VertigO
La revue électronique en sciences de l’environnement
Volume 20, numéro 1, mai 2020 Conservation de la biodiversité : quels modèles de conception et de gestion pour les aires protégées ? Sous la direction de Robert Kasisi, Achille Assogbadjo, Dominique Bourg et Jonathan Tardif
Sommaire (16 articles)
Conservation de la biodiversité : quels modèles de conception et de gestion pour les aires protégées ?
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La gouvernance des espaces protégés : vers un partage de la nature ?
Céline Chadenas, Vincent Andreu-Boussut, Celine Barthon, Xavier Michel et Arnaud de Lajartre
RésuméFR :
Depuis une trentaine d’années et la mise en réserve de milieux naturels sur les littoraux français de l’Atlantique, de la Manche et de la Méditerranée, leur ouverture au public a conduit à un aménagement de l’espace, se réduisant parfois à quelques sentiers de découverte, allant, pour d’autres sites, jusqu’à participer pleinement à la dynamique touristique du territoire contiguë. Si la pédagogie à l’environnement est le principal prétexte à l’aménagement pour le public de ces sites, ces pratiques ont cependant contribué à une zonation de l’espace. Elle devient d’autant plus indispensable que la pression exercée aux abords voire à l’intérieur du périmètre de protection est perçue comme importante, portée par un engouement très fort pour les activités dans la nature. Cette zonation donne l’impression d’un desserrement de statuts de protection contraignants vers des formes plus intégrées et partagées de gestion et de gouvernance de l’espace. Cependant, le constat du dérangement des espèces conduit parfois le gestionnaire à aller vers une nouvelle zonation de l’espace protégé, par la création de sanctuaires de nature plus contraignants, justifiant aussi un retour à une ouverture de ces espaces plus limitée pour le grand public ou visant, dans certains cas, à la fermeture totale d’un site. Cet article propose d’analyser la manière dont le découpage de l’espace de trois réserves naturelles de France métropolitaine, la baie de Somme (Picardie), Sainte-Lucie (Aude) et Moëze-Oléron (Charente-Maritime) a été organisé. Les trajectoires de ces sites seront appréhendées, depuis la création de l’espace protégé jusqu’à aujourd’hui, en observant en particulier les dialectiques ouverture/fermeture et permanence/rupture que ces lieux connaissent et la manière dont elles sont appréhendées. Plus largement, l’objectif de ce travail est d’identifier des modèles de partage de l’espace afin d’éclairer la manière dont les réserves naturelles peuvent contribuer au développement durable des territoires dans lesquels elles s’insèrent, la protection de la biodiversité devenant ainsi le révélateur d’une nouvelle dynamique de l’espace.
EN :
For thirty years and the setting aside of natural environments on the French coasts of the Atlantic, the Channel and the Mediterranean, their opening to the public has led to a development of space, sometimes reducing itself to a few discovery trails, going, for other sites, to participate fully in the tourist dynamic of the contiguous territory. Environmental pedagogy is the main pretext for the development of these sites for the public, but these practices have contributed to the zonation of space. It becomes all the more essential as the pressure exerted around or even inside the perimeter of protection is perceived as important, driven by a very strong craze for activities in nature. This zoning gives the impression of loosening binding protection status towards more integrated and shared forms of management and governance. However, the observation of the disturbance of the species sometimes leads the manager to move towards a new zonation of the protected area, by creating sanctuaries of a more restrictive nature, also justifying a return to a more limited opening of these spaces for the general public or aiming, in some cases, for the total closure of a site. This article proposes to analyze the way in which the division of the space of three natural reserves of metropolitan France, the Bay of Somme (Picardy), Saint Lucia (Aude) and Moëze-Oléron (Charente-Maritime) was organized. The trajectories of these sites will be apprehended, from the creation of the protected space until today, observing in particular the dialectics opening / closing and permanence / rupture that these places know and the way in which they are apprehended. More broadly, the objective of this article is to identify models for sharing space in order to understand how natural reserves can contribute to the sustainable development of the territories in which they are integrated, the protection of biodiversity, thus becoming the revealer of a new space dynamic.
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La « triple conservation » comme technologie de gouvernement
Théo Jacob
RésuméFR :
Initialement conçues comme des outils d’interdiction, les aires protégées accompagnent aujourd’hui la décentralisation. Leurs nouvelles missions de démocratie locale et de développement économique participent d’une évolution globalisée de l’administration publique, depuis une logique de « souveraineté » vers un registre de « gouvernementalité ». L’étude de vastes aires protégées montre comment la conservation appuie le redéploiement étatique. En Guyane française et dans l’État brésilien de l’Amapá, elle succède aux stratégies régaliennes de maintien sur une Amazonie éloignée, alternant tutelle paternaliste et délégation aux élites locales. Sur ces territoires « anormaux », les institutions de conservation tentent de réconcilier différentes légitimités. Rassemblant communautés locales, responsables publics et acteurs économiques, leurs gestionnaires animent des espaces de gouvernance qui accompagnent l’autonomisation régionale. Ces arènes cherchent à contenir le développement des écarts sociaux et politiques en créant de nouvelles mobilités sur ces territoires. La protection de l’Environnement justifie un mode de gouvernement frugal, multipliant les contre-pouvoirs et l’enchâssement des surveillances entre acteurs d’un même espace. En incitant l’émergence d’une « société civile » dans des arrière-pays sous-administrés, elle crée de nouvelles concurrences et diffuse une rationalité managériale de responsabilisation.
EN :
Initially designed as tools of restriction, protected areas now go together with decentralisation. Their new goals for local democracy and economic development participate of a globalized evolution of public administration, from "sovereignty" to "governmentality". An study of large protected areas shows how conservation complements state redeployment. In French Guyana and in the Brazilian state of Amapá, it comes after sovereign function strategies maintained on a distant Amazonia, switching between paternalistic attitude and delegation of authority to local elite groups. On these "abnormal" territories, conservation institutions are trying to reconcile different legitimacies. In bringing together local communities, public officials and economic players, administrators organise spaces of state governance that go along with regional autonomy. These concertation places are aiming to restrain the development of social and political gaps, in creating new mobilities on territories. Environmental protection justifies a frugal type of governance, by multiplying counter powers and surveillance entrenchments between stakeholders of a common space. When inciting the emergence of a new "civil society" in barely administered back lands, this creates new rivalries and spreads managing rationale of responsibility.
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Comment vivre avec des conflits d’usages au sein d’un espace naturel protégé exposé à des risques littoraux ? L’exemple du Platier d’Oye (Côte d’Opale, France)
Caroline Rufin-Soler, Marie-Hélène Ruz, Philippe Deboudt et Rachel Révillon
RésuméFR :
Cet article propose une analyse de la fabrication des conflits d’usages entre acteurs de la gestion d’un espace exposé à des risques naturels côtiers le long de la mer du Nord, dans la Région Hauts de France, le Platier d’Oye. Il s’agit d’un espace littoral poldérisé au début du 20e siècle, objet de logiques successives d’appropriation et de dynamiques côtières qui ont contribué au développement de conflits entre les acteurs, porteurs de ces différentes logiques. L’article analyse dans une première partie ces différentes logiques qui ont contribué à la fabrication de ce territoire côtier avec d’abord un espace urbanisé, un espace de nature protégée et un espace à risques. L’article se focalise sur l’analyse des processus d’émergence des conflits d’usages dans ce territoire côtier en lien avec le développement des risques côtiers et de la protection du patrimoine naturel. La seconde partie de l’article propose une analyse inédite des conflits d’usages liés à la gestion de la fréquentation et à la gestion des risques d’érosion côtière et de submersion marine. Les données collectées et les analyses rassemblées dans cet article s’appuient sur le projet de recherche « Co-construction de stratégies d’adaptation au changement climatique en Côte d’Opale » (COSACO) soutenu par le programme « Quels littoraux pour demain ? » de la Fondation de France.
EN :
This article proposes an analysis of the production of land-use conflicts between interested party in the management of a coastal area exposed to coastal risks along the North Sea coast, in the Hauts de France Region. The Platier d'Oye, a reclaimed coastal area at the beginning of the 20th century, is the object of successive logics of appropriation and of coastal dynamics which have contributed to the development of conflicts between the stakeholders. The article analyzes in a first part these different logics which contributed to the development of this coastal territory with first an urbanized space, then a protected nature area and a coastal area at risk. The article focuses on the analysis of the emergence of conflicts of uses in this coastal territory in connection with the development of coastal risks and the protection of natural heritage. The second part of the article proposes an original analysis of usage conflicts linked to the management of tourist and resident attendance and conflicts related to the risks of coastal erosion and marine flooding. The data collected and the analyses mobilized in this paper are based on the research project "Co-construction of adaptation strategies to climate change in the Opal Coast" (COSACO) supported by the program "Coasts for tomorrow?" of the Fondation de France.
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La charte ou les apories de la concertation : la fabrique de l’acceptation sociale dans les parcs nationaux alpins français
Lionel Laslaz
RésuméFR :
Cet article propose une démarche en trois temps. Dans un premier temps, une réflexion théorique et spatialisée sur l’acceptation sociale permet de clarifier l’usage du terme et de le distinguer notamment de l’acceptabilité. L’acceptation sociale est le contexte dans lequel s’effectuent les mises en tension des acteurs : elle s’élabore à partir du moment où ces derniers ont défini et énoncé des conditions d’acceptabilité. Médiocre, elle explique la réticence de certains d’entre eux à entrer dans des processus contractuels supposés vertueux. Dans une deuxième partie, le texte se focalise sur les résultats de l’adhésion des communes aux chartes des trois parcs nationaux alpins français. En se focalisant davantage sur le Parc national de la Vanoise, un troisième moment permet d’interpréter les résultats des votes des conseils municipaux sur ce document de cadrage, valable quinze ans et dont la construction a été particulièrement lourde et longue. Au final, la charte visant à gagner l’acceptation sociale de parcs nationaux nés et grandis dans l’opposition n’a fait que raviver celle-ci dans le cas de la Vanoise, alors que les Ecrins et le Mercantour ont réussi en deux temps à gagner l’adhésion. En analysant les postures des élus locaux et les arrangements qui ont cours pour mener à bien ce document autour duquel les négociations (et les formes de participation) sont censées améliorer l’acceptation sociale, l’article dessine une scène de débats dans laquelle ces acteurs s’arrangent avec l’espace et spatialisent leurs compromis.
EN :
This paper proposes an approach in three times. At first, a theoretical and spatialised reflection on social acceptance makes it possible to clarify the use of the term and to distinguish it in particular from acceptability. Social acceptance is the context in which the tensions of actors take place: it is developed from the moment the actors have defined and stated the conditions of acceptability. Mediocre, it explains the reluctance of some of them to enter into the so-called virtuous contractual processes. In a second part, the paper focuses on the results of the municipalities’ membership to the charters of the three French alpine national parks. By focusing more on the Vanoise National Park, a third moment allows to interpret the results of the votes of the municipal councils on this scoping document, 15 years of particularly heavy and long construction. In the end, the charter to gain the social acceptance of national parks born and raised in the opposition only revived the latter in the case of the Vanoise, while the Ecrins and the Mercantour managed in two steps to obtain membership. Analyzing the postures of local politicians and the arrangements under way to carry out this document around which negotiations (and forms of participation) are supposed to improve social acceptance, the article draws a scene of debates in which these actors arrange themselves with space and spatialize their compromises.
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Wilderness gentrification et projets de rewilding : les enjeux d’un nouveau mode de gestion pour le parc national de Dartmoor (Angleterre)
Marie Méténier
RésuméFR :
D. Smith et al. (2018) ont récemment proposé d’appliquer au contexte britannique le concept de « wilderness gentrification » (Darling, 2005), appelant les chercheurs à poursuivre les recherches empiriques sur ce sujet. Cet article entend précisément répondre à cet appel. En s’appuyant sur un travail de terrain réalisé dans le parc national de Dartmoor de 2016 à 2018, il s’agira tout d’abord d’analyser la pertinence du concept de wilderness gentrification dans les parcs nationaux anglais. Les entretiens semi-directifs réalisés auprès des nouveaux habitants installés dans le parc national ont permis de corroborer l’hypothèse d’une wilderness gentrification à travers l’analyse des représentations qui justifient leurs stratégies résidentielles. S’il s’agit bien de la quête d’une wilderness à l’anglaise qui a poussé ces nouveaux habitants à venir s’installer dans les espaces étudiés, la mise en pratique de ces représentations se traduit par le développement d’initiatives de ré-ensauvagement qui s’inscrivent dans le mouvement du rewilding. Incarnant une nouvelle vision de la gestion de la nature dans les parcs nationaux anglais, ces pratiques individuelles et collectives, varient selon les échelles et les espaces (Taylor, 2005; Lorimer et al., 2015; Sandom et Wynne-Jones, 2019). Si ces nouvelles pratiques tendent à cristalliser des tensions, notamment entre les propriétaires des communs à Dartmoor, elles impulsent des réflexions nouvelles relatives à la manière d’intégrer ce nouveau mode de gestion pour le parc national.
EN :
D.Smith et al. (2018) have recently suggested to apply the concept of wilderness gentrification in England and called researchers to pursue field research to test this hypothesis. This article aims to answer that suggestion and wishes to analyse the relevance of the wilderness gentrification concept in England’s National Parks. At difference stages of the process the wilderness appears essential for new inhabitants. It is one of the main reasons which explains their migration to the Dartmoor National Park, regarded by some to be the last wilderness in England. Therefore, considering their socio-economic profiles, their investment in the place suggests that they impulse dynamics of gentrification. Moreover, when greentrifiers transcribe their representations into practice, it appears that they tend to promote rewilding approaches at different scales. However, in Dartmoor, rewilding practices create new tensions between different social groups, especially with hill farmers. Within the Brexit context, rewilding seems to be taken seriously by the national park authorities as a new tool for nature conservation.
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Les gélinottes, les sangliers et les cerfs. L’émergence d’une vision cosmopolitique dans le conseil scientifique du Vercors
Gaëlle Ronsin et Coralie Mounet
RésuméFR :
Les aires protégées ont fondé leur légitimité sur des registres scientifiques. Mais aujourd’hui, le modèle d’une gestion environnementale rationnelle est battu en brèche par de nouvelles visions de la conservation, fondées sur la participation accrue de la société. La nouvelle composition du conseil scientifique (CS) du parc naturel régional et de la réserve naturelle nationale du Vercors en 2015 marque un tournant : une place accrue est accordée aux sciences humaines et sociales et aux activités socio-économiques. Deux dossiers sur lesquels le CS s’est prononcé, l’un sur la chasse aux cerfs et sangliers, l’autre sur la protection d’un oiseau, la gélinotte, ont été analysés dans cet article. Ils nous permettent de saisir comment cette ouverture se traduit en pratiques et en négociations voir (re)définitions des expertises et des savoirs à prendre en compte pour la gestion de la nature et, in fine, des visions de la protection de la nature dans les aires naturelles protégées. Ces évolutions et les résistances à leurs égards nous permettent ainsi de comprendre la façon dont les experts sont affectés par les cerfs, sangliers et gélinottes qui peuplent le Vercors.
EN :
Protected areas have based their legitimacy on scientific register. But today, the model of rational environmental management is critiziced. The public policies are characterized by an increasing participation of socio-economic actors. The new composition of the Scientific Council (CS) of the Regional Natural Park and the National Nature Reserve of Vercors appears as an example of these trends. Two cases of the SC, one on hunting deer and wild boar, the other on the protection of a bird, the hazel grouses, have been analyzed in this article. It helps to understand how this opening are translated into practices and negotiations or (re)definitions of expertise and knowledge to be taken into account for the management and finally, the definition of protected areas and nature conservation. These evolutions and resistances give a view of how experts are affected by deer, wild boar and hazel grouse that populate the Vercors.
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La mise en place du Parc naturel marin en Martinique : un révélateur du rapport inégalitaire entre le local et le global
Myriam Thirot, Philippe Palany, Jean-Raphaël Gros Désormeaux et Lise Tupiassu
RésuméFR :
La gestion de la conservation de la biodiversité marine pose des défis sociaux et politiques nécessitant un éclairage que peuvent apporter les sciences humaines. Les aires marines protégées, outil utilisé par la France, concernent les départements d’outre-mer, notamment par la création d’un Parc naturel marin à la Martinique, dans la Caraïbe insulaire. Comment les dimensions humaines – ici la pêche artisanale – sont-elles prises en compte dans le modèle de conception du Parc ? Dans un contexte marqué par des revendications postcoloniales, quels sont les rapports sociaux établis entre les acteurs institutionnels et les pêcheurs dans la mise en oeuvre d’un processus de conservation comme le Parc naturel marin ? Comment l’intérêt global rencontre-t-il les spécificités locales ? L’enquête sociologique menée en 2017 auprès d’une soixantaine de pêcheurs, enrichie d’une analyse des relations entre acteurs, permet d’une part d’identifier le rapport patrimonial particulier des pêcheurs à la biodiversité marine et d’autre part de comprendre comment et pourquoi la gestion globalisée et technocratique de la biodiversité marine se heurte aux représentations socioculturelles locales tout en s’intégrant dans des rapports centre (ou global)/périphérie (ou local) inégalitaires.
EN :
The management of the marine biodiversity présents social and political challenges which needs highlights from human sciences. The marine protected areas, tool used by France, concern the West Indies, through the implementation of a Marine Naturel Park in Martinique, a french island of Caribean. How human dimensions – small scale fisheries – are taken into account in the design model of the Marine Park ? within a postcolonial context marked by the history, what are existing social relationships between decision making actors and fishermen which affect the conservation design like Marine Park ? How combine global interestsand local specificites ? The sociological study conducted in 2017 with sixty fishermen, enriched by an analysis of the relationships between concerned actors, allow, first of all, to identify the particular legacy report between the fishermen and the marine biodiversity, and, in second, to understand how and why global and technocratic management of the marine biodiversity is facing local sociocultural representations and is integrating into unequal relationships between central (or global) and periphery (or local).
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Conserver la biodiversité avec les ONG en Nouvelle-Calédonie : décolonisation ou délégation de gestion ?
Mélissa Nayral et Marie Toussaint
RésuméFR :
Ce texte interroge le rôle important que deux ONG environnementalistes, CI et WWF, ont été amenées à jouer dans le processus de définition et de gouvernance de deux aires protégées situées dans la province nord de la Nouvelle-Calédonie. Ce territoire océanien atypique de l’Outre-mer français au statut juridique unique, reconnue comme un hotspot de biodiversité (Myers et al., 2000) est en effet marqué par un contexte politique particulier de décolonisation négociée. Celui-ci, qui inclue des transferts de compétences depuis la France vers cette « ancienne colonie non-décolonisée » (Demmer et Salomon, 2013) a déjà permis l’émergence de la préservation de la biodiversité comme enjeu politique de premier plan. De manière concomitante à l’inscription des préoccupations environnementales dans les agendas internationaux, et comme dans d’autres territoires (Aubertin, 2005; Léna, 2002), plusieurs Organisations Non-Gouvernementales (ONG) de conservation ont par ailleurs graduellement contribué à la définition des politiques publiques environnementales locales. À partir de deux études de cas, ce texte montre les mécanismes par lesquels ces ONG ont d’abord pris part au processus de révision des anciens parcs et réserves naturels du territoire avant de devenir des interlocuteurs incontournables et partenaires privilégiés des institutions.
EN :
This text questions the important role played by two major environmental NGOs, CI and WWF, in the process of defining and governing two protected areas located in the northern province of New Caledonia. With its unique legal status, this atypical Pacific territory of French overseas territories, now recognized as a hotspot for biodiversity (Myers et al., 2000), is indeed in the middle of a unique process of negotiated decolonization. This includes skills transfers from France to this "non-decolonized former colony" (Demmer and Salomon, 2013) that have already allowed the emergence of the preservation of biodiversity as a major political issue. With the concomitant inclusion of environmental concerns in international agendas, and very much like in other territories (Aubertin 2005, Léna 2002), several non-governmental conservation organizations (NGOs) have gradually contributed to the definition of environmental issues and local environmental public policies. Based on two case studies, this text shows the mechanisms by which these NGOs initially took part in the process of reviewing the former parks and natural reserves of the territory before becoming privileged partners of the local institutions.
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De la « Fortress Conservation » aux nouveaux modèles de gestion participative de la biodiversité en Tanzanie
Adriana Blache
RésuméFR :
Cet article analyse les nouveaux modèles de conservation de la biodiversité en Tanzanie en tant que « dispositifs » qui s’accompagnent d’un arsenal rhétorique légitimant la suppression de villages ou de surfaces significatives de terres villageoises. En prenant comme point de départ la constante de l’imaginaire exotico-colonial dans les représentations occidentales de la nature en Tanzanie, l’article pose la question de la légitimité des occupations dites « illégales » des forêts à la suite de ce que l’on pourrait qualifier d’injustices environnementales. Les modèles de conservation affichant une marque « participative et inclusive » relèvent davantage de la criminalisation des pratiques et usages antérieurs aux dispositifs et favorisent la multiplication de gardes et de police, plus qu’ils ne proposent une sensibilisation particulière dans une vision plus large de l’écologie politique. Alors que les modèles dits participatifs ont comme objectif affiché d’aller au-delà de la « conservation forteresse », ils accentuent les conflits fonciers dans les interstices des aires de conservation. Malgré les flux financiers internationaux qui drainent les projets de développement et de conservation environnementale, les résistances engagées de la part des occupants devenus « illégaux » contrastent avec la rationalité technique et dépolitisée des cartographies et frontières imposées.
EN :
This article analyses the new models of biodiversity conservation in Tanzania as an "apparatus" that is accompanied by a rhetorical arsenal legitimizing the removal of villages or significant parts of village land. Taking as a starting point the constancy of the exotico-colonial imagination in Western representations of biodiversity in Tanzania, the article raises the question of the legitimacy of so-called "illegal" forest occupations as a result of what could be described as environmental injustices. Conservation models with a "participatory and inclusive" label are more related to the criminalization of practices and uses prior to the devices and promote the multiplication of guards and police, rather than proposing a particular awareness within a broader vision of political ecology. While the stated objective of so-called participatory models is to go beyond "fortress conservation", they accentuate land conflicts in the interstices of conservation areas. Despite the international financial flows that irrigate the development and environmental conservation projects, the resistance engaged by the occupants, who have become "illegal" contrasts with the technical and depoliticized rationality of the imposed maps and borders.
Section courante
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La transition agroécologique permet-elle de renouer le lien aux non-humains ? Regards croisés d’écologue et de juriste
Danièle Magda, Isabelle Doussan et Sarah Vanuxem
RésuméFR :
L’objectif de cet article est de contribuer à l’analyse de l’évolution de nos relations au vivant non humain, en s’attachant à mettre à jour la nature des changements qui sont à l’oeuvre aujourd’hui au sein de la diversité des voies de la transition dite écologique. Notre démarche consiste à analyser ces changements dans le domaine de l’agriculture qui recouvre une grande variété de pratiques de gestion du vivant dont les plus intensives sont fortement remises en question. Notre choix s’est porté sur le cas des pratiques alternatives de sélection de semences et celui de la prise en compte de la sensibilité animale dans le cadre de l’élevage, pour lesquels les transformations s’accompagnent d’un discours sur une évolution du lien au vivant. Notre regard croisé de juristes et d’écologue a permis de montrer que les changements de nature de ce lien ne sont pas corrélés nécessairement aux changements de pratiques qui peuvent apparaître radicaux, mais pour lesquels le vivant reste néanmoins un objet-ressource. La relation au vivant qui se construit au contact du vivant animal ou végétal préexiste et se développe, mais demeure souvent invisible, car difficilement qualifiable et catégorisable. Cette non reconnaissance par la majorité des acteurs encadrant la profession agricole, même engagés dans la transition écologique, participe de la résistance, observée dans les deux cas étudiés, à opérer les changements nécessaires pour construire d’autres relations au vivant et les faire reconnaître. Dans la discussion, nous proposons d’explorer les perspectives apportées par la notion de communauté et de responsabilité pour dépasser radicalement la question de la mise à distance humains et vivants-non humains.
EN :
The objective of this article is to contribute to the analysis of the evolution of our relations with non-human living beings, by attempting to reveal the nature of the changes that are at work today within the plurality of paths of the so-called ecological transition. Our approach consists in analysing these changes in the field of agriculture, which covers a wide range of life management practices, the most intensive of which are strongly questioned. We chose the case of alternative seed selection practices and the consideration of animal sensitivity in breeding, for which the transformations are accompanied by a discourse on an evolution of the link to living organisms. Our cross-eye view of lawyers and ecologists has shown that the changes in the nature of this link are not necessarily correlated to changes in practices that may appear radical for which living organisms remain a resource object. The relationship to living organisms that is built in the sensory practice of living animals or plants pre-exists and develops, but often remains invisible because it is difficult to qualify and categorize. This non-recognition is part of the resistance, observed in the two cases studied, to make the changes necessary to build a "relational" relationship with living beings. In the discussion, we propose to explore the perspectives provided by the notion of community and responsibility to radically overcome the question of human and living - non-human distance.
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La transition agro-écologique : une politique de développement durable comme les autres ?
Mehdi Arrignon
RésuméFR :
Peut-on analyser les politiques de développement durable comme n’importe quel domaine des politiques publiques ? Jusqu’à aujourd’hui les questions environnementales ont disposé d’un statut à part dans l’analyse des politiques publiques. Dans un premier temps, l’article dresse les difficultés théoriques et historiques qui ont pu être un obstacle à la normalisation des études environnementales dans le domaine agricole. La deuxième partie de l’article est consacrée à l’analyse empirique d’un domaine de politique publique concerné par l’écologisation : le plan agro-écologique pour la France lancé en 2012. La troisième partie propose une remontée en généralité théorique, en proposant d’observer si les politiques agroécologiques peuvent être expliquées de manière heuristique à l’aide des grilles classiques du gouvernement à distance et du New Public Management.
EN :
Can we analyze environmental policies like any other public policy ? First we present theoretical and methodological difficulties of environmental policy analysis. Then we analyse a concrete public policy : agroecology. Finally we argue that agroecological policies can be explained thanks to public policy theories.
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Les résiliogrammes pour représenter la résilience : cas des territoires de la Charente-Maritime et de la Somme face au risque de submersion marine
Elie Chevillot-Miot
RésuméFR :
L’objectif de ce travail est de mettre en évidence le processus de résilience pratiqué versus l’analyse sémantique du concept de résilience issue d’un corpus d’ouvrages. La définition de la résilience persiste à diverger selon les domaines et les opinions. L’exemple ici s’appuie sur la résilience face à un événement de submersion marine majeur sur des territoires exposés et sensibles à court et à long terme : la Charente-Maritime et la Somme, afin d’étudier l’exhaustivité des capacités de résilience et de les comparer. Ces retours d’expérience tentent de comprendre les facteurs, les mécanismes, le processus de résilience à travers une représentation graphique baptisée « résiliogramme ». Les résiliogrammes reposent sur la réalisation d’entretiens semi-directifs auprès d’acteurs de terrain, de professionnels et d’organismes institutionnels qui jouent un rôle dans la dynamique des territoires. Ces entretiens abordent les thèmes du vécu, de la perception, du partage de l’information sur le risque et du savoir-faire en cas de crise. De multiples capacités constituent le processus de résilience. Toutefois celles-ci s’opposent à des temporalités, des spatialités diverses, aboutissant à des conflits pluridimensionnels. L’écart entre la résilience effective et la résilience sémantique s’accroît, donnant lieu à une gestion globale des risques et des crises composite et subcontraire au vu de l’incertitude des changements climatiques.
EN :
The study aims to highlight performed resiliency process compared to semantic analysis of resiliency concept based on literature. Resiliency definition depends on fields and opinions. This study focuses on resiliency at short and long term towards major marine flooding events on exposed and vulnerable territories: Charente-Maritime and Somme, in order to study and compare resiliency capacities. These feedbacks allow to understand resiliency factors, mechanisms, processes through a graphical representation called “resiliogram”. The method rests on semi-guiding surveys conducted on field workers, professional and institutional organisms contributing to the territory dynamism. These interviews permit to obtain the actors’ speeches according to their past, their perception, and information sharing concerning the risk and know-how during a crisis. Multiple capacities constitute the resiliency process. However, these capacities face different temporalities, spatialities leading to mutltidimensional conflicts. The gap between performed and semantic resiliencies increases leading to a partial and anachronistic global risks management, especially regarding climate changes.
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Un dispositif d’accès et de partage des avantages sans peuple autochtone ni communauté locale ou les omissions de la loi française pour la reconquête de la biodiversité
Pierre-Alain Collot
RésuméFR :
Le titre V de la loi pour la reconquête de la biodiversité promulguée le 08 août 2016 vise à transposer en droit interne le protocole de Nagoya et le règlement n° 511/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014. Plutôt que de s’appuyer sur la notion de communauté autochtone et locale voire de prendre en considération le caractère autonome de la notion de communauté locale, le législateur a fait le choix d’user de la notion de communauté d’habitants. La notion de communauté locale, propre au droit de l’environnement, est pourtant susceptible de satisfaire aux exigences de la jurisprudence constitutionnelle puisqu’elle ne consiste pas en une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance. Au-delà de la logique inhérente à la loi du 8 août 2016, la reconnaissance de communautés locales au coeur du dispositif d’accès et de partage des avantages doit permettre d’en corriger les multiples insuffisances tant en matière d’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles qu’en ce qui concerne le partage des avantages résultant de leur utilisation.
EN :
Title V of the law for the reconquest of biodiversity promulgated on 08 August 2016 aims to transpose into national law the Nagoya Protocol and the Regulation 511/2014 of the European Parliament and the Council of 16 April 2014. Rather than 'to support the notion of indigenous and local community or even to take into account the autonomous character of the notion of local community, the legislator has made the choice to use the notion of community of inhabitants. The notion of local community, which is specific to environmental law, is nevertheless able of satisfying the requirements of constitutional jurisprudence since it does not consist of a community of origin, culture, language or belief. Beyond the logic inherent in the law of 08 August 2016, the recognition of local communities at the heart of the access and benefit-sharing mechanism must make it possible to correct the multiple shortcomings both in terms of access to genetic resources and traditional knowledge with regard to the sharing of benefits arising from their use.
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Une démarche originale de gestion concertée pour préserver la quiétude de la faune sauvage : Biodiv’sports de montagne
Clémence Perrin-Malterre
RésuméFR :
Si la pratique des sports de nature est en croissance, notamment dans les espaces montagnards, cela n’est pas sans conséquence sur la faune sauvage emblématique de ces territoires. Des démarches de gestion concertée se mettent alors en place dans le but de proposer un partage de l’espace afin que chacun puisse profiter du milieu naturel, tout en le préservant. C’est notamment le cas de la démarche Biodiv’sports de montagne. Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons à la construction d’accords et de compromis entre les différents acteurs (sportifs, naturalistes et gestionnaires d’espaces protégés) impliqués dans cette démarche. En nous appuyant sur la théorie de la justification, nous mettons à jour les argumentaires développés autour des usages justes et légitimes de la nature ainsi que les principes d’équivalence à la base d’un compromis entre les acteurs. Ce compromis met en jeu de nouveaux ressorts relationnels entre les acteurs, notamment lorsque les naturalistes ouvrent aux pratiquants un domaine qui leur est d’ordinaire strictement réservé. Ce processus aboutit à une gestion patrimoniale « en bien commun » de l’espace naturel.
EN :
The increase of practice of outdoor sports, especially in mountain areas, could impact emblematic wildlife of these territories. Collaborative management approaches are developed in order to offer a sharing of space, so that everyone can enjoy the natural environment, while preserving it. This is particularly the case of the Biodiv'sports of mountain approach. The aim of this article is to analyse the construction of agreements and compromises between the different stakeholders (sportsmen, naturalists and protected areas’ managers) involved in this process. Based on the theory of justification, we show the arguments developed by the stakeholders about the legitimate uses of nature, as well as the equivalence principles underlying the compromise between the stakeholders. This compromise involves new relationships between the stakeholders. This process results in management "as a common" of the natural area.
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Le bénévolat, un soutien au maraîchage professionnel agroécologique en phase d’installation
Julie Hermesse, Maëlle Van der Linden et Lou Plateau
RésuméFR :
Cet article questionne l’apport de main d’oeuvre bénévole dans les exploitations agroécologiques sur petites surfaces. En recourant de manière volontaire à une motorisation limitée ainsi qu’à des principes de production écologiques, la main d’oeuvre s’avère être une ressource précieuse. Quelle soit professionnelle, familiale, amicale ou officialisée dans le cadre d’une convention de stage ou de bénévolat, toute force de travail est la bienvenue dans la phase de démarrage d’une exploitation maraîchère. Les dispositifs expérimentaux de maraîchage alliant maraîchage professionnel et bénévoles nous invitent à réfléchir aux conditions nécessaires en matière de ressources sociales et organisationnelles pour lancer une exploitation et pour pérenniser économiquement et socialement leurs activités professionnelles. Cet article souhaite contribuer à une réflexion sur le lien entre la mobilisation de bénévoles et la viabilité des alternatives économiques.
EN :
This article questions the contribution of voluntary labour in agroecological gardening on small surfaces. When voluntarily resorting to limited motorization as well as ecological principles of production, labour proves to be a precious resource. Whether it be professional, family, amical or officialized, within the context of a training agreement or voluntary work, every labour source is welcome during the launch phase of a market-gardening project. These two observations lead us to pose the following hypothesis: having a voluntary work force is a factor, which can contribute to the successful installation of an agroecological market gardening project. The reflections proposed result from participative observations and analyses carried out in a participative way with market-gardening project stakeholders about their working hours and those contributed by volunteers in their fields. These experimental gardening arrangements, combining professional and voluntary market gardening, invite us to reflect on the conditions needed – in the area of social and organizational resources - for launching a project and making their professional activities economically and socially durable. Lastly, and more broadly, this article wishes to contribute to reflection on the connection between the mobilization of volunteers and the viability of economic alternatives.
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Réglementer au plus près des territoires : le cas de la ressource en eau en France
Sophie Liziard, Rémi Barbier et Sara Fernandez
RésuméFR :
En France, depuis l’adoption de la loi sur l’eau de 1992, la gouvernance territoriale de l’eau et des milieux aquatiques s’est progressivement structurée - avec de fortes variations géographiques - autour des Schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) élaborés par les Commissions locales de l’eau (CLE). La loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 a renforcé ce dispositif en intégrant dans les documents du SAGE un règlement opposable aux tiers et aux actes administratifs. Les CLE doivent ainsi définir, de manière locale et concertée, les règles nécessaires à l’atteinte des « objectifs majeurs » du plan d’aménagement et de gestion durable (PAGD). Près de quinze ans après leur introduction, l’étude du contenu des règlements, par la constitution et l’analyse d’une base de données des règles, montre la variété avec laquelle les CLE s’emparent de ce levier d’action afin de l’adapter aux besoins et conditions locales. Elle renseigne aussi sur la manière dont les CLE, dispositifs de gouvernance à mode de fonctionnement plutôt consensuel, se saisissent de cet outil juridique potentiellement contraignant.
EN :
In France, since the adoption of the 1992 water act, “water development and management schemes” (“Schémas d’aménagement et de gestion des eaux” or SAGE for their French acronym) elaborated by Local Water Committees (“Commissions locales de l’eau” or CLE for their French acronym) have gradually organized local governance of water and aquatic environments, with great geographical disparities. The 2006 water act modified the scope of SAGE. The act, indeed, made compulsory defining a set of legally binding rules. These rules complement the main document of the SAGE that specifies strategic priorities for a given hydraulic territory, objectives to be reached and the means to achieve them. CLE must define, in a local and concerted manner, coercive rules necessary to reach these major objectives. Almost fifteen years after their introduction, our study, based on a database of rules and statistical analyzes, investigates how CLE, a rather consensual mode of governance, have tackled their new regulatory power and adapted rules to local needs and conditions.