Book Reviews / Comptes rendus

Brigitte Le Normand. Designing Tito’s Capital: Urban Planning, Modernism, and Socialism in Belgrade. Pittsburgh : University of Pittsburgh Press, 2014, 320 pp.[Notice]

  • Nari Shelekpayev

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  • Nari Shelekpayev
    Candidat au doctorat en histoire, Université de Montréal

L’ouvrage de Brigitte Le Normand découle de sa thèse de doctorat et porte sur l’histoire de l’aménagement urbain moderniste de Belgrade, capitale de la République fédérative socialiste de Yougoslavie (1945-1992). L’investigation couvre la période de la fin des années 1940, quand le modernisme s’est cristallisé comme une idéologie dominante de l’aménagement urbain, jusqu’en 1972, lorsque le nouveau plan directeur de la ville (master plan) a été adopté. Celui-ci a été basé sur des calculs informatiques et ne suivait plus les prescriptions modernistes qui dominaient la pensée des planificateurs dans les années 1950 et 1960. Depuis quelques générations, les idéaux et les produits de l’aménagement urbain inspirés par la Charte d’Athènes ont fait l’objet d’études et de critiques de plusieurs chercheurs. Les travaux de J. Jacobs (1961), J. Holston (1989) et J. C. Scott (1998) ont démontré que les espaces créés selon les préceptes de Le Corbusier avaient produit un effet déshumanisant sur leurs habitants. En cherchant à améliorer la circulation et obtenir une meilleure fonctionnalité des espaces publics, le fonctionnalisme moderniste a détruit l’interaction naturelle entre les habitants. De plus, les villes postcoloniales comme Brasília ou Chandigarh sont devenues des espaces d’exclusion, car seules les élites ont eu accès aux quartiers et bâtiments planifiés, laissant les gens moins privilégiés vivre à l’extérieur de ceux-ci. Le cas de Belgrade est particulièrement révélateur, car la Yougoslavie, en tête du Mouvement des non-alignés depuis 1953, se déclarait hors des camps soviétique et occidental. Cette situation eut un impact non seulement sur sa politique et son économie, mais aussi sur les idées et les pratiques de ses planificateurs. En indiquant au début de son ouvrage que les pays non-occidentaux ont été attirés par le modernisme pour des raisons bien différentes que leurs homologues en Occident (p. 11), Le Normand démontre que, dans le cas de Belgrade, le fonctionnalisme moderniste n’a pas été abandonné parce qu’il produisait des quartiers invivables, mais surtout parce qu’il a graduellement perdu le soutien des dirigeants et des planificateurs municipaux. Voilà pourquoi ce livre, qui affirme que l’implantation de la Charte d’Athènes n’a pas eu de traits universels, ajoute un cas fort original à l’historiographie de l’aménagement urbain moderniste, et ce dans un contexte global. Dans le cas de Belgrade, son (in)succès ne dépendait pas que de qualités et de défauts du modernisme tel quel, mais surtout de la fluctuation des stratégies économiques et sociales de l’État qui le mettait en pratique. Les chapitres 1 à 4 portent sur la conception du premier plan directeur de Belgrade et explorent comment ses auteurs se sont appropriés et ont mis en oeuvre la planification fonctionnaliste moderniste. Selon l’auteure, la Charte d’Athènes s’est avérée être un modèle parfaitement adaptable (p. 102). Conçue comme l’instrument d’une autorité centrale forte, elle pouvait traduire un ordre social décentralisé et organisé en communautés résidentielles. Malheureusement, la concrétisation du nouveau plan dut attendre jusqu’à la fin des années 1950. Les particularités de la planification économique de la Yougoslavie firent en sorte que le gouvernement avait d’autres priorités que l’aménagement de sa capitale. Enfin, lors de sa construction, la Nouvelle Belgrade (le territoire sur la rive gauche du fleuve Sava adjacent à la vieille ville et au coeur du nouveau plan directeur) est devenu davantage un quartier modèle, avec des standards de vie élevés, qu’un morceau du territoire symbolique monumental. Ensuite, lorsque, dans les années 1960, l’Etat yougoslave a adopté le socialisme de marché comme nouvelle stratégie de modernisation, le concept de Nouveau Belgrade s’est transformé, passant d’un paradis égalitaire des travailleurs à un paradis de consommation. Les chapitres 5 à 7 traitent des diverses raisons de …