiques de gestion du risque et de santé au travail) mettent les travailleurs en incapacité d’exprimer leurs préoccupations vis-à-vis des pesticides. D’autres facteurs structurels à l’échelle du territoire et de la filière font que la mise sous silence des travailleurs domine, sans être totale. Les difficultés « opérationnelles » pour mettre en place un groupe de viticulteurs, et plus encore pour les salariés, sont alors particulièrement révélatrices de ces processus antagonistes de mise en (in)capacités en jeu dans la transition relative aux pesticides.
EN :
In France, the intense public debate on pesticides is still hardly accessible to agricultural workers, even though they are expected to change their practices and are highly exposed. This configuration of pesticide use "transition" raises health, environmental and social justice issues, as do specific social movements, such as Environmental Justice in the United States or "ecologism of the poor" in the South (Martinez-Alier, 2014). We hypothesize that the weak voice of farmworkers in the public space is a sign of hindered capabilities (Sen 2000, de Munck 2008). Whether they are employees or farmers participating in winegrowing work, our research aims to identify the social processes, sometimes different, that strengthen or weaken their capabilities to express their concerns about pesticides. We test this hypothesis using an original methodological choice, an action-research committed to empowering vineyard workers in Gironde. It turns out that "strong" frames (risk management and occupational health policies) make it impossible for workers to express their concerns about pesticides. Other structural factors on the scale of the territory and the wine sector mean that the silencing of workers is dominant without being total. The "operational" difficulties in setting up a group of winegrowers, and even more so for the employees, are therefore particularly revealing of these antagonistic processes of (in)capacity at play in the transition to pesticides.
Section courante
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La vulnérabilité cumulative face aux défis socio-environnementaux en Côte d’Ivoire
Jeremy Allouche et Dieunedort Wandji
p. 1–23
RésuméFR :
Cet article s’inscrit dans le cadre théorique de l’Écologie politique pour développer la notion de vulnérabilité cumulative afin d’en souligner les dimensions sociales et structurelles. Cette notion remet en question l’approche causale, sectorielle et disciplinaire qui domine dans une grande majorité des études académiques sur les questions de vulnérabilité. L’usage de cette approche est illustré par deux études de cas tirés du contexte ivoirien, Abidjan et Grand Lahou.
EN :
Based on theories in political ecology, this paper develops the notion of cumulative vulnerability in order to highlight the underpinning social and structural drivers. This notion allows us to challenge the causal, sectoral and disciplinary approach that dominate academic studies on the concept of vulnerability. We use the cases of Grand Lahou and Abidjan, in order to illustrate this approach.
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Mettre en relation producteurs et mangeurs pour une alimentation durable ? La protection de la biodiversité entre confiance et connaissance
Claire Bernardin, Guilhem Anzalone, Giffona Justinia Hanitravelo et Bertille Thareau
p. 1–22
RésuméFR :
Cet article analyse des démarches mises en oeuvre en Pays de la Loire par des associations environnementalistes et agricoles promouvant une alimentation durable. Elles reposent sur la mise en relation entre producteurs agricoles et mangeurs, avec l’idée que la création de ce lien favorise la réflexivité de ces derniers sur leurs pratiques quotidiennes. Nous questionnons la portée de ces démarches et de l’apprentissage qui peut en naître. Nous étudions ici l’importance de la protection de la biodiversité pour des individus adeptes d’une « alimentation durable » ainsi que le rôle de leurs interactions avec des producteurs engagés autour de cet enjeu. Des entretiens qualitatifs (n=14) et un questionnaire (n=210) mettent en évidence que la préservation de la biodiversité est rarement l’une des motivations d’une alimentation durable, y compris pour les mangeurs en relation avec des agriculteurs protecteurs de la biodiversité. Plutôt que des connaissances sur les pratiques agricoles et leurs effets sociaux et environnementaux, le lien entre ces deux catégories d’acteurs produit avant tout de la confiance de la part du mangeur envers le producteur. Cette confiance peut en retour constituer une limite à l’apprentissage.
EN :
Some stakeholders belonging to the civil society campaign for an alternative agroecological model that would involve citizens as well as farmers rather than institutions, and that would be highly beneficial for biodiversity. We tackle the significance that biodiversity preservation holds for individuals that adopt sustainable diets, as well as the part played by their interactions with producers committed to this matter in the development of such sensitivity. Through fourteen qualitative interviews and an online survey (n=210), we show that biodiversity preservation is very rarely a primary motivation for people to eat sustainably indeed and that interactions between them and biodiversity-protectors, in cases of awareness-raising strategies from associations, are neither necessary not sufficient for such sensitivity to develop.
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Les Autochtones, le bien-être collectif et la rationalité gouvernementale ; une réflexion théorique en forêt publique au Québec
Denis Blouin, Jean-François Bissonnette et Luc Bouthillier
p. 1–26
RésuméFR :
La rationalité de l’État à l’oeuvre dans la gouvernance des forêts publiques limite grandement la capacité des communautés autochtones de mettre en pratique de nouveaux modèles forestiers. Les constats de l’engagement de la communauté de Gespeg, issue de la nation autochtone des Mi’gmaq, en foresterie, ainsi que les difficultés rencontrées pour mettre en oeuvre leur forêt communautaire sont le point de départ d’une mise en lumière de la rationalité qui régit l’usage du territoire public québécois. Cette rationalité gouvernementale limite grandement les actions pouvant être apportées afin de satisfaire les besoins et les aspirations de groupes spécifiques. Ainsi, le régime de gouvernementalité, suivant les termes de Foucault, des terres publiques québécoises se fonde sur une conception unidimensionnelle de la population québécoise et une vision homogène du territoire et de l’économie. Cette perspective oriente les actions du gouvernement vers l’exploitation des ressources et du territoire en fonction du bien-être de la population québécoise en général. Les Autochtones se situent alors à la marge de l’exercice du pouvoir de l’État sur son territoire. Une foresterie autochtone menée à l’échelle locale confronte donc la mission des ministères responsables. De plus, la volonté autochtone d’adapter à sa vision le cadre de gestion de la forêt publique constitue un défi pour la foresterie scientifique, socle de l’aménagement forestier étatique. Ces revendications autochtones exercent actuellement des pressions fortes pour une transformation du régime de gouvernementalité des terres publiques. Ainsi, ce dernier est appelé à se redéfinir, tant dans sa conception de la population québécoise, des droits de certains groupes, de sa vision du rôle des terres publiques que dans son système de connaissances.
EN :
The rationality of the state at work in the governance of public forests greatly limits the ability of indigenous communities to put new forest models into practice. The findings of the Mi'gmaq of Gespeg's commitment to forestry, as well as the difficulties encountered in implementing their community forest are the starting point for shedding light on the rationality that governs the use of Quebec's public land. This governmental rationality greatly limits the actions that can be taken to meet the needs and aspirations of specific groups. Thus, the system of governmentality, in Foucault's terms, of Quebec public lands is based on a one-dimensional conception of the Quebec population and a homogeneous vision of the territory and the economy. This perspective guides government actions towards the exploitation of resources and the territory based on the well-being of the Quebec population in general. The Aboriginals are therefore on the margins of the exercise of state power over its territory. Indigenous forestry carried out at the local level therefore confronts the mission of the responsible ministries. In addition, the indigenous desire to adapt the public forest management framework to its vision constitutes a challenge for scientific forestry, the basis of state forest management. These indigenous claims are currently exerting strong pressure for a transformation of the governmentality of public lands. Thus, the system of governmentality of public lands is called upon to redefine itself, both in its conception of the Quebec population, of the rights of certain groups, of its vision of the role of public lands, and in its system of knowledge.
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Historique des crues et risque d’inondation dans la vallée de la Meurthe depuis le XVIIIe siècle
Claire Delus, Éric Bonnot, Didier François, Thomas Lejeune, Xavier Rochel, Denis Mathis et Jean Abèle
p. 1–30
RésuméFR :
La connaissance des événements passés constitue désormais un des fondements de la gestion des risques naturels. Ce travail présente les résultats d’une étude historique des crues, réalisée dans le cadre de l’élaboration d’un Programme d’Action et de Prévention des Inondations (PAPI) de la rivière française de la Meurthe. Une reconstitution des hauteurs d’eau observées depuis le début du XIXe siècle a été réalisée grâce à un travail de collecte et d’analyse d’archives hydrométriques. Les sources documentaires ont permis de compléter l’inventaire des événements et d’étendre la chronologie aux trois derniers siècles. Les résultats de ces travaux constituent ainsi une base d’analyse de l’évolution de l’aléa et donc du risque inondation sur le territoire d’étude, mais soulignent aussi la difficulté à déterminer les facteurs de la variabilité des extrêmes hydrologiques. Dans la mesure où l’étude des crues historiques constitue désormais un préalable réglementaire dans les dossiers d’élaboration des PAPI, ce type d’étude est amené à se généraliser sur de nombreux cours d’eau.
EN :
Historical studies are a fundamental aspect of natural risk prevention policies. This work presents the results of the flood history of the river Meurthe carried out as part of the development of an Action and Flood Prevention Programme (PAPI). Based on hydrometric archives water level series observed since the beginning of the 19th century were reconstructed. Documentary evidences are used to enlarge the record period to the last three centuries. This work may constitute a basis for analyzing the evolution of hazard and flood risk in the studied area, but also underline the difficulty of determining the factors of the variability in hydrological extremes. As historical flood study is now a prerequisite in the PAPI files, this type of study is likely to become widespread on many rivers.
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Le « zéro déchet », tou(te)s dans le même bocal ? Profils, pratiques, et formes d’engagement
Marie Mourad, Florian Cezard et Steve Joncoux
p. 1–17
RésuméFR :
Deux sociologues et un consultant en environnement proposent un retour sur l’enquête « Bien vivre en zéro déchet » qu’ils ont réalisée pour l’ADEME en 2016. Par l’analyse des profils de 643 personnes s’identifiant au terme « zéro déchet » et une enquête ethnographique sur les pratiques quotidiennes et l’engagement de 12 foyers, ils montrent comment la démarche rassemble des individus aux motivations, pratiques, et profils sociaux variés, malgré une majorité de femmes jeunes issues de classes supérieures. Ces foyers zéro déchet, porteurs de changement, forment progressivement un levier d’action pour les institutions environnementales. Cette mobilisation soulève néanmoins des enjeux sociaux tels que l’inégale répartition des richesses et du travail, que le zéro déchet n’a pas mis en bocal.
EN :
Two sociologists and a consultant in sustainability offer a reflection on the survey “Living well with Zero Waste” that they carried out for the French Environmental Agency (ADEME) in 2016. By analyzing the profiles of 643 people who identify as being “Zero Waste” and through ethnographic observations of the daily practices and engagements of 12 households, they show how the word “Zero Waste” brings together people with a variety of motivations, practices, and social profiles—despite a majority of young women from privileged backgrounds. These Zero Waste households support social change and progressively serve as a leverage for environmental institutions to act. Yet, this Zero Waste mobilization does not resolve some social issues, such as the unequal repartition of wealth and work.
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Pourquoi certains territoires sont-ils plus résilients que d’autres ? Les trajectoires contrastées de deux vallées pyrénéennes après les crues de 2013
Anne Peltier, Jean-Marc Antoine et Sylvia Becerra
p. 1–37
RésuméFR :
Les 18 et 19 juin 2013, une crue d’occurrence centennale frappe les Pyrénées centrales, situées à la frontière franco-espagnole, dans le sud de la France, de la vallée de la Garonne à celle du gave de Pau. Si le nombre de victimes (3 décès) est limité eu égard à l’ampleur de l’événement, les dégâts sont considérables. Six ans après l’événement, les deux vallées les plus marquées par la crue présentent des visages très différents et la vallée de Barèges, pourtant plus touchée, a mieux récupéré que celle de la Garonne. Nous interrogeons ces disparités dans la récupération post-catastrophe. Nous montrons que cette différenciation n’est pas directement liée aux modalités de la gestion de crise : d’une vallée à l’autre, ce sont à peu près les mêmes difficultés qui ont été rencontrées et les mêmes réponses qui ont été apportées. Cela nous amène à montrer que la différence de résilience tient surtout, ici, à des vulnérabilités et dynamiques territoriales préexistantes à la crue.
EN :
On 18th and 19th June 2013, a 100-year flood hit the central Pyrenees, located at the French-Spanish frontier, in southern France, from the Garonne valley to the gave de Pau valley. Although the number of victims (3 deaths) is limited given the scale of the event, the damage is considerable. Five years after the event, the two valleys most affected by the flood have very different faces and the Barèges valley, although more affected, has recovered better than the Garonne valley. We question these disparities in post-disaster recovery. We show that this differentiation is not directly linked to the methods of crisis management: from one valley to another, more or less the same difficulties were encountered and the same responses were provided. This leads us to show that the difference in resilience is mainly due, here, to territorial vulnerabilities and dynamics pre-existing the flood.
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La mobilité quotidienne conduit-elle les Parisiens à respirer un air plus ou moins pollué ?
Laurent Proulhac et Alexis Poulhès
p. 1–35
RésuméFR :
L’article propose une évaluation dynamique de l’exposition à la pollution de l’air de la population urbaine de la région de Paris (France). La méthodologie originale prend en considération la variabilité dans l’espace et dans le temps des polluants et des habitants. Elle s’appuie sur la combinaison des données de concentrations en NO2 (Airparif) et de mobilité quotidienne d’un échantillon représentatif de résidents (Île-de-France Mobilités–OMNIL–DRIEA). Les résultats soulignent le rôle déterminant de la mobilité quotidienne dans le niveau d’exposition individuelle à la pollution. Comparée à l’exposition de référence à la résidence, la mobilité quotidienne conduit les habitants à dégrader leur niveau d’exposition au NO2 de 1,1 µg/m3 (+4%) en moyenne, s’établissant à 32,1 µg/m3. La mobilité différenciée des résidents selon l’usage des modes motorisés individuels et le temps passé à Paris induit une dégradation inégale de la qualité de l’air respiré. Pour les actifs, les étudiants et les résidents de la deuxième couronne, leur mobilité quotidienne tend à accroître significativement leur exposition au NO2, au contraire de celle des inactifs et des résidents de Paris.
EN :
This article proposes a dynamic assessment of the exposure to air pollution of the urban population of the Paris region (France). The original methodology takes into account the variability in space and time of pollutants and inhabitants. It is based on the cross-referencing of NO2 concentration data (Airparif) and daily mobility data of a representative sample of inhabitants (Île-de-France Mobilités–OMNIL–DRIEA). The results underline the determining role of daily mobility in the level of individual exposure to pollution. Compared to the reference exposure at home, daily mobility leads the inhabitants of Paris region to deteriorate their NO2 exposure level by 1.1 µg/m3 (+4%) on average, to 32.1 µg/m3. The differentiated mobility of inhabitants according to the use of individual motorized modes and the time spent in Paris leads to an unequal deterioration of the quality of the air they breathe. For working people, students and residents of the outer suburbs, their daily mobility tends to significantly increase their exposure to NO2, unlike that of inactive people and residents of Paris.
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Transition écologique : du défi scientifique au défi pédagogique
Malou Delplancke, Sylvain Picard, Camille Patillon, Maude Kervarrec et Ruppert Vimal
p. 1–30
RésuméFR :
La crise écologique à laquelle nous sommes confrontés invite à renouveler notre façon de faire science. À l’aune du développement durable, l’enjeu est de produire une science démocratique et capable de répondre aux enjeux contemporains. Ce contexte interpelle le rôle de l’école dans ses logiques de construction et de transmission des savoirs scientifiques. L’émergence des questions socialement vives (QSV) dans l’enseignement est une opportunité pour contribuer à une éducation qui permette de penser et d’agir dans un monde complexe et incertain. Cet article est fondé sur l’étude d’un dispositif éducatif expérimental centré sur une démarche d’enquête en lien avec la transition écologique de l’île d’Yeu, dans le département français de la Vendée. Il se propose d’analyser, du point de vue des pédagogues et des apprenants, quelles sont les implications d’un enseignement scientifique qui cultive l’interdisciplinarité, l’implication et la participation. Au-delà des difficultés matérielles et épistémiques identifiées, ainsi que des tensions qu’il y a à coconstruire connaissances et actions, notre expérimentation révèle plusieurs leviers d’action possibles pour l’éducation au développement durable (EDD) parmi lesquels l’ouverture du collectif à une pluralité d’acteurs, l’importance de ménager des espaces de réflexivité et la nécessité de développer une ingénierie sociale.
EN :
The ecological crisis we are facing calls for a renewal of the way we do science. In the light of sustainable development, the challenge is to produce science that is democratic and capable of responding to contemporary issues. This context challenges the role of school in its logic of construction and transmission of scientific knowledge. The emergence of socio-scientific issues is an opportunity to contribute to an education that makes it possible to think and act in a complex and uncertain world. This paper focuses on an educational experiment based on an investigative approach in relation to the ecological transition of the island of Yeu in the Vendée. We analyse what are the implications of an education that cultivates interdisciplinarity, involvement and participation in science, from point of view of both educators and learners. Beyond material and epistemic difficulties identified and tensions involved in co-constructing knowledge and actions, our experimentation reveals several levels of action for education for sustainable development (ESD), including opening up to a plurality of actors, enhancing reflexivity and developing social engineering.