Résumés
Résumé
Face à la complexification des litiges et à la progression constante du recours à l’expertise, se pose la question de la place des éléments non juridiques dans l’élaboration du jugement. Sur le terrain environnemental, le recours de plus en plus fréquent à l’expert relève du paradoxe : la haute teneur scientifique des litiges impose presque systématiquement un recours à l’expert alors que, simultanément, l’incertitude scientifique couplée au fort enjeu politique entourant la décision judiciaire complexifie l’utilisation de l’expertise par le juge. L’impossible isolement du juge face aux controverses de la science a fait de l’expert scientifique un acteur à la fois majeur et contesté des contentieux sanitaires et environnementaux. La relation qui se noue entre le magistrat et l’expert, dans cette situation, devient donc essentielle. Les juridictions internationales sont de plus en plus souvent amenées à contrôler l’assise scientifique des mesures prises à des niveaux inférieurs. Le cas du droit de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) constitue un cadre d’analyse pertinent. Lorsqu’ils apprécient la valeur d’une expertise ou le caractère suffisamment étayé d’un risque, les Groupes spéciaux deviennent inévitablement des arbitres de l’expertise scientifique. Quelles sont les modalités de recours aux experts ? Quelle est l’importance des rapports d’expertise dans la construction des jugements ? C’est l’objectif de cette intervention que de poser un jalon dans la réflexion autour du recours de plus en plus fréquent à l’expertise en droit de l’OMC.
Mots-clés :
- droit international,
- contentieux sanitaires,
- Organisation Mondiale du Commerce,
- OMC,
- jugement,
- décision,
- expert,
- précaution,
- évaluation des risques,
- santé,
- environnement
Abstract
The increasing complexity of litigation and increasingly frequent use of scientific expertise raises questions about the role of non judicial elements in jurisprudence. In the environmental field, the frequent recourse to expertise leads to a paradox: while the increasing importance of scientific considerations almost systematically calls for scientific expertise, the scientific uncertainty, coupled with the political stakes makes it difficult for a judge to use this expertise. Due to the impossibility for a judge to isolate himself from scientific controversies, the expert has become a prime stakeholder in environmental and health issues and subject to criticism. The relationship between the expert and the magistrate thus becomes highly important.
International jurisdiction is more and more often called upon to validate the scientific basis of the judgements of lower courts. This is also the case of the World Trade Organisation. As dispute settlement panels assess the value of a scientific expertise or the accuracy of a risk assessment, they become judges of scientific expertise. What are the modalities of the use of scientific experts?
What is the importance of the scientific expertise in the making of a ruling?
These questions will allow us to contribute to the discussion about the increasing use of scientific expertise in judicial proceedings at the World Trade Organisation.
Keywords:
- international rights,
- World trade organization,
- WTO,
- expert,
- risks assessment,
- judgement,
- decision,
- precaution,
- health,
- environmental,
- contentious issues
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Parties annexes
Remerciements
Cette contribution est le fruit de travaux menés dans le cadre d’un programme collectif de recherche qui a débuté au Centre d’Etudes et de Recherches Internationales et Communautaires (CERIC-UMR 6201, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III) à l’automne 2007. Le programme, intitulé « La relation juge-expert dans les contentieux sanitaires et environnementaux », a reçu un financement de la Mission Droit et Justice. Un colloque de restitution sera organisé à Aix-en-Provence le 29 janvier 2010.
Notes
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[1]
R. Encinas de Munagorri, O. Leclerc, Théorie du droit et expertise : conclusion prospective sur les apports de l’analyse juridique, in : R. Encinas de Munagorri (dir), Expertise et gouvernance du changement climatique, LGDJ, Paris, 2009, p. 199.
-
[2]
Sur les origines de l’expertise judiciaire, voir : R. Encinas de Munagorri, Expert et expertise, Dictionnaire de la culture juridique, Puf, 2003, p. 686.
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[3]
L. Dumoulin, L’expertise judiciaire dans la construction du jugement : de la ressource à la contrainte, Droit et société, 2000, pp. 199-223.
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[4]
L’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires est considéré comme une application de l’article XX b) du GATT de 1994 qui se réfère aux exceptions « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ». L’Accord constitue donc la lex specialis en la matière. Négocié expressément dans le but d’éviter que les États n’abusent de l’article XX b) en matière agricole, il a pour objet d’empêcher que les règles techniques qui visent à assurer la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des animaux n’aient pour effet de créer des obstacles aux échanges internationaux.
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[5]
Article 11-2 de l’Accord SPS : « Dans un différend relevant du présent accord et qui soulève des questions scientifiques ou techniques, un Groupe spécial devrait demander l'avis d'experts choisis par lui en consultation avec les parties au différend. A cette fin, le Groupe spécial pourra, lorsqu'il le jugera approprié, établir un groupe consultatif d'experts techniques, ou consulter les organisations internationales compétentes, à la demande de l'une ou l'autre des parties au différend ou de sa propre initiative ».
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[6]
Article 14 :2 et 14 :3 de l’accord OTC « A la demande d'un Membre qui est partie à un différend, ou de sa propre initiative, un Groupe spécial pourra établir un groupe d'experts techniques qui lui fournira une assistance en ce qui concerne les problèmes d'ordre technique nécessitant un examen détaillé par des experts ».
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[7]
Communautés européennes, Mesures communautaires concernant la viande et les produits carnés, Rapport de l'Organe d’appel du 16 janvier 1998, WT/DS26/AB/R. Sur cette affaire, voir notamment : O. Blin, La politique sanitaire de la Communauté européenne à l’épreuve des règles de l’Organisation mondiale du commerce : le contentieux des hormones, RTDE, 1999, n°1, pp. 47-57. S. Boriachon, C. Tamburini-Bonnefoy, OMC et viande aux hormones : un exemple de désaccord entre la Communauté européenne, les États-Unis et le Canada, Gaz. Pal., 20-21 mai 1998, pp. 19-22. W.T. Douma, The Beef Hormones Dispute and the Use of National Standards under WTO Law, European Environmental Law Review, mai 1999, p. 137 et s; C. Joerges, Law, Science and the Management of Risks to Health at the National, European and International Level - Stories on Baby Dummies, Mad Cows and Hormones in Beef, Columbia J.European Law, vol. 7, 2001, pp.1-19. C. Noiville, Principe de précaution et OMC : le cas du commerce alimentaire, JDI, 2000, n° 2, pp. 263-297 ; J. Pauwelyn, The WTO Agreement on Sanitary and Phytosanitary (SPS) Measures as Applied in the First SPS Disputes : EC- Hormones, Australia- Salmon, Japan- Varietals, Journal of International Economic Law, December 1999, pp. 641-665. H. Ruiz Fabri, Chronique du règlement des différends, JDI, 1999-2000 in Journal du droit international 2000/2, pp.385-434 ; Ruiz Fabri, La prise en compte du principe de précaution par le droit de l’OMC, RJE, Numéro special, 2000, p. 55 et s.
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[8]
Pour une étude détaillée voir : O. Leclerc, Le juge et l’expert, contribution à l’étude des rapports entre le droit et la science, LGDJ, Paris, 2005, 471 p. Sur l’indépendance des experts et au-delà sur les conditions requises pour une expertise de qualité : voir notamment : M.-A. Hermitte, L’expertise scientifique à finalité politique, Justices, 1997, n°8, pp. 79-103. R. Encinas de Munagorri, Quel statut pour l’expert, RFAP, 2002, pp. 379-390. O. Leclerc, L’indépendance de l’expert, in : L'expertise : enjeux et pratiques, K. Favro (dir), 2009, pp. 167-180.
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[9]
Daubert v. Merrell Dow Pharmaceuticals, 509 U. S. 579 (1993).
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[10]
La Commission du Codex Alimentarius a été créée en 1963 par la FAO et l'OMS afin d'élaborer des normes alimentaires, des lignes directrices et d'autres textes, tels que des Codes d'usages, dans le cadre du Programme mixte FAO/OMS sur les normes alimentaires. Les buts principaux de ce programme sont la protection de la santé des consommateurs, la promotion de pratiques loyales dans le commerce des aliments et la coordination de tous les travaux de normalisation ayant trait aux aliments entrepris par des organisations aussi bien gouvernementales que non gouvernementales.
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[11]
Communautés européennes – Mesures affectant l’approbation et la commercialisation des produits biotechnologiques, WT/DS291/R, WT/DS292/R, WT/DS293/R.
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[12]
Les trois plaignants contestaient une série de mesures affectant le commerce des produits biotechnologiques en provenance des États-Unis, du Canada et d’Argentine. Les plaintes visaient d’abord le moratoire général de facto que les CE imposeraient depuis 1998 sur les demandes d'approbation pour des produits biotechnologiques. Elles portaient ensuite sur le non achèvement par les CE de procédures d'approbation pour une liste de produits spécifiques. Les plaintes visent enfin des mesures nationales de sauvegarde par lesquelles six États membres interdisent l'importation et/ou la commercialisation de certains produits, alors même que ceux-ci ont fait l’objet d’une approbation au niveau communautaire.
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[13]
Un entomologiste américain, une nutritionniste brésilienne, une écologue américaine, deux spécialistes des plantes britanniques, une spécialiste des normes alimentaires australienne.
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[14]
Administré conjointement par la FAO et l'OMS.
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[15]
Directive 2003/7/4 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 modifiant la directive 96/22/CE du Conseil concernant l’interdiction d’utilisation de certaines substances à effet hormonal et thyréostatique et des substances B-agonistes dans les spéculations animales, JOCE, L262,14 octobre 2003, p. 17.
-
[16]
Rapport du Groupe spécial États-Unis – Maintien de la suspension, WT/DS320; Rapport du Groupe spécial Canada – Maintien de la suspension, WT/DS321.
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[17]
États-Unis - Maintien de la suspension d’obligations dans le différend CE – Hormones, Rapports du Groupe spécial, WT/DS320.
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[18]
Paragraphe 7.443 : « leur analyse reste théorique », « ils n’ont aucune publication topique sur le sujet »…
-
[19]
États-Unis - Maintien de la suspension d’obligations dans le différend CE – Hormones, Rapport de l’Organe d’appel, § 527
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[20]
Ibid § 229.
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[21]
L’Organe d’appel va reconnaître cet état de fait « Nous sommes conscients du fait que les Groupes spéciaux rencontrent souvent des difficultés pratiques quand il s'agit de choisir des experts ayant le niveau de compétence requis et dont le choix ne suscite aucune objection des parties. Nous ne souhaitons pas rendre le processus de sélection des experts plus difficile qu'il peut déjà l'être ».
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[22]
Communautés européennes – Mesures affectant l’approbation et la commercialisation des produits biotechnologiques, WT/DS291/R, WT/DS292/R, § 7.3120: « ...cela s'applique, dans le cadre du rapport de la CGB, à toutes les variétés de colza tolérantes aux herbicides et non de manière spécifique à celles qui sont génétiquement modifiées. En outre, nous notons que le rapport de 2001 de la CGB ne fournit aucune analyse des conséquences biologiques et économiques que pourrait avoir l'apparition de ces hybrides et n'est pas présenté non plus comme une évaluation de la probabilité de l'entrée de l'établissement ou de la dissémination de ces hybrides en fonction des mesures SPS qui pourraient être appliquées. Par conséquent, nous ne considérons pas que le rapport de 2001 de la CGB satisfait à tous les critères définissant une évaluation des risques conformément à l'Annexe A 4). »
-
[23]
Communautés européennes – Mesures affectant l’approbation et la commercialisation des produits biotechnologiques, WT/DS291/R, WT/DS292/R, § 7.3098.
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[24]
États-Unis - Maintien de la suspension d’obligations dans le différend CE – Hormones, Rapport de l’Organe d’appel, §592.
-
[25]
Ibid, § 612.
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[26]
Ibid §614.
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[27]
Ibid, § 615.