
VertigO
La revue électronique en sciences de l’environnement
Volume 15, numéro 3, 2015 Mettre à l’épreuve l’acceptabilité sociale (partie 1) Sous la direction de Jérôme Boissonade, Tom Bauler, Remi Barbier, Marie-Josée Fortin, Frédérick Lemarchand, Emmanuel Raufflet et Yann Fournis
Sommaire (16 articles)
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Une définition territoriale de l’acceptabilité sociale : pièges et défis conceptuels
Yann Fournis et Marie-José Fortin
RésuméFR :
Notion embarrassante, l’« acceptabilité sociale » gagne progressivement en crédibilité à la fois en termes scientifiques et sociaux. Au Québec, des recherches dynamiques permettent, dans une certaine mesure, d’en offrir une définition dépassant une part de ses biais initiaux pour explorer certaines dynamiques de la crise actuelle du modèle de développement lié aux ressources naturelles dans la Province. En particulier, elle peut mettre en évidence la dé-légitimation d’un certain type historique de développement économique (qui n’est plus acceptable d’emblée) et les vifs débats de société que cette crise implique lors de la mise en oeuvre de certains grands projets. En ce sens, la notion permet de réexaminer avantageusement les rapports entre technologie et territoire, à condition de privilégier une acception dynamique et souple (en termes d’« acceptabilité » et non d’« acceptation »), politique (et non fonctionnaliste) et spécifiquement territoriale (et non générique ou abstraite). Sur cette base, nous proposons une grille d’analyse des processus à l’oeuvre dans l’évaluation collective d’un projet au sein d’un territoire, distinguant trois échelles (macro-économique, meso-politique et micro-sociale). Articulant les orientations historiques de développement, les luttes de légitimité et les controverses et négociations socio-techniques, cette définition entend prendre au sérieux l’un des grands oubliés du développement économique : les territoires, pour examiner s’ils peuvent se constituer en acteur de leur développement.
EN :
Embarrassing, the notion of "social acceptability" is gradually gaining credibility both in scientific and social terms. In Quebec, some dynamic researches allow, to some extent, to offer a definition avoiding partially its initial bias to explore some dynamics of the current crisis of the model of development based upon natural resources in the Province. In particular, it can highlight the delegitimization of a certain historical type of economic development (which is no longer immediately “acceptable”) and the fierce society debates that this crisis entails during the implementation of some major projects. In this sense, the notion allows to conveniently re-study the relationship between technology and territory, providing that we chose a dynamic (in terms of “acceptability” and not “acceptance”), political (and non-functionalist) and specifically territorial (and not generic or abstract) sense. On this basis, we propose an analytical grid of the processes at work in the collective assessment of a project within a territory, distinguishing three scales (macro-economic, meso-political and micro-social). Linking historical trends of development, struggles of legitimacy and socio-technical controversies and negotiations, this definition intends to take account seriously one of the forgotten factors of economic development: the territories, to examine if they can become actor in their own development.
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Acceptabilité sociale : partager l’embarras
Rémi Barbier et Alain Nadaï
RésuméFR :
L’« acceptabilité sociale » est devenue un registre de qualification incontournable pour tout projet technologique. Loin d’être un phénomène provisoire, lié à un déficit conjoncturel d’accompagnement des projets, ce caractère incontournable a une dimension structurelle, liée aux inévitables mises à l’épreuve des dispositifs sociotechniques et de leur assemblage. L’article introduit une distinction entre enjeu et problème d’acceptabilité. Le premier terme désigne une condition inhérente au travail d’assemblage de tout dispositif sociotechnique, bien analysée par la sociologie des sciences et techniques. Le second pointe une configuration dans laquelle cet enjeu prend une dimension et un mode de régulation publics. L’analyse sociologique des processus d’assemblage de dispositifs sociotechniques (l’enjeu d’acceptabilité) nous permet de mettre en perspective le problème d’acceptabilité comme épreuve de réouverture de cet assemblage. Nous décrivons, à partir des analyses empiriques disponibles, les contours et les dynamiques de cette épreuve, ainsi que ses effets potentiels. Il ressort de cet ensemble que les épreuves d’acceptabilité demeurent fondamentalement ambivalentes. Les usages sociaux de l’expression, les cadrages potentiellement très orientés dont elle peut faire l’objet dans la pratique, à l’occasion des problèmes d’acceptabilité, suggèrent une prudence d’engagement du côté des sciences sociales. La description de ces problèmes d’acceptabilité comme épreuves de réouverture des assemblages sociotechniques, nous permet de dériver quelques critères pour un engagement prudent des chercheurs dans l’accompagnement de ces épreuves.
EN :
The rise of "social acceptability" as an inevitable - somewhat embarrassing - dimension in the assessment of technological projects should not be regarded as a temporary occurrence, related to occasional governance deficits. In this paper, we take it as a structural phenomenon and relate it to the inevitable trials that socio-technical devices face in their emergence – i.e. the process of their assemblage - and after. Accordingly, we propose to distinguish between the "issue" and the "problem" of acceptability. The former refers to a condition that is inherent to the assemblage of any socio-technical device and has been well analyzed by the sociology of science and technology, the latter points at a specific configuration in which the issue takes on a public dimension and a public mode of regulation. Stepping back to the sociological analysis of the assemblage of socio-technical devices - the "issue" of acceptability - allows us to regard the "problem" of acceptability as a trial aimed at re-opening this assemblage. We rely on available empirical material in order to describe the contours and the dynamics of acceptability trials as well as their potential effects. We show that the usages of the term "acceptability" in these trials convey problematic framings and that the outcomes of these trials remain fundamentally ambivalent. As far as social sciences are concerned, these elements call for prudence in our engagement. Describing the ‘problem’ of acceptability as a trial allows us to derive some guiding criteria for a cautious engagement.
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L’expérimentation sociotechnique fondée sur les sciences comportementales : un instrument au service de la production de l’acceptabilité sociale ?
Benoit Granier
RésuméFR :
Dans la continuité de sa mobilisation par les praticiens, la notion d’acceptabilité sociale suscite depuis quelques années un intérêt croissant, combiné à un certain embarras, auprès des chercheurs en sciences sociales. Cet article contribue aux efforts récents de clarification et de questionnement de cette notion à partir d’un programme national d’expérimentation sociotechnique consacré aux réseaux électriques « intelligents » au Japon. Bien que quatre « Smart Communities » aient été sélectionnées pour porter cette expérimentation, ce cas d’étude présente la spécificité d’être impulsé par l’État japonais. Elles s’inscrivent dans la stratégie nationale de production de l’acceptabilité sociale des réseaux électriques « intelligents » et des nombreux produits, équipements et services qui leurs sont associés. Cet article analyse les dispositifs concrets mis en oeuvre dans le cadre de ces expérimentations, en prêtant une attention particulière aux savoirs sur lesquels ils se fondent. Les Smart Communities mobilisent les résultats des sciences du comportement (psychologie sociale, économie comportementale) et les techniques du marketing afin de s’assurer de l’acceptation à la fois passive et active des usagers. Le recours à l’expérimentation constitue un mode de production de l’acceptabilité sociale hybride et s’inscrit également dans un processus plus large de gouvernementalisation des pratiques qui consomment de l’énergie, qui n’est paradoxalement pas adossé à une argumentation écologique.
EN :
Following its mobilisation by practitioners, the notion of social acceptability has been sparking interest and causing embarrassment among social scientists. This article contributes to the recent effort to clarify and question this notion, taking a national programme of socio-technical experimentation dedicated to smart grids in Japan as a case study. Although four “Smart Communities” have been designated, the peculiarity of this programme is the fact that the Japanese state is the initiator and supervisor of the experimentation. The latter is part of the state and private sector led strategy for producing the social acceptability of smart grids and their related products, equipments and services. This article analyses the concrete policy tools implemented, with a specific focus on the knowledge they are based upon. Smart Communities mobilise results from research in behavioural sciences (social psychology, behavioural economics) and marketing techniques in order to ensure the passive and active acceptance of users. The implementation of socio-technical experimentation allows for a hybrid way of producing social acceptability which is also part of a broader process of governmentalisation of practices that use energy which is paradoxically not based on ecological arguments.
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Quelle réception sociale pour l’ingénierie écologique industrielle ? L’insertion socio-territoriale des zones humides artificielles
Marion Amalric, Claudia Cirelli et Corinne Larrue
RésuméFR :
Parmi les fonctions écologiques des zones humides, celle d’épurer les eaux est reproduite dans des zones de rejet végétalisées (ZRV), placées en sortie de station d’épuration. Au sein de ces méthodes épuratoires, un prototype original répond au double enjeu de tirer parti de l’intérêt écologique des milieux humides et de contrôler des processus naturels associés à la création de la biodiversité. L’industriel qui l’a conçu vise à développer un produit standardisé aux traitements garantis et au fort potentiel « vert ». Des chercheurs en sciences sociales ont été sollicités pour rendre compte des représentations sociales des acteurs concernés par ce « produit » et proposer une étude de la « réception sociale » par les habitants et les élus de dispositifs « socio-techniques ». Pour ce faire, une méthode qualitative reposant sur des focus groups, outil particulièrement adapté à l’élicitation des représentations est adoptée. La thèse principale est que si la zone humide artificielle peut faire l’objet d’une adhésion de principe de la part des acteurs locaux, son insertion socio-territoriale est un processus plus complexe qui implique la prise en compte d’autres facteurs (économiques, sociaux, paysagers…) et à des échelles diverses. La présentation des différents facteurs de réception sociale des ZRV permet de détailler les facteurs d’adhésion et de rejets. Ils sont mis en regard avec les intentions des industriels investis dans le projet, montrant que les arguments de la biodiversité et d’une politique « verte » ne rencontrent qu’un faible écho auprès des populations interrogées. Ces derniers valorisent plus volontiers le caractère innovant du dispositif et sa participation aux dynamiques territoriales.
EN :
One of the main functions of natural wetlands is water treatment. Some industrial companies developed “Constructed wetlands” (CW) they added at the outlet of Waste Water Treatment Plant (WWTP) to improve water treatment and also to enhance ecological diversity. It is meant to create a standardised product, with a “green” content. Social sciences researchers involved in a research program on the topic were asked to evaluate the “social reception” (rather than acceptability) of the product. They used focus groups methodology to extract social representations of stakeholders concerning the constructed wetlands. The issue of the paper is to show that the acceptance of CW is more related to social, economical or landscape dimensions than to the technical reality of such a “product”. First, we show what are the factors of appreciation and of rejection. Then we show that biodiversity and green policies are not as well as valuated than the innovative dimension and territorial integration of CW.
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Conflits et stratégies d’acceptabilité sociale autour des énergies marines renouvelables sur le littoral français
Annaig Oiry
RésuméFR :
L’océan mondial possède un important potentiel en termes de ressources énergétiques renouvelables, et les territoires littoraux français sont particulièrement propices au développement des parcs éoliens offshore et des sites d’exploitation de l’énergie hydrolienne. Pourtant, la multiplicité d’usages aux pratiques parfois contradictoires génère de nombreux conflits en zone côtière : aux activités « traditionnelles » (tourisme, pêche professionnelle, etc.) se superposent l’intensification de certaines pratiques (comme l’extraction de granulats marins) ou le développement de nouvelles activités (énergies marines renouvelables, aquaculture offshore, etc.). Cet article insiste sur le lien entre ces conflits d’usages et les stratégies d’acceptabilité développées par les porteurs de projets en ce qui concerne les énergies marines renouvelables. L’acceptabilité sociale de ces énergies engendre notamment des questions concernant les instances de concertation ou encore la pratique de compensations pour les acteurs qui perçoivent une modification de leurs intérêts.
EN :
The ocean provides an important source of potential renewable energy resources and France has marine territory that is particularly conductive to the development of offshore wind energy and tidal energy. However, in coastal areas, a lot of human conflicts arise from numerous uses that may be antagonistic: in addition to "traditional" activities (tourism, commercial fishing, etc.) have been superimposed the intensification of certain practices (extraction of marine aggregates) or new activities (marine renewable energies, offshore aquaculture, etc.) This article stresses on relationships between uses conflicts and acceptability strategies which are developed by project leaders concerning marine renewable energies. In particular, the social acceptability of these energies involves questions about consultation meetings or compensation for stakeholders who perceive some of their interests to be modified.
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Mesurer l’acceptabilité sociale d’un projet minier : essai de modélisation du risque social en contexte québécois
Kristina Maud Bergeron, Michel Jébrak, Stéphanie Yates, Charles Séguin, Valérie Lehmann, Pierre-Yves Le Meur, Philippe Angers, Suzanne Durand et Corinne Gendron
RésuméFR :
L’acceptabilité sociale des projets miniers constitue un enjeu majeur pour l’industrie extractive. La littérature qui traite de la notion d’acceptabilité sociale en lien avec le monde minier se décline autour du concept de permis social d’opérer, c’est-à-dire comme un moyen d’éviter les perturbations susceptibles de compromettre les activités extractives. Cette vision réductrice transpose dans l’espace sociétal la dynamique d’implantation des projets miniers. De plus, la notion même d’acceptabilité sociale pose des difficultés de définition et de mesure. En nous inscrivant dans le monde de la pratique, nous proposons un indice visant à déterminer les risques de développement de conflits de l’entreprise avec la collectivité locale lors des premières étapes du développement des ressources minérales, au début de l’exploration avancée. Il s’applique au Québec. Le modèle utilisé repose sur une description analytique des principaux déterminants des conflits, s’articulant autour de trois pôles structurants : communauté(s) en présence, entreprise promouvant le projet, nature intrinsèque du projet minier et de son milieu naturel. Un questionnaire visant à qualifier la dynamique de communication vient compléter l’évaluation de la situation, tout en laissant davantage place aux perceptions. Les différentes variables sont pondérées et combinées afin d’obtenir un indice de risque social. L’indice est utilisable par les investisseurs, les entreprises minières, les communautés et les gouvernements. Il facilite l’identification des aspects pouvant générer plus de risque social, et le développement de dialogue entre les parties prenantes. Cet article reflète la perspective interdisciplinaire adoptée pour mener à bien le projet.
EN :
Social acceptability of mining projects is a major issue for the extractive industry. The literature considering social acceptability in connection with the mining world discusses a concept called the social licence to operate, as a way to avoid disturbance that could compromise extractive activities. This reductive vision is a transposition in the social world of mining projects establishment dynamics. Moreover, there are definitional and measurement difficulties associated with the notion of social acceptability itself. With the view of being useful to actors involved in real-life situations, we created an index that determines the risk for conflict development between a company and a local community during the first stages of mineral resources development, at the beginning of advanced exploration. It is applicable to the Province of Quebec. The model is based on an analytical description of the main determinants of conflicts, articulated around three structuring poles : affected community-ies, the company promoting the project, and the project itself in its natural environment. A questionnaire is used to qualify the communicational dynamics, and completes the evaluation of a given situation while giving space to perceptions. The identified variables are weighted and combined to get the social risk index. The index can be used by investors, mining companies, communities and governments. It facilitates the identification of aspects that can generate more social risk and the development of a stakeholder’s dialogue. This article reflects the interdisciplinary approach adopted for this project.
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La compensation au service de l’acceptabilité sociale : un état de l’art des apports empiriques et du débat scientifique : réflexions au service du développement de l’énergie éolienne en mer
Charlène Kermagoret, Harold Levrel et Antoine Carlier
RésuméFR :
La transition énergétique amorcée à l’échelle internationale implique des enjeux d'acceptabilité qu’il est nécessaire de surmonter pour assurer sa réussite. En Europe, les politiques qui accompagnent cette transition énergétique fixent des objectifs à très courts termes dont celui de développer et de diversifier les sources d’énergies renouvelables d’ici 2020. L’intérêt de développer ces technologies pour limiter les émissions de gaz à effet de serre est largement admis à l’échelle européenne et nationale et invoqué par l’État afin de légitimer les projets actuellement en cours. Cependant, nombreux sont les projets déclarés d’intérêt général par l’État qui, à l’échelle territoriale, amènent à des conflits entre les objectifs de développement économique, les objectifs de conservation de la biodiversité et les objectifs de protection des intérêts sociaux. Dans ce contexte, la compensation est souvent invoquée et permettrait de faciliter l’acceptabilité sociale des projets. Définie en fonction des impacts sociaux et écologiques du projet, la compensation cherche à préserver les intérêts territoriaux sans remettre en question la légitimité du projet. Pourtant, l’effet de la compensation sur l’acceptabilité sociale des projets d’aménagement, et plus précisément des infrastructures énergétiques, demeure un point largement discuté au sein de la littérature scientifique. L’étude, basée sur une revue de la littérature scientifique, dresse le panorama de ces apports empiriques et du débat qui alimente les réflexions sur la manière dont la compensation opérationnalise le concept d’acceptabilité dans un contexte de développement des énergies marines renouvelables. Cette synthèse offre une vision des travaux de recherche conduits dans la sphère scientifique internationale et permet de mieux positionner les recherches futures à mener dans le domaine des Énergies marines renouvelables couplé aux sciences sociales.
EN :
The Energy Transition involves governance issues which need to be overcome to ensure its success. In Europe, the policies that accompany this energy transition have fixed very short term goals such as the diversification and the development of renewable energy sources by 2020. The benefits of developing these technologies for limiting greenhouse gases emissions is widely accepted at European and national level and is frequently invoked by the State for legitimizing the current projects. However, many projects declared of public interest by the State lead to conflicts, at the territorial level, between the objective of economic development, and those of biodiversity conservation and of social interests protection. In this context, the compensation is often deployed for facilitating the social acceptability of projects. Defined according to the social and environmental impacts of the project, it seeks to preserve the territorial interests without challenging the legitimacy of the project. However, the effect of the compensation on social acceptability of development projects, specifically in energy infrastructure, remains a widely discussed point within the scientific literature. The study, based on a scientific literature review, gives an overview of the empirical contributions and debate which feed the reflexions on how the compensation operationalize the concept of acceptability in a marine renewable energy development context.
Section courante
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Réflexion sur la notion de services écologiques : étude de cas à Kotoudéni (Burkina Faso)
Ali Bene et Anne Fournier
RésuméFR :
La notion de « services écosystémiques » a été introduite dans un but de conservation pour éclairer les liens entre la dynamique de la biodiversité et les valeurs que les humains lui accordent. L’article examine comment les propos des habitants d’un village de la province du Kénédougou au Burkina Faso, Kotoudéni, peuvent être traduits en termes de services écosystémiques. Des enquêtes semi-structurées menées auprès de 23 personnes ont eu pour but de situer socialement les interlocuteurs et de susciter leur discours sur les divers espaces de leur terroir, leur importance relative, les utilisations propres à chacun, mais également sur les religions, la « tradition » et les changements environnementaux et sociaux en cours. L’analyse de ces discours a permis de dégager une conception locale et paysanne des « services écosystémiques » qui a été confrontée aux catégories de la classification du MEA (2005). Les usages matériels mentionnés correspondent assez bien aux catégories du MEA, mais le principal service rendu par les écosystèmes est d’ordre spirituel : organiser le monde et assurer son harmonie par l’intermédiaire d’êtres invisibles (ancêtres et génies). Vouloir faire entrer ce service spirituel dans la catégorie des services culturels revient à le défigurer et à en nier la portée. La conclusion est qu’une telle catégorisation standardisée ne peut permettre de rendre compte des services culturels : pour ceux-ci le recours à des approches plus large de type anthropologique reste nécessaire.
EN :
The concept of "ecosystem services" was developed to promote conservation and is intended to throw light on how changes in biodiversity over time relate to human appreciations of it. The authors examine to how well the perceptions of the residents of a village, Kotoudéni, in the Kenedougou province of Burkina Faso may be captured by this notion. Semistructured interviews were conducted with 23 inhabitants to determine their social status and elicit comments on the component zones of the local landscape (terroir villager), the relative importance of those zones, their distinctive uses, the religions, “tradition” and the interviewees’ reactions to ongoing environmental and social change. The local farmers’ understanding of "ecosystem services" as revealed in the course of these interviews is here contrasted with the categories of the MEA classification (2005). While the material uses match rather well the MEA categories, the main service provided to the local residents by their ecosystems is the organization of their world and a guarantee of harmony within that world through the action of invisible beings (ancestors and genies). Trying to insert this spiritual service in the category of cultural services is equivalent to disfigure it and deny its significance. This leads to the conclusion that such a standardized categorization cannot grasp cultural services : for them the use of wider anthropological approaches remains necessary.
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Mettre cartes sur table et parler de son territoire de l’eau : un (en)jeu pour les acteurs ?
Fabienne Barataud, Aude Arrighi et Amandine Durpoix
RésuméFR :
La construction collective de solutions sur des territoires où s’exprime un problème de qualité de la ressource en eau se heurte bien souvent à la difficulté qu’ont les acteurs locaux à partager différents points de vue sur un objet commun. Un nouvel outil a donc été conçu qui permet l’expression des points clés tels que perçus par chaque acteur concernant son territoire de l’eau. Cet outil est composé de cartes (format cartes à jouer) sur lesquelles figurent des pictogrammes illustrant des thématiques multiples liées à la question de la qualité de l’eau. Il a été testé sur cinq Aires d’Alimentation de Captage lors d’entretiens individuels. Ce test a permis de vérifier que l’outil est complet et qu’il permet aux acteurs de structurer leur discours en faisant émerger, de façon satisfaisante pour eux, les éléments qu’ils jugent explicatifs de leur territoire. On a vérifié que ces territoires, bien que contraints par un même cadre réglementaire, sont loin d’être identiques dans leurs éléments structurants et explicatifs, et que les visions portées sur un même territoire par différents acteurs ne sont pas concordantes, mais liées à leurs objectifs propres. Rendre ces différences de perceptions explicites pour les acteurs locaux est important pour la construction de solutions efficaces et acceptables localement. L’originalité et l’intérêt principal de ce nouvel outil résident dans la plasticité (un même visuel « absorbe » des discours variés) et la neutralité des cartes, ce qui éloigne les discours de positions et encourage, au contraire, l’expression de besoins ou l’analyse de la situation.
EN :
The collective construction of solutions in territories challenged by water supply problems often runs up against the difficulty local stakeholders have in sharing different views about the same subject. So a new tool has been designed which expresses key points concerning water resources in their territory as perceived by each stakeholder. This tool is composed of cards displaying pictograms that illustrate multiple themes associated with the question of water quality. It was tested using individual interviews in five catchment areas. This trial was carried out to ensure that the tool is complete and that it enables stakeholders to structure their responses by revealing, to their own satisfaction, those elements that they judge to be explanatory of their territory. It was then verified that, although they are restricted by the same regulatory framework, these territories are far from being identical in their structural and explanatory elements, and that the different stakeholders’ visions for the same territory do not tie in with each other, but are linked to their own objectives. Making these differences of visions explicit for the local actors is important for the construction of effective and acceptable local solutions. The originality and main interest of this new tool resides in the plasticity (the same visual ‘absorbs’ a variety of statements) and neutrality of the cards, which distances the remarks from positions and, on the contrary, encourages the expression of needs or an analysis of the situation.
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Transition énergétique et fragmentation territoriale : une analyse prospective appliquée à la Wallonie
Thierry Bréchet, Christian Dessouroux, Fiorella Quadu et Simon Verelst
RésuméFR :
La transition énergétique consiste à passer de sources de production d’énergie polluantes et épuisables à des sources moins polluantes et durables, mais aussi à passer à une consommation parcimonieuse de l’énergie. Cette transition est l’un des défis majeurs dans les années à venir. Cet article s’intéresse à la dimension territoriale de cette transition. À l’aide d’une méthode prospective à la fois qualitative et quantitative, il cherche à donner un visage au processus de fragmentation territoriale, sociale ou économique dans le contexte d’une transition énergétique à l’horizon 2050. La question traitée dans cet article est la suivante : la transition va-t-elle exacerber les inégalités socio-énergétiques entre les communes wallonnes ? Représente-t-elle un risque ou, au contraire, une opportunité pour la cohésion territoriale ?
EN :
Energy transition consists in a shift from polluting and exhaustible resources to clean and renewable ones, but also in a move towards energy parsimony. This transition is one of the major challenges our economies face today. In this paper we are interested in the territorial impacts of such a transition. We develop a prospective method, combining a qualitative approach with a quantitative model, to address the following questions : would the energy transition make territorial discrepancy sharper ? Is it a threat to or an opportunity for territorial cohesion ?
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Dynamique forestière post-conflits armés de la Forêt classée du Haut-Sassandra (Côte d’Ivoire)
Charles Yao Sangne, Yao Sadaiou Sabas Barima, Issouf Bamba et Claude-Thierry Aké N’Doumé
RésuméFR :
La forêt classée du Haut-Sassandra considérée comme l’une des forêts classées les mieux protégées de la Côte d’Ivoire connaît aujourd’hui plusieurs intrusions dans ses limites conventionnelles à la faveur de la crise militaro-politique dans le pays, de 2002 à 2011. De nombreux fronts pionniers ont été ouverts et ont entraîné le défrichement de plusieurs milliers d’hectares de forêts naturelles suivi d’installation de cultures de rente notamment le cacaoyer. C’est dans ce conteste que le présent travail tente d’évaluer les surfaces forestières restantes de cette aire protégée anciennement contrôlée par les groupes armées rebelles à l’autorité gouvernementale. De façon spécifique, il s’est agi d’une part de cartographier l’occupation du sol du nord de la forêt classée du Haut-Sassandra et de sa périphérie Nord en 2001 et 2013 et, d’autre part, de suivre la dynamique des différents types d’occupation du sol de 2001 à 2013. À cette fin, deux images satellitaires Spot 4 du 14/12/2001 (scène 190.53) et Spot 5 du 28/12/2013 (scène 192.53) ont été acquises et traitées. Il ressort de ces travaux que les surfaces des forêts denses humides naturelles ont fortement régressé dans la zone d’étude et sont passées de 37749 hectares en 2001 à 7844 hectares en 2013 (soit 79, 22 % de régression). Au contraire, les surfaces des mosaïques jachères-cultures ont fortement augmenté et sont passées de 9910 hectares à plus de 36 374 hectares. Du massif forestier du Nord de la forêt classée du Haut-Sassandra, ne subsiste aujourd’hui que des lambeaux de forêts généralement dégradées.
EN :
The classified forest of Haut-Sassandra which is considered as the best protected classified forest of Côte d’Ivoire, knows several intrusions in its conventional limits supported by the military political crisis in the country, and which lasted from 2002 till 2011. Several pioneers fronts were opened and entailed the clearing of several thousand hectares of natural forests followed by installation of cash crop in particular the cocoa. In this context, the present work tries to estimate the remaining forest surfaces of this protected area mainly in the North, previously controlled by armed groups rebel to Governement authority. On the one hand, this work aims to map the land use of the North of the classified forest of Haut-Sassandra and its periphery in 2001 and 2013 ; and on the other hand to follow the dynamics of the forest cover and these land use types from 2001 till 2013. To achieve these objectives, two Spot images from Spot 4 of 14/12/2001 (scene 190.53) and Spot 5 of 28/12/2013 (scene 192.53) were acquired and treated. This study revealed that the surfaces of the natural rain forests strongly declined and passed from 37749.06 hectares in 2001 to 7 844.62 hectares in 2013 (that is 79.22 %). On the contrary, the surfaces of mosaics fallows-cultures strongly increased and passed from 9 909.74 hectares to more than 36 374 hectares. Of the forest massif of the North of the classified forest of Haut-Sassandra, it remains only scraps of generally degraded forests today.
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Favoriser la restauration de la biodiversité en milieu urbain : les facteurs de réussite dans le cadre de quatre projets de restauration
Boutaina El Jai et Diane Pruneau
RésuméFR :
La biodiversité en ville joue un rôle très important dans l’équilibre de notre planète. La présence d’éléments naturels améliore la qualité écologique, sociale, environnementale et esthétique d’un milieu urbain. Le retour de la biodiversité en ville peut être promu grâce à diverses structures tels les corridors écologiques, les passages fauniques, les toits verts et les plantes grimpantes. L’objectif de l’étude de cas qualitative était d’identifier les facteurs qui favorisent la restauration de la biodiversité en ville. Quatre projets de restauration de la biodiversité ont été étudiés dans les régions de Montréal et de Québec. L’analyse des entrevues menées avec des acteurs des projets a permis de déterminer diverses catégories de facteurs, dont les facteurs sociaux, politiques, techniques et écologiques. Selon les répondants, ce sont principalement les facteurs sociaux qui favorisent la réussite des projets de restauration de la biodiversité. Parmi les facteurs sociaux, on retrouve l’acceptation et l’adhésion citoyenne ; l’éducation et la sensibilisation des citoyens ; la participation des résidents ; le choix des emplacements des sites de restauration ; l’implication des ONG et la couverture médiatique. L’acceptation sociale des mesures de restauration de la biodiversité implantées émerge comme le plus important facteur. La réussite d’un projet de restauration de la biodiversité en ville repose donc en grande partie sur l’adhésion des citoyens.
EN :
Biodiversity in the city plays a very important role in the balance of our planet. The presence of natural elements improves the ecological, social, environmental and aesthetic quality of the urban environment. The presence of biodiversity in the urban landscape can be promoted through various structures such as ecological corridors, wildlife crossings, green roofs and vines. The objective of the qualitative case study was to identify the ecological, technical and environmental factors that influence the restoration of biodiversity in the city. Four biodiversity restoration projects were studied in the Montreal and Quebec areas. Analysis of interviews with project stakeholders enabled the identification of different categories of facilitating factors including social, political, technical and ecological factors. According to the respondents, social factors are the main factors that facilitate the success of these projects. These factors include citizens’ acceptance and membership ; education and awareness ; residents’ participation ; choice of the location of the restoration sites ; involvement of NGOs and media coverage. Social acceptance of the biodiversity restoration strategies implemented emerges as the most important factor. Therefore, the success of an urban biodiversity restoration project depends largely on citizens’ support.
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Les liens entre la société, la nature et la technique durant les derniers 200 ans : analyse dans deux vallées françaises
Julien Gargani et Gwenael Jouannic
RésuméFR :
Dans cette étude, nous nous sommes intéressés à la coévolution de la nature et de nos sociétés durant les 200 dernières années en prenant comme observables l’évolution morphologique des cours d’eau, le développement de l’urbanisation, les aménagements hydrauliques et la démographie locale. Nous mettons en évidence que la coévolution de l’environnement et de la société a été accélérée par le développement technique qui a décuplé les mutations et la complexité du système. La technique fabrique la Nature et la Société telles que nous les connaissons actuellement dans la vallée du Rhône. Mais la Nature n’est pas un élément passif et participe à la construction de nos sociétés et de nos techniques. C’est en partie une crise « naturelle » qui en 1856 a favorisé la migration des populations et accentué la volonté de domestiquer la nature. Indirectement, cette crise a probablement participé à la maturation de la société industrielle.
EN :
Since the XIX century, European societies have progressively forgotten natural hazards. Physical divides between our societies and Nature triggered in our minds the believed of safety and domination against Nature. We often build house and road close to river where floods usually happened. In this research we have studied the geomorphological and urban evolution of the Rhone valley near the city of Vienne (France), as well as near the city of Allemont (French Alps) near the Grand Maison Dam. Environment and societies have deeply changed during the last 200 years in those areas. Coevolution of environment and societies occurred in relation with technological improvement and technical proliferation. Technics has deeply participated to construct nature and society in these areas. Contemporaneously, nature played a determinant role to structure our society and our technics. The 1856 floods that affected the Rhône valley favored habitants exodus from valleys and mountain to urbanized area, hydraulic planning and indirectly contributed to accelerate the new social, economic and technological organization often called “industrial revolution”. Surprisingly the strong interaction between our environment and our societies occurred whereas nature was becoming invisible in the urbanized areas.
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Approche des espaces de la pratique nautique par l’analyse de la fréquentation : l’exemple du bassin de navigation arcachonnais
Nicolas Le Corre, Solenn Le Berre, Ingrid Peuziat, Louis Brigand et Julien Courtel
RésuméFR :
Les activités de plaisance connaissent depuis plusieurs décennies un développement remarquable sur les littoraux français. Mais si les infrastructures portuaires sont relativement bien connues, il n’en va pas de même des pratiques nautiques en mer dont la connaissance reste largement lacunaire au regard des enjeux de gestion et de conservation qu’elles impliquent. Cet article présente les méthodes et les principaux résultats d’une étude de fréquentation menée de 2008 à 2010 sur le Bassin d’Arcachon pour notamment évaluer le nombre de bateaux, caractériser et cartographier les espaces de pratique sur ce site éminemment complexe. Sans remettre en cause le concept de bassin de navigation, les résultats permettent d’en préciser le fonctionnement intrinsèque qui repose sur l’existence de sous-territoires de pratique.
EN :
Since the 1960s, pleasure-boating has experienced a significant development throughout the French coast. Although the harbor infrastructures are well studied, this is not the case of the recreational boater behaviors and distribution once on the water or on the nearby islands. This knowledge is, however, essential in order to improve and develop new integrated coastal planning strategies. This article presents the methodological framework of a recreational boating monitoring study conducted in the Arcachon Basin (France) between 2008 and 2009. The results further our understanding of this boating area that is based on different practice places.
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Les professionnels du bâtiment face aux enjeux énergétiques, une perspective limitée
Jonathan Villot, Natacha Gondran et Valérie Laforest
RésuméFR :
Cet article interroge la dynamique des professionnels français du bâtiment devant les enjeux énergétiques et environnementaux portés par ce secteur. Sur la base d’une étude menée en 2012 sur un territoire d’étude spécifique (le département de la Loire), ce travail tente d’évaluer l’état du secteur du bâtiment ainsi que les limites ou freins rencontrés par ses acteurs « humains » et « techniques ». Par l’analyse distanciée des résultats qualitatifs et quantitatifs issus d’enquêtes, la recherche révèle une pluralité de situations et d’entraves (pour certaines connues mais rarement quantifiées) dont les dispositifs palliatifs semblent encore insuffisants. Le secteur du bâtiment se révèle alors incapable de s’orienter vers de nouvelles perspectives énergétiques sans une rupture totale de ses modes de penser et d’agir. Cette rupture nécessitant alors de parfaire la rationalité des acteurs et notamment celle de la « puissance publique ».
EN :
This paper deals with the dynamic of French building’s actors facing to energy and environmental issues. Based on a research on a specific target area (Loire department), the study aims to assess the state of the system and the limitations or barriers encountered by human and technical actors. Using the analysis of qualitative and quantitative results from actors’ surveys, the research reveals a variety of situations, barriers (some known but rarely quantified) and palliative’s solutions. Finally, the building sector reveals itself ineffective to move towards a new energy perspective without a total breakdown of his ways of thinking and acting. This breakdown requires a perfect rationality of actors and especially that of public power.
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Les « pratiquants » de l’Agriparc : mise en perspective des valeurs environnementales liées au milieu de vie
Hélène Houdayer
RésuméFR :
La ville de Montpellier connaît une dynamique migratoire positive exerçant une pression foncière se traduisant d’une part par un étalement périurbain et d’autre part une fréquentation des espaces verts en hausse. Nous sommes partis du point de vue des promoteurs d’un des deux Agriparcs de cette ville afin de réfléchir aux processus de socialisation de l’espace vécu en tant que milieu. À cette fin, nous avons mené une enquête auprès des « pratiquants » du lieu. Ceux-ci s’inscrivent dans le concept du développement durable en présentant des projets conciliant les fonctions urbaines et agricoles que nous rencontrons dans les zones périurbaines. Notre enquête montre de quelle manière il est possible pour les pratiquants des lieux de préserver l’écosystème largement fréquenté par les habitants, tout en concédant aux agriculteurs une place déterminante dans l’appréciation des lieux. L’ensemble participe largement au processus de socialisation de l'espace. Nous montrons aussi comment le projet de l’Agriparc est attractif du point de vue des valeurs environnementales proposées : il opère les liens nécessaires nature-culture en jouant sur les émotions des pratiquants, sur le caractère biologique des cultures mises en place, tout en se voulant attentif à la biodiversité.
EN :
The city of Montepllier is experiencing a positive migratory dynamics exerting a land pressure resulting in a susburban sprawl, and on an increase attendance of green spaces. For this study, we started with the point of view of developers of one of the two Agri(cultural)parks in Montpellier to think about the socialization process of a space as living environment. For this purpose, we conducted an investigation among professional users (practitioners) of this park. By presenting projects which combine urban and agricultural functions, generally observed in periurban areas, they are clearly involved in the sustainable development approach. Our investigation illustrate how it is possible for Agripark's users to play a role in the conservation of an ecosystem frequently visit by the inhabitants, while conceding a central position to farmers. The whole substantially participate to the socialization process. Considering proposed environmental values by practitioners, we also demonstrate the Agripark project attractiveness. Indeed the Agripark operates the links between nature and culture by playing on users’ emotions, by the organic nature of implemented crops, and by giving a special attention to the biodiversity aspect of the project.