Résumés
Résumé
Le droit français permet aujourd’hui une prise en compte élargie des conséquences des atteintes à l’environnement, puisque sont désormais réparables non seulement les préjudices personnels classiques causés à l’homme via l’environnement mais également des préjudices causés directement à l’environnement en tant que tel. Toutefois, la réparation des dommages issus d’atteintes à l’environnement pâtit, en l’état actuel du droit positif, de la difficulté à identifier clairement les chefs de préjudices à prendre en compte. De cette difficulté résultent tant des zones de contact entre plusieurs postes de préjudices et donc le risque d’une double indemnisation pour un même dommage, que des zones d’ombre, source de vides indemnitaires, malgré l’existence d’une réalité dommageable. En découle également une appréhension des préjudices susceptibles d’ouvrir droit à réparation qui varie selon les institutions saisies. En vue de garantir le respect des principes de réparation intégrale, de sécurité et d’égalité juridiques, l’établissement d’une typologie structurée des préjudices réparables s’impose. C’est précisément l’objectif du groupe de travail animé par le professeur G. J. Martin et Laurent Neyret et abrité par Sciences-po Paris, que d’élaborer une telle nomenclature des préjudices réparables en cas d’atteintes à l’environnement. A visée opérationnelle, cette grille de référence élaborée de façon participative, aura vocation à aiguiller les différents acteurs intervenant dans la réparation des atteintes à l’environnement (magistrats, avocats, ONG, assureurs, bureaux d’études et experts, autorités administratives compétentes, exploitants…).
Mots-clés :
- réparation-préjudices,
- environnementaux-nomenclature-sécurité,
- juridique-égalité juridique
Abstract
French law has nowadays widened the possibilities to take into account the consequences of environmental damage. Not solely classical personal injuries caused via the environment (environment-related damage) but also damage to the environment itself are from now on taken into account. But the remediation of environmental damage suffers because of the difficulty to identify clearly the different types of damage that should be taken into consideration. The outcome is the existence on the one hand of contact zones between several damage types, at the risk of setting of a double compensation for a single damage and on the other hand of shadow zones, which mean that although there is a real damage, there won’t be any remediation. Another consequence is that we are facing a remediation that varies according to circumstances, to jurisdictions and to concerned institutions. In order to put an end to this situation and to guarantee the respect of essential principles such as integral remediation, judicial security and equality, we must move towards a structured typology of the remediable environmental damage. The drawing up of such a typology is precisely the objective of the working group animated by the professor G. J. Martin and Laurent Neyret, and hosted by Sciences-po Paris. This typology of the remediable environmental damage, which is being drafted on a participative basis, may be an operational instrument able to guide the different protagonists of environmental action (lawyers, magistrates, operators of polluting activities, insurers, environmental experts, environmental defenders…).
Keywords:
- remediation-environmental,
- damage- typology-judicial,
- security-judicial equality
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Parties annexes
Notes
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[1]
Le rôle préventif de la Nomenclature sera peu évoqué ici mais il tient notamment au potentiel préventif des règles de responsabilité et au fait que la Nomenclature pourra être utilisée non seulement ex post mais également ex ante, c'est-à-dire non pas une fois le dommage survenu mais au stade de l’évaluation des impacts environnementaux probables d’un projet. Pour approfondir cette question, voir notamment L. Neyret, « La régulation de la responsabilité environnementale par la Nomenclature des préjudices environnementaux », in La régulation environnementale, Dalloz, à paraître.
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[2]
Dans son célèbre jugement de l'Erika du 16 janvier 2008 (TGI Paris, 11e ch. corr., 16 janv. 2008, n° 2008-351025), le Tribunal correctionnel de Paris a prononcé la réparation du préjudice écologique pur en faveur d'une association agréée de protection de l'environnement, la Ligue de protection des oiseaux, pour l’atteinte portée aux espèces d’oiseaux, et en faveur d'une collectivité territoriale, le département du Morbihan, pour l'atteinte à des espaces naturels sensibles, 662 hectares de terres du littoral touchées par la pollution maritime. A noter toutefois que contrairement à ce qui a pu être parfois affirmé à la suite de ce jugement, le préjudice écologique n'a pas fait son entrée dans le droit français ce jour-là. Avant même que ne soit rendu ce jugement, le juge judiciaire avait déjà ostensiblement réparé le préjudice d'atteinte objective à l'environnement. Cela ressort de plusieurs décisions des juges du fond qui ont pu être collectées dans le cadre du groupe de travail sur la réparation du préjudice écologique mis en place en 2006 à la Cour de cassation et dirigé par le professeur Gilles J. Martin ainsi que dans le cadre du projet de nomenclature (G. J. Martin, « La réparation des atteintes à l'environnement », in Les limites de la réparation du préjudice : Dalloz, Thèmes et commentaires, 2009, p. 359. V. également L. Neyret, « La réparation des atteintes à l'environnement par le juge judiciaire », Recueil Dalloz 2008 p. 170).
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[3]
Le droit spécial issu de la directive du 21 avril 2004 ne détermine pas non plus clairement les chefs de préjudice à prendre en compte lorsqu'il évoque les « détériorations directes ou indirectes mesurables de l'environnement », même s'il précise qu'il s'agit des dommages causés aux espèces et habitats naturels protégés, de la dégradation de l'état des eaux et de la pollution des sols présentant un risque pour la santé, à condition de présenter un degré de gravité suffisant.
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[4]
Voir à ce sujet le Rapport du Centre d’analyse stratégique, « L’approche économique de la biodiversité et des services liés aux éco systèmes ", 28 avril 2009 : http://www.strategie.gouv.fr/article.php3 ?id_article =980
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[5]
A savoir la « nomenclature des préjudices liés au dommage corporel » proposée dans un rapport rédigé par le groupe de travail présidé par Jean-Pierre Dintilhac, alors président de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, et remis au Garde des sceaux le 28 octobre 2005
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[6]
Laurent Neyret et Gilles J. Martin.
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[7]
Le groupe de travail a été accueilli pendant près de deux ans par la Chaire Régulation de Sciences-po présidée par le professeur Marie-Anne Frison-Roche, puis par l’Ecole de droit de Sciences-po dirigée par le professeur Christophe Jamin.
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[8]
Il s’est agi ici de respecter le principe de participation du public au processus décisionnel issu de la Convention d’Aarhus du 25 juin 1998 et inscrit à l’article 7 de la Charte constitutionnelle de l’environnement.
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[9]
Il s’agissait plus précisément d’identifier les usages qu’ils pourraient faire de la Nomenclature, les intérêts qui s’attachaient de leur point de vue à son élaboration, les qualités qu’elle devrait présenter à leurs yeux et les défauts qu’il conviendrait d’éviter lors de son établissement et de recueillir leurs propositions quant à son architecture, son contenu et enfin son statut juridique. Cf. Pour une présentation de la Nomenclature et des réponses au questionnaire : L. Neyret et G. J. Martin (dir.), Nomenclature des préjudices pour atteintes à l’environnement, LGDJ, 2010, à paraître.
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[10]
La diffusion à l’étranger de la Nomenclature sera facilitée par la traduction de celle-ci, actuellement à l’étude.
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[11]
Le dialogue des juges en serait facilité et l’égalité de traitement des justiciables en serait accrue.
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[12]
La Nomenclature, conformément à son étymologie (du latin nomenclatura : nomen, le nom et calare : appeler) est un outil à l’appui de l’identification des préjudices réparables qui ne s’apparente donc pas à un barème d’indemnisation en matière environnementale. Elle permet néanmoins de donner prise à des études statistiques et à l’établissement de tableaux de référence, aptes à affiner le coût des atteintes à l’environnement (infra).
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[13]
La Nomenclature gagnerait en outre à une meilleure connaissance de l’état du tourisme selon les zones car la taxe de séjour, en ce qu’elle ne prend en compte que les personnes dormant sur place, n’est pas toujours pertinente pour évaluer l’importance touristique d’un site.
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[14]
La Nomenclature permettra de faciliter le travail des magistrats chargés de statuer sur des litiges relatifs à la réparation d’atteintes à l’environnement. Tout en conservant leur liberté d’appréciation, ceux-ci pourront en effet utilement se référer à la Nomenclature pour identifier quels sont les préjudices réparables, ce qui permettra d’accélérer les procédures de réparation et, par là même, de réduire le délai pendant lequel les atteintes à l’environnement perdurent.
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[15]
TGI Paris, 11e ch. corr., 16 janv. 2008, n° 2008-351025.
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[16]
T corr. Brest 4 nov. 1988, n° 2463/88.
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[17]
CA Bordeaux, 13 janvier 2006, n° 05/00567 : la Cour a indemnisé plusieurs associations au titre « du préjudice subi par la flore et les invertébrés du milieu aquatique » et du « préjudice subi par le milieu aquatique ».
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[18]
TGI Narbonne, 4 oct. 2007, n° 935/07, Assoc. Eccla et a. qui indemnise les préjudices d'un parc naturel régional consécutifs à l'écoulement de produits chimiques dans les eaux maritimes du fait d'un fabricant de ces produits.
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[19]
T. corr. Libourne 29 mai 2001, n° 00/010957. Voir également depuis la décision du TGI de Tours qui reconnaît le bien fondé de l'action exercée par la Fédération d'Indre et Loire pour la pêche et la protection du milieu aquatique en réparation du préjudice écologique et distingue même plusieurs types de préjudice environnementaux. Même s'il ne fait pas référence expressément au préjudice « environnemental » ou « écologique », il admet à côté du préjudice économique subi par la fédération « qui lui est à la fois propre et concerne les intérêts qu'elle défend », d’une part la réparation des dommages « qui se sont étendus avec décélération sur environ 12 Km du cours d'eau de la Brenne, rare rivière du département classée en première catégorie, concernant à la fois le milieu aquatique (eau, berges, flore, fond, rives) et les espèces (poissons, dont certains très rares comme la truite fario ou la lamproie, mais aussi insectes et divers invertébrés) » et d’autre part la reconnaissance d’un préjudice plus subjectif « qui tient à la nostalgie paysagère et halieutique, la beauté originelle du site, l'âme du territoire, l'histoire des peuples et ce que certains philosophes et scientifiques appellent la mémoire de l'eau » ; (TGI de Tours, 24 juill. 2008, n° 1747 D ; M. Boutonnet, « Une nouvelle réparation du préjudice écologique par le juge du fond à propos du jugement du TGI Tours du 24 juillet 2008 », Environnement 2008, étude 11). Et la décision du TGI de Nanterre qui reconnaît clairement le préjudice environnemental, le nommant à la fois « préjudice écologique », « préjudice environnemental subi par le patrimoine naturel », et encore « préjudice écologique pur » (TGI Nanterre, 6e ch., 11 mai 2009, n° 06/13731 ; M. Boutonnet, « Une reconnaissance du préjudice environnemental pour une réparation symbolique... », Environnement n° 7, Juillet 2009, comm. 90).
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[20]
Dans le sens de sa contribution au respect du principe de réparation intégrale, la Nomenclature pourrait s’avérer utile pour minimiser le risque que ne soit demandé à un exploitant de réparer plusieurs fois un même préjudice, qu’elle contribue à clarifier les règles du recours subrogatoire des tiers payeurs pour les sommes versées en cas d'atteintes à l'environnement, ou encore qu’elle permette d’harmoniser les mesures de réparation prononcées par le juge d’un côté et par le préfet de l’autre (infra).
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[21]
L’instance en charge du règlement du litige pouvant s’appuyer sur la Nomenclature pour rédiger les missions d’expertise.
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[22]
La séquence « éviter, réduire, compenser » est prévue par différents articles du Code de l’environnement et rejoint les trois types de réparation prévus par la Loi relative à la Responsabilité Environnementale – réparation primaire, complémentaire, compensatoire.
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[23]
La loi du 1er août 2008 prévoit qu'en cas d'inaction de l'exploitant à l'origine du dommage ou bien, en cas d'urgence, s'il n'a pas été identifié, l'autorité compétente peut procéder ou faire procéder d'office à l'exécution des mesures de prévention et de réparation nécessaires (C. env., art. L. 162-14-I ; C. env., art. L. 162-15). Dans le cadre de la « procédure de recouvrement » (C. env., art. L. 162-19 et L. 162-20), un recours poste par poste serait le bienvenu car cela permettrait d'éviter un appauvrissement démesuré de l'exploitant responsable et corrélativement de se prémunir contre un enrichissement sans cause des tiers payeurs qui récupéreraient des sommes alors même qu'ils ne les auraient pas versées, ou bien qui récupéreraient plusieurs fois les sommes versées pour un même préjudice.
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[24]
Qu’il s’agisse de la jurisprudence française, du droit comparé, des directives communautaires en matière environnementale ou encore des règles d'indemnisation du FIPOL.
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[25]
« Du point de vue de la portée de la nomenclature sur la réparation, il importe de souligner qu'elle ne devrait pas servir de base à l'adoption de barèmes d'indemnisation, mais plutôt à l'établissement de tableaux de référence, outil de réduction des écarts de prix de la nature ou de mesures de compensation d'une juridiction à une autre, d'un préfet à un autre, d'un assureur à un autre... À ce titre, pour passer de l'arbitraire à l'égalité indemnitaire, on gagnerait certainement à adopter un référentiel indicatif national statistique et évolutif en matière environnementale. » (L. Neyret, « Proposition de nomenclature des préjudices réparables en cas d'atteinte à l'environnement », Environnement n° 6, Juin 2009, dossier 5).
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[26]
La Nomenclature pourra néanmoins apporter une utile contribution à l’articulation entre le régime du droit commun et celui issu de la loi relative à la responsabilité environnementale en ce qu’elle permettra notamment d’harmoniser les mesures de réparation prononcées par le juge d’un côté et par le préfet de l’autre. Imaginons en effet un cas où un exploitant estimerait que les mesures prises par le préfet et par le juge judiciaire conduisent à réparer deux fois le même dommage. Si le juge judiciaire avait condamné l'exploitant à des dommages et intérêts au titre d'un dommage environnemental alors que le préfet lui avait imposé des mesures de réparation en nature, le risque d’une réparation « excessive » serait réel. « Et ce, d'autant que les mesures de réparation imposées au titre de la loi nouvelle ne visent pas une réparation intégrale, mais visent seulement à éliminer tout risque d'atteinte grave à la santé humaine (C. env., art. L. 162-8 pour les sols et C. env., art. L. 162-9 pour les eaux, espèces et habitats). Cette différence d'objectif de la réparation (intégrale pour le juge judiciaire et réduite pour le préfet) peut rendre plus difficile la preuve par l'exploitant qu'on lui demande deux fois de réparer le même dommage. Pour pallier le risque d'une double réparation, il faudrait presque envisager, comme en matière d'indemnisation du dommage corporel, que les mesures prononcées par l'un et l'autre répondent à des postes précis. Cela assurerait une meilleure articulation des décisions de chacun, tant d'ailleurs au profit de l'environnement que de l'exploitant. » (A. Guégan, « La place de la responsabilité civile après la loi du 1er août 2008 », Environnement n° 6, Juin 2009, dossier 3).
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[27]
TGI Bastia, 8 déc. 1976, D. 1977, p. 427
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[28]
TGI Paris, 11e ch. corr., 16 janv. 2008, n° 2008-351025
Bibliographie
- M. Boutonnet, M. ,2008,« La reconnaissance du préjudice environnemental », Environnement, étude 2
- Boutonnet , M.,2008, « Une nouvelle réparation du préjudice écologique par le juge du fond à propos du jugement du TGI Tours du 24 juillet 2008 », Environnement,, étude 11
- Boutonnet, M., 2009, « Une reconnaissance du préjudice environnemental pour une réparation symbolique... », Environnement n° 7, comm. 90
- Brun, Ph., 2005, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec
- Calfayan,Ch., 2009, « Préjudices environnemental et moral d’une association de protection de l’environnement », Revue Lamy Droit Civil no 63,
- Guégan, A., 2009, « La place de la responsabilité civile après la loi du 1er août 2008 », Environnement no 6, dossier 3
- Martin, G. J., 2009, « La réparation des atteintes à l'environnement », in Les limites de la réparation du préjudice : Dalloz, Thèmes et commentaires, p. 359.
- Neyret, L., 2008, « La réparation des atteintes à l'environnement par le juge judiciaire », Recueil Dalloz, p. 170 [Neyret, 2008]
- Neyret, L., 2008, « Naufrage de l'Erika : vers un droit commun de la réparation des atteintes à l'environnement », Recueil Dalloz, p. 2681 [Neyret, 2008-bis]
- Neyret, L., 2009, « Proposition de nomenclature des préjudices réparables en cas d'atteinte à l'environnement », Environnement n° 6, dossier 5
- Neyret, L., 2010, « La régulation de la responsabilité environnementale par la Nomenclature des préjudices environnementaux », in La régulation environnementale, Dalloz, à paraître.
- Neyret, L. et G. J. Martin (dir.), 2010, Nomenclature des préjudices pour atteintes à l’environnement, LGDJ, 2010, à paraître.
- Parance, B., 2009, « L'action des associations de protection de l'environnement et des collectivités territoriales dans la responsabilité environnementale », Environnement n° 6, Juin 2009, dossier 4
- Thibierge, C., 2003, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit », RTD civ. 2003, p. 599
- Van Lang, A., 2008, « Affaire de l'Erika : la consécration du préjudice écologique par le juge judiciaire », AJDA, p. 934