[VertigO] La revue électronique en sciences de l’environnement
Volume 10, numéro 1, avril 2010 Ethique et Environnement à l’aube du 21ème siècle : la crise écologique implique-t-elle une nouvelle éthique environnementale ? Sous la direction de Sylvie Ferrari, Jean-Yves Goffi, Marie-Hélène Parizeau, Jean-Philippe Pierron et Eric Duchemin
Sommaire (16 articles)
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Des fondements ontologiques de la crise, et de l’être qui pourrait la dépasser
Augustin Berque
RésuméFR :
La crise planétaire de l'environnement a été provoquée par la civilisation moderne, laquelle repose en dernière instance sur le parti ontologique de la modernité, instauré au XVIIe siècle (mais dont les racines sont anciennes). Ce parti suppose un être limité au topos "corps animal : personne individuelle" et l'oppose à un monde objet, c'est-à-dire qu'il abstrait cet être de la chôra (i.e. du milieu) qui en réalité non seulement rend possible son existence, mais fait structurellement partie de cet être même. Ce topos ontologique fait de l'éthique environnementale un oxymore, engendrant toutes sortes d'acrobaties intellectuelles pour arriver à justifier rationnellement le sentiment profond qui pousse l'être humain à s'identifier à son milieu, alors que, dans un tel parti, cette identification est irrationnelle, et que toute la civilisation que ce parti a fondée pousse au contraire à surexploiter indéfiniment ce milieu réduit à un objet. Dans la révision déchirante qui s'impose aujourd'hui, l'éthique réclame avant tout une révolution de l'être, dépassant le stade historique du topos ontologique moderne pour reconnaître une réalité forclose : la médiance de l'humain, c'est-à-dire le couplage structurel du topos de notre corps individuel et de la chôra de notre milieu, qui ensemble font de nous des êtres humains et par là même nous poussent à un comportement éthique envers la Terre.
EN :
The global environmental crisis has been caused by modern civilization, which is ultimately founded on the ontological option of modernity. This option was made in the 17th century, although its roots are ancient. In it, the human being is viewed as being limited to a topos equating the individual person with the individual body, i.e. as a subject, as opposed to the world, which is viewed as an object. It abstracts this being from the chôra (i.e. from the eco-techno- symbolic milieu), which in fact not only makes our existence possible, but is also structurally a part of our very Being. This ontological topos makes environmental ethics an oxymoron, entailing all sorts of intellectual acrobatics in order to justify rationally the deep feeling that drives human beings to identify with their environment whereas, in such an option, this identification can only be an irrational projection of the subject onto the object. As a consequence, the entire civilization which this option entailed drives us to indefinitely overuse our environment, which it has reduced to an object, and consume its resources. In the drastic reappraisal which is becoming unavoidable, ethics need first of all an ontological revolution, overcoming the stage of the modern ontological topos, and acknowledging a reality which it had locked out the mediance of the human, that is, the structural coupling of the topos of our individual body with the chôra of our eco-techno-symbolic milieu, through which we can only define our being human. By the same token, mediance drive us to an ethical behaviour toward the Earth as our ecumene, i.e. the ensemble of human environments or milieus, which is not only ecological (as the biosphere is), but eco-techno-symbolic. In short, we need to position environmental ethics ontologically, as an ecumenal ethics.
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De mirabilibus mundi : vers une éthique et une esthétique environnementales
Hicham-Stéphane Afeissa
RésuméFR :
Il s’agit de s’interroger sur les relations que peuvent soutenir deux types de discours ou deux types d’approche de la nature : d’une part celle qui fait de l’environnement naturel un objet de préoccupation morale, et d’autre part celle qui fait de la nature un objet d’appréciation esthétique. De quelle manière une esthétique de la nature peut-elle prétendre compléter ou fonder une éthique de l’environnement ? Comment peut-on passer de la considération de la beauté de la nature à l’idée selon laquelle nous aurions des devoirs à l’endroit des entités du monde naturel ?
Le croisement entre une éthique et une esthétique environnementales est chose faite depuis plus de 20 ans dans les pays anglo-saxons, où se sont formés deux courants philosophiques qui sont assez rapidement entrés en conjonction l’un avec l’autre : d’une part un courant d’éthique environnementale, et d’autre part un courant d’esthétique naturaliste, que l’on appelle aussi « esthétique environnementale ou « esthétique cognitiviste ».
Les modalités selon lesquelles se sont effectuées cette rencontre sont très complexes, et ont donné lieu (et donnent encore lieu) à de nombreux débats. Cet article se fixe pour objectif d’examiner ce que certains éthiciens de l’environnement sont allés chercher du côté d’une esthétique cognitiviste de l’environnement, en resserrant l’attention autour de l’une des figures majeures de chaque domaine de recherche considéré : Holmes Rolston, pour l’éthique environnementale, et Allen Carlson, pour l’esthétique cognitiviste.
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Une « éthique du paysage » est-elle souhaitable ?
Anne Sgard
RésuméFR :
« Le paysage est indissolublement, comme tout espace public, une question politique et sensible » écrit J.M. Besse. Il ne se résume plus à des « sites », naturels ou ruraux, depuis longtemps codifiés et signalés dans les guides, il a conquis l’ordinaire, le banal, le quotidien, il est dynamique, modifié constamment en fonction de notre regard ; ce paysage, objet politique, appartient à tous, chacun a droit de regard et chacun par ses actes intervient sur la matérialité du paysage de tous.
L’impossibilité à identifier des normes applicables au paysage semble aller de soi: qui a légitimité à dire ce que doit être le paysage ? Le paysage renvoie à des valeurs, des pratiques, des préférences ; on observe alors un récurrent appel à l’éthique. Une « éthique du paysage » est-elle souhaitable pour autant? Elle semble indispensable dans la mesure où le périmètre et la définition du débat sur le paysage déterminent qui a droit de parole ; sans exigence éthique le paysage peut servir l’exclusion, le repli, la ségrégation. Mais ne pouvant passer par des normes et des préconisations d’intervention sur la matérialité du paysage, elle trouve son champ d’action dans la problématique de la participation et la définition collective de ce que nous avons en commun, dont nous sommes responsables et que nous voulons transmettre. Derrière le paysage consensuel, vitrine de projet de territoire, peut se révéler un objet de débat dérangeant quand on pose la question « pour qui ? ».
EN :
“The landscape is indissolubly, as any public space, a political and sensitive question” writes J.M. Besse. Landscape doesn’t amount any more to natural or pastoral sites, codified and recommended in guides, it has conquered the ordinary environment, the everyday life; landscape is changing, constantly modified according to our way of seeing. This landscape, as political object, belongs to all, everyone is entitled to glance and everyone intervenes on the materiality of our common landscape. The impossibility to identify standards applicable to the landscape has been pointed out: who has legitimacy to say what the landscape ought to be? From then on, we observe recurring calls for ethics. Is an "ethics of the landscape" to be hoped? Ethics seems essential as far as the definition of the debate on the common determines who is entitled to take part; without ethical demand the landscape can serve withdrawal, exclusion and segregation. Ethics cannot consist in standards of intervention; it may concern the field of the participation and the collective debate on what we have in common, for whom we are responsible and what we want to pass on. Beyond the consensual landscape, the showcase for political projects, the landscape can turn out to be disturbing when we ask the question “for whom?”
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Éthique environnementale, remédiation écologique et compensations territoriales : entre antinomie et correspondances
Julie Gobert
RésuméFR :
La construction ou l’extension d’une infrastructure « impactante » peut justifier l’application négociée (ou non) de mesures de compensation.
On en dénombre deux types principaux : les compensations écologiques, qui découlent de législations et conditionnent l’obtention des permis de construire et les compensations territoriales (ou socio-environnementales), qui se veulent plus inclusives. Or la légitimité du principe de remédiation environnementale est l’une des questions les plus débattues par l’éthique environnementale, car la compensation écologique sous-tend que l’homme se considère en capacité de recréer à l’identique un milieu qu’il a détruit. La compensation territoriale n’est pas moins contestée, parce qu’elle serait un moyen d’acheter le silence des riverains par l’octroi de mesures économiques.
Toutefois le réagencement des compromis compensatoires et l’intégration de nouveaux acteurs dans les phases de concertation préalables obligent à ré-envisager les principes éthiques sous-jacents. L’approche qui prévaut désormais se veut plus respectueuse des exigences du développement durable. Le contrat compensatoire prend en compte un système territorial dans ses multiples dimensions. L’interaction entre nature et hommes est pensée comme une entreprise coopérative, où la restauration de la justice concerne aussi bien les riverains humains que non humains. Nonobstant, les questions d’interaction entre différentes échelles et d’accaparement du pouvoir dans le processus décisionnel restent irrésolues.
EN :
The construction or the enlargement of an impacting facility can justify the resort to compensatory measures.
Two main types can be analyzed: the ecological restoration that results from the implementation of national law or international conventions and are compulsory to obtain permits and authorizations (1), the community benefits more inclusive (2). The legitimacy of ecological compensation is a disputed and topical issue in the environmental ethics. As a matter of fact, this practice implies that man is able to recreate in the same way an ecosystem he destroyed. The community benefits are also contested, because they would be a way to silence the inhabitant in giving them economic compensation.
However the renewal of compensation agreements and the involvement of new stakeholders in the previous phase of consultation compel us to revise the underlying ethical principles. This approach is more respectful of the sustainability guidelines. The compensation package takes also into account the features of the local and multidimensional system. The connections between nature and human beings take the way of cooperation to implement social and environmental justice.
Yet some questions are not resolved: the interplay between geographical scales and the distribution/appropriation of power in the decision process.
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Gouverner en pensant systématiquement aux conséquences ? Les implications institutionnelles de l’objectif de « développement durable »
Yannick Rumpala
RésuméFR :
La réalisation d’un « développement durable » est devenue un objectif courant des agendas gouvernementaux. Il peut être interprété comme la formulation d’une obligation envers l’avenir et d’une nécessité de révision de la manière de préparer cet avenir. Les implications éthiques et institutionnelles peuvent être importantes : si la collectivité se rallie à cette logique, elle va devoir adapter son état d’esprit général et s’occuper des conséquences de ses actions, y compris celles qui pourraient paraître éloignées dans le temps. Précisément, un tel projet suppose d’éviter les conséquences jugées négatives, notamment celles qui correspondraient à des effets irréversibles, dans une démarche de surcroît systématique.
Il importe de saisir les soubassements et les orientations de cette reconfiguration qui pourrait s’avérer engagée. Cette apparente généralisation de l’attention pour les conséquences, portée de manière emblématique par une thématique comme celle du « développement durable », laisse en effet entrevoir une rationalité gouvernementale en évolution. Elle tend à induire non seulement des transformations dans l’appréhension des objets de gouvernement, mais aussi des repositionnements des cadres programmatiques à partir desquels s’élaborent les interventions institutionnelles. De ce mouvement paraissent ou pourraient émerger de nouveaux principes d’action et il est donc essentiel d’engager la réflexion pour en cerner les contours et les lignes directrices.
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L’agir respectueux de l’environnement comme but de la politique
Norbert Campagna
RésuméFR :
Dans cette contribution, l’État est conçu comme un instrument permettant de créer les conditions de possibilité de l’agir moral en général, et donc aussi de l’agir moral en matière environnementale en particulier. L’hypothèse de départ est que les individus peuvent rencontrer des obstacles à l’agir moral. Les principaux seront identifiés (obstacles épistémiques, économiques, matériels, culturels, moraux) et il sera ensuite de voir lesquels de ces obstacles un État de droit démocratique et libéral peut écarter, sans trahir ses principes constitutifs.
EN :
In this contribution the State is conceived as an instrument permitting the creation of the conditions of possibility of moral acting in general, and hence of environmental moral acting in particular. The initial hypothesis is that individuals can encounter obstacles to their acting morally. The major obstacles (epistemic, economic, material, cultural, moral) will be identified and we will then see which of these obstacles a democratic and liberal State, committed to the rule of law, may eliminate without violating its constitutive principles.
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Pour une éthique de la dette écologique
Julien Delord et Léa Sébastien
RésuméFR :
Nous proposons une assise éthique au concept émergent à l’échelle internationale de « dette écologique ». Nous faisons l’hypothèse que les nouvelles générations de philosophes de l’environnement devront conjuguer la catastrophe, non pas au futur antérieur, comme le font Hans Jonas ou Jean-Pierre Dupuy, mais au conditionnel passé. Il ne s’agit plus de travailler avec la « mémoire du futur », mais de retravailler les potentialités futures du passé, de réexplorer la mémoire écologique des catastrophes en cours et passées pour refonder les normes du vivre futur. Or, la notion de dette écologique nous invite précisément à repenser l’éthique environnementale à partir des fautes du passé.
L’impératif d’une responsabilité environnementale des générations présentes envers les générations futures se double de la reconnaissance inéluctable d’une dette écologique immense due aux générations présentes par les générations passées. Nous est-il dès lors possible de l’annuler, ou pour le dire plus directement, de pardonner ? Mais pardonner la catastrophe, n’est-ce pas par là même abdiquer toute responsabilité future, briser l’échange intergénérationnel et renoncer à tout espoir d’une éthique environnementale globale ?
Après un rappel historique de la genèse de ce concept que l’on peut définir empiriquement comme l’ensemble des atteintes aux milieux naturels exercées par des humains dans le passé, nous explicitons un modèle de responsabilité passée contrefactuelle que nous discutons de manière théorique ainsi que de manière appliquée autour de deux exemples de dette écologique, une dette territorialisée et privée concernant des pollutions industrielles et une dette globalisée et publique impliquant l’émission de gaz à effet de serre.
EN :
We propose an ethical background to the internationally emergent concept of “ecological debt”. We assume that the new generation of environmental philosophers will have to think the catastrophe, not on a future perfect mode like Jean-Pierre Dupuy or Hans Jonas’ theories, but on a past conditional mode. We refuse Dupuy’s “memory of the future” in order to reexplore the ecological memories of past and current catastrophes as a way to discuss the norms for the future. The notion of ecological debt invites us precisely to discuss a new environmental ethics based on past ecological faults.
The imperative of an environmental responsibility from present generations towards future generations goes necessarily along with the acknowledgement of a massive ecological debt left by past generations to the present generation. Is it possible, not to say mandatory, to cancel and forgive this debt ? But, is forgiving the catastrophe not leading us to renounce to any consistent responsibility between generations and to miss the opportunity to reach a global and efficient environmental ethics ?
After an historical reminder of the genesis of the notion of ecological debt, which can be defined as the totality of past environmental damages due to human activity and not compensated until the present, we put forward a model of past counterfactual responsibility both on a theoretical and a practical level. Eventually, two applied examples are discussed : one about a private and territorialized industrial debt due to decades of pollutions, and another one about a public and global debt, the climate debt.
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Pour une éthique de l’environnement inspirée par le pragmatisme : l’exemple du développement durable
Alain Létourneau
RésuméFR :
Il s’agit ici de montrer de quelle manière le pragmatisme, à la lumière des fondateurs du pragmatisme que sont Charles S. Peirce, William James et John Dewey, permet de renouveler la conception et le travail de l’éthique environnementale. Dans ce but, nous rappelons les grandes questions qui ont accompagné le développement de l’éthique dite de l’environnement depuis ses débuts, mais en regardant plus précisément les débats qui ont agité les dernières décennies. Nous montrons aussi quels autres types de réflexion ont été développés dans le chantier de l’éthique de société, en particulier dans le secteur de l’éthique biomédicale et celui de l’éthique appliquée. Ici nous nous situons explicitement dans le contexte des travaux d’une telle éthique appliquée, comprise autrement que comme un principisme appliqué (voir Beauchamp et Childress, 2008). Nous rappelons aussi quelques grandes caractéristiques du pragmatisme en général et sur les questions d’éthique, ceci dans le but de montrer la spécificité de l’approche du pragmatisme. Pour mieux faire voir quelles conséquences cette perspective apporte sur les questions qui nous intéressent, nous terminons en prenant l’exemple du développement durable.
EN :
We want to show here how pragmatism, understood in the light of three of its main thinkers and founders, Charles S. Peirce, William James and John Dewey, can totally renew our conception both of the theoretical and of the applied work in environmental ethics. But first we must explain what questions have structured the field of environmental ethics from its beginning, looking especially at the main discussions that have surfaced in the field since the 1970s. We also show what resources have been developed in the broader field of what we call here “society ethics”, a grouping into which we situate both biomedical ethics and applied ethics more generally. Here we place ourselves inside an applied ethics perspective, understood as differing from an applied principlism (cf Beauchamp and Childress, 2008). We also recall some of the main characteristics of pragmatism both generally and specifically on ethical questions, to show more clearly the main traits of a pragmatist outlook on those issues. To manifest more clearly what consequences this perspective gives on environmental issues, we treat briefly in conclusion the example of sustainable development.
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Du bien-fondé de la participation des citoyens aux marchés de permis d’émissions : efficacité économique et questionnements éthiques
Sylvie Ferrari, Mohamed Mehdi Mekni, Emmanuel Petit et Sébastien Rouillon
RésuméFR :
L’idée de réguler les pollutions au moyen de permis d’émissions échangeables sur un marché concurrentiel a été développée pour la première fois par Dales en 1968. Cependant, un aspect assez peu étudié du fonctionnement de ces marchés est que les citoyens sont autorisés à y intervenir pour acheter des permis d’émissions dans le but de les retirer et de réduire ainsi la pollution. Pourtant, il apparaît en pratique que les préférences des citoyens interviennent peu ou pas dans l’élaboration, puis dans le fonctionnement des marchés de permis d’émissions. Or, une telle situation contredit à la fois les valeurs démocratiques et les principes économiques dominants. Cet article entend poursuivre le débat sur le bien fondé, ou non, d’une participation des citoyens à un marché de permis d’émissions, en se plaçant à la fois sous l’angle de l’efficacité économique et sous l’angle de l’éthique. Considérant la possibilité pour les citoyens de se comporter en passager clandestin, nous montrons qu’il peut être socialement bénéfique de subventionner la demande des citoyens de façon à combattre ce comportement. A partir des apports de l’économie expérimentale appliquée au jeu du bien public, nous observons que l’économie théorique semble surestimer le problème de l’incitation à se comporter en passager clandestin. Enfin, les enjeux éthiques associés à l’ouverture des marchés de permis d’émissions aux citoyens sont analysés. Une éthique basée sur la liberté et la souveraineté des citoyens requiert d’autoriser la participation des citoyens aux marchés de permis d’émissions. Ce point est ensuite discuté au regard des pollutions cumulatives et au regard de la dimension intergénérationnelle de l’équité.
EN :
The idea of regulating pollutions by means of tradable emission permits on a competitive market was developed for the first time by Dales in 1968. The question of the citizens’ participation on these markets received little attention in the economic literature. However, people are allowed to buy emission permits and can therefore reduce the level of pollution by removing them from the market. From a practical viewpoint, the citizen’s preferences are not taken into account neither in the elaboration nor in the functioning of pollution permits markets. However, such a situation does not comply with both the democratic values and the prevailing economic principles. This article aims to discuss the legitimacy of a participation of the citizens to a pollution permits market by introducing both the economic efficiency and the ethical dimension. As the problem of free riding is fundamental when the citizen participation takes place, we show that it can be partly solved by funding the citizen demand. In addition, it seems that the free riding behaviour is overestimated by theoretical economics as experimental economics applied to the game of the public good shows. In addition, the ethical stakes associated to the opening of the pollution markets permits to the citizens are analyzed. An ethics based on the freedom and the sovereignty of the citizens commands us to authorize the participation of the citizens to these markets. This point is finally discussed towards the cumulative pollutions and towards the intergenerational dimension of the equity.
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Allocation initiale et marché des permis négociables d’émission de gaz à effet de serre : quelle équité pour favoriser l’acceptabilité ?
Élodie Brahic et Jean-Michel Salles
RésuméFR :
Les négociations internationales sur le changement climatique se sont organisées autour de l’allocation de permis négociables d’émissions de gaz à effet de serre. Ce travail se situe à l’horizon 2030 en supposant que tous les pays seront à cette date entrés dans un tel système de régulation. Il simule les enjeux quantitatifs qui pourraient être liés à différents critères d’allocation initiale des permis en distinguant des systèmes dits « purs » qui reposent sur un seul critère parmi un panel (population, PIB, selon la responsabilité, grandfathering, coûts d’abattement) des systèmes « hybrides » qui en combinent plusieurs selon des règles explicites issues des débats et de la littérature. Ces simulations mettent en évidence l’importance quantitative des enjeux liés à ces choix en termes de justice et essaie de discuter les conséquences qui peuvent être attendues pour des pays qui restent libres d’accepter ou non que ces critères soient utilisés dans les négociations.
EN :
International negotiations on climate change were organized around the allocation of tradable greenhouse gas emission permits. This work is related to a hypothetic 2030 situation, assuming that all countries will be on that date in such a system of regulation. It simulates the quantitative issues that could be related to different criteria for initial allocation of permits distinguishing systems called « pure », based on a single criterion among a panel (population, GDP, according to responsibility, grandfathering, cost reduction) and « hybrids » systems combining several criteria under explicit rules. These simulations highlight the quantitative importance of issues related to these choices in terms of justice and try to discuss the consequences that can be expected for countries that remain free to accept or not these criteria in the negotiations.
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L'éthique environnementale dans les outils d'évaluation économique et environnementale : application à l'équité intergénérationnelle et à la gestion des déchets
Jacques Méry
RésuméFR :
L'équité entre générations est au coeur du concept de développement durable. Toutefois, les outils d'évaluation économique et environnementale d'aide à la décision publique explicitent rarement les hypothèses de calcul relatives à l'éthique environnementale, en particulier concernant la temporalité : quels sont les choix en matière de préférences temporelles (horizons temporels, éventuelles préférences pour le présent) et comment sont prises en compte les irréversibilités ?
Une analyse des hypothèses relatives à la temporalité est ici présentée à propos de l'analyse de cycle de vie, de l'empreinte écologique, et de l'évaluation économique (analyses coût-bénéfice). Ces hypothèses peuvent en effet induire des résultats très différents dans les comparaisons de scenarii, et il importe donc d'être le plus transparent possible à leur sujet. D'autant qu'une tendance parfois constatée est de présenter ces outils comme « neutres », « objectifs », voire « juge de paix » en cas de controverses, alors qu'il y a des pré-supposés éthiques derrière chacun et que leur caractère contestable, y compris par des profanes, n'est donc pas éliminé d'office.
Une application à la gestion des déchets est proposée en se focalisant sur la problématique du stockage. Les externalités sont évaluées en utilisant une méthode d'actualisation due à E. Kula, intégrant le temps court individuel et le temps long collectif et respectant par construction l'équité entre générations.
EN :
Equity between generations is at the heart of the sustainability concept. But the economic and environmental evaluation tools for public decision aid rarely make their assessments explicit relative to environmental ethics, especially about temporality : which choices for temporal preferences (temporal horizons, possible preferences for the present) and how are irreversibilities taken into account ?
An analysis of the hypotheses concerning temporality is proposed here for life-cycle analyses, the ecological footprint and economic valuations (cost-benefit analyses). These hypotheses can indeed induce very different results when comparing scenarios. It is then important to be the most possible transparent about them, all the more since a trend is sometimes seen to show these tools as neutral, objective, or impartial while they have hidden values. Therefore, their disputable character, including by lay people, is not removed as a matter of course.
Applications to waste management are shown focusing on the problematics of landfilling. The valuation of externalities are made using the discounting procedure due to E. Kula, linking the short run of individuals and the long run of societies and complying by design with intergenerational equity.
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« L’eau qui atteint la mer est une eau perdue » : anthropocentrisme et dégradation des écosystèmes aquatiques
Frédéric Julien
RésuméFR :
Une des principales dimensions de la « crise mondiale de l’eau » concerne la dégradation des écosystèmes aquatiques de la planète. Résultant de l’activité humaine, cette dégradation est ultimement autorisée par une éthique qui, ne prenant en compte que les personnes, réduit le statut de l’eau et des écosystèmes aquatiques à celui de ressources à exploiter. De cette importance du rapport de l’Homme à la nature pour la gouvernance de l’eau s’ensuit le besoin de penser ce rapport au-delà de l’anthropocentrisme actuel. Un tel dépassement éthique signifierait pour Homo sapiens l’autolimitation de sa liberté d’action dans la lutte pour l’existence, qu’il est suggéré de fonder sur une révérence pour l’eau en tant que système de support à la vie.
EN :
The degradation of the planet’s freshwater ecosystems constitutes one of the main dimensions of the “global water crisis”. As a result of human activity, this degradation is ultimately allowed to occur by an ethic that only takes people into account and therefore reduces water and freshwater ecosystems to the status of resources to be exploited. Given the impact of humanity’s relationship with nature on water governance, there is a need to rethink the current anthropocentric ethic and to move beyond it. Such an ethical accomplishment would require that Homo sapiens accept limits to their freedom of action in the struggle for existence. These limits, it is suggested, could be based on a reverence for water as a life support system.
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Processus multi-acteurs de construction d’une éthique environnementale : le cas du système fluvial rhénan
Céline Ohresser, Élodie Piquette, Nathalie Gartiser et Maurice Wintz
RésuméFR :
Partant de l'hypothèse que l'éthique environnementale est une qualité émergente propre à un système, cette contribution se propose de rendre compte de la réorganisation du système fluvial rhénan dans le contexte d'une crise écologique. Au travers du croisement de deux regards disciplinaires, se dégage un cadre d'interprétation sur l'organisation de l'information et de la communication entre les différents sous-systèmes autoréférentiels en tant que conditionnement d'une diffusion et d'une adhésion en faveur d'une éthique environnementale, reconnaissant les propriétés intrinsèques de l'écosystème fluvial.
EN :
Considering the environmental ethics as an emerging quality of an anthropo-ecological system, this article aims to interpret the reorganization of what the authors named as « Rhine river system » in the context of an ecological crisis. Through the meeting of two disciplines (sociology and engineering design), an interpretative framework is suggested in order to explain the organization of communication and information process between the various self-referential systems. The main purpose of this article is to focus on the action of each system in conditioning at last the dissemination and the acceptance of an unique environmental ethics, understood as the recognition of the intrinsic properties of the Rhine river ecosystem, and adapted to the referents of each system involved.
Section courante
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Catastrophes dites naturelles, risques et développement durable : utilisations géographiques de la courbe de Farmer
Patrick Pigeon
RésuméFR :
L’article vise à montrer comment la courbe de Farmer permet de représenter à la fois les risques, les catastrophes dites naturelles et le développement durable. Elle peut aider à comprendre et à formaliser les relations qui peuvent exister entre ces notions, en s’appuyant sur les travaux de terrain que mènent les géographes. En effet, l’augmentation des catastrophes que présentent les bases de données comme EM-Dat n’est pas incompatible avec la notion de développement durable. Les politiques visant à augmenter la résilience des sociétés locales, et à réduire le niveau des dommages en cas de survenue d’un futur événement, apparaissent très compatibles avec les principes fondamentaux du développement durable. Ce qui n’empêche pas qu’elles produisent aussi de nombreux effets non désirés qui ne peuvent être totalement anticipés. Les géographes les identifient lors de leurs travaux de terrain. Ceci est très cohérent avec le fait que la courbe de Farmer soit considérée comme un moyen de représenter la complexité.
EN :
This paper aims at justifying how the well-known Farmer’s curve may be used as a means to formalize relationships between risks, so-called natural disasters and sustainable development. It may help geographers to clarify these relationships relying on mainly post-disasters field survey experiences. We find that sustainable development cannot be challenged by the increasing disaster frequencies main databases display, such as EM-DAT. Policies wishing to strengthen local societies resilience, and aiming at reducing the intensities of damages for the next events, seem to be consistent with the fundamentals of sustainable development. At the same time, they produce unwanted and not fully predictable effects geographers find back during field surveys. This is consistent with the fact that farmer’s curve may be considered a means to identify complexity.
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Comment évaluer et mesurer la conflictualité liée aux usages de l’espace ? Éléments de méthode et de repérage
André Torre, Romain Melot, Luc Bossuet, Anne Cadoret, Armelle Caron, Ségolène Darly, Philippe Jeanneaux, Thierry Kirat et Haï Vu Pham
RésuméFR :
Cet article a pour objet de présenter le travail réalisé depuis quelques années par une équipe pluridisciplinaire sur la question des conflits d’usage de l’espace et de révéler la méthodologie d’enquête et de collecte de données, ainsi que la structure de la base de données qui en est issue. Dans un premier temps nous procédons à une définition du champ des investigations, en donnant une définition de ces conflits, de leurs caractéristiques, des mobiles et des manifestations de la conflictualité, ainsi que des acteurs impliqués. Nous exposons ensuite notre méthode de repérage des conflits, fondée sur un diagnostic de zone et la mise en commun de différentes méthodes de recueil de données dont les entretiens à dire d’experts, l’analyse de la Presse Quotidienne Régionale et le traitement des sources du contentieux juridique. Nous présentons enfin la base de données Conflits©, avec ses tables et nomenclatures, qui réconcilie et raisonne les données recueillies sur différents terrains, avant de fournir quelques exemples de l’utilisation de notre méthode sur le cas de la Région Ile de France.
EN :
This article aims to present the research conducted in recent years by a multidisciplinary team on the questions of land-use conflict, and to reveal the methodology of survey and data collection, as well as the structure of the resulting database. We first define the scope of our study by providing a definition of these conflicts, of their characteristics and motives, of the ways they manifest themselves and of the actors involved. We then present the methodology we have used to identify conflicts ; a methodology based on a spatial analysis and the combined use of different data collection methods including surveys conducted by experts, analyses of the regional daily press and of data from the administrative litigation courts. Finally we present the Conflicts data base©, with its tables and nomenclatures, in which the data collected in different fields is reconciled and analysed (III), before providing a few examples of how this method can be used to analyse the case of the Greater Paris Region.
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La directive IPPC : où en est-on et où va-t-on ?
Anne Cikankowitz et Valérie Laforest
RésuméFR :
Depuis 1996, la mise en oeuvre de la directive IPPC (Integrated Pollution Prevention and Control) est au coeur des débats publics et politiques. Des non-conformités subsistent encore actuellement ; les points bloquants ne sont pas encore totalement levés que déjà une nouvelle directive sur les émissions industrielles se profile à l’horizon.
Cette directive IPPC impose notamment aux industriels concernés par cette réglementation d’utiliser des « meilleures techniques disponibles » (MTD). Or, au niveau local, les exploitants n’ont pas les moyens suffisants de justifier qu’ils utilisent des MTD ou des techniques ayant des performances équivalentes. Cet article traite de l’évolution du cadre réglementaire lié à la mise en oeuvre de la directive IPPC depuis 1996, en Europe et plus particulièrement en France. Il propose un bilan synthétique des principaux points bloquants à sa mise en oeuvre. En conclusion, l’article montre, que grâce à l’analyse approfondie du contexte réglementaire d’application de l’IPPC en Europe, il est important de développer une méthodologie d’évaluation des performances environnementales au sens de l’IPPC.
EN :
Since 1996, the implementation of the IPPC Directive (Integrated Pollution Prevention and Control) has been in the middle of public and policies debate. Some non conformities are still present ; the blocking points are not yet solved whereas a new directive on industrial emissions is already proposed. The IPPC Directive requires namely industries concerned by this regulation to use “best available techniques” (BAT). However, at the local level, operators do not have practical tools or simple methods to justify their use of BAT or techniques with equivalent performance. This article focus on the evolution of the regulatory framework related to the implementation of the IPPC Directive since 1996, in Europe and especially in France. It offers an overview of the main blocking points of the IPPC implementation. In conclusion, the article shows that through the analysis of the regulatory context under the IPPC directive in Europe, it is crucial to develop an environmental performance assessment methodology within the meaning of the IPPC.