La « participation » est à la mode sous toutes ses formes : citoyenne ou technique, volontaire ou provoquée. C’est devenu aujourd’hui un concept largement analysé et questionné dans les études sur les processus de production et de gouvernance aussi bien en architecture qu’en urbanisme. Elle est même devenue le passage obligé de toute réflexion sur la conception innovante. Pour autant peut-on comprendre les fondements de la participation par une relecture de l’histoire de l’urbanisme et de l’architecture ? C’est le défi du livre de Judith Le Maire avec comme thèse qu’il existerait une volonté participative parfois explicite, et parfois moins, chez des acteurs de l’architecture ou de l’urbanisme plus généralement connus comme théoriciens dogmatiques ou praticiens solitaires. Au-delà des riches informations contenues dans l’ouvrage, plusieurs questions surgissent à sa lecture. La participation est-elle une réponse propre aux crises, serait la première question qui ressort à la lecture de cette étude. Pour l’auteure, les travaux fondateurs de Patrick Geddes et de ses continuateurs apparaissent comme des réactions aux crises : à la crise de la ville industrielle, à la crise du logement après la Seconde Guerre mondiale et enfin à la crise de l’architecture moderne. L’auteure montre que liée directement aux situations de crises, la participation à travers la grammaire participative geddessienne semble offrir des stratégies inédites pour surmonter celles-ci et s’adapter à l’échelle et à la nature des problèmes qu’elles posent aux urbanistes et aux architectes. La participation est-elle réductible à une grammaire unique ou est-elle plurielle, serait la deuxième question ; question plus problématique posée par ce travail. Le cadre théorique de Judith Le Maire—puisqu’il s’agit d’une thèse—se concentre sur les figures des acteurs—urbanistes et architectes—en s’appuyant sur les théories de Henry Mintzberg. Si l’on sait que le thème de la participation chez Mintzberg appartient au cadre organisationnel de l’entreprise, cela oblige à se questionner sur la pertinence qu’en fait l’auteure, particulièrement en urbanisme. La différence entre la participation en urbanisme et la participation en architecture n’est pas de degré, mais de nature. En urbanisme, il s’agit d’une « participation pour » d’ordre politique et social en vue d’une gestion commune avec les décideurs. En architecture, il s’agit d’une « participation avec » d’ordre esthétique plus que technique pour une conception partagée avec les professionnels. Dans les deux cas la participation nécessite une définition des variables. Or, l’auteure navigue entre l’acception esthétique dans les jeux de rôles, le client comme spectateur-acteur d’un processus créatif de nature esthétique de son logement et l’acception politique de celui qui décide individuellement à travers une action collective de changer les choses ; soit en faisant pression sur les pouvoirs, soit en agissant directement. Si l’auteure note avec justesse que « la grammaire participative reste une conjugaison de variables chaque fois différentes et très dépendantes du contexte » (p. 222), on ne sait pas si cette variabilité concerne aussi les acteurs, tous les acteurs, les « maîtres », les experts et le public-client, comme faisant partie du contexte. Quant à l’idée que le processus participatif serait « plus important que l’objet bâti dans la poursuite du bonheur commun » (p. 24), elle apparaît singulièrement réductrice. La participation n’a que peu affaire avec le « bonheur commun » et l’échange gracieux de compétences et d’expertises ou de points de vues courtois. Les expériences participatives, nombreuses aujourd’hui dans tous les domaines, montrent au contraire la mise en avant de volontés de gains. Ce que l’auteure appelle la recherche du « bien commun » n’est nullement « l’intérêt général », mais l’obtention de bénéfices et de limites de pertes. Ce que les Nord-Américains traduisent par le …
Judith Le Maire, Lieux, biens, liens communs. Émergence d’une grammaire participative en architecture et urbanisme, 1904–1969 (Bruxelles : Éditions de l’Université de Bruxelles, 2014), 252 p.[Notice]
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Michel Max Raynaud
Institut d’urbanisme, Université de Montréal